Le cardinal Müller en 2017 © Elke-Wetzig-Wikimedia

Cardinal Müller : synode, un premier bilan intermédiaire

Nous traduisons ici en exclusivité un entretien avec le cardinal Müller par Lothar C. Rilinger publié le 5 décembre 2023 sur le site allemand Kath.net (https://www.kath.net/).

La première session du synode mondial convoqué par le pape François est désormais terminée. Selon plusieurs participants, les discussions se seraient déroulées dans un climat apaisée. Aucune question impliquant un changement décisif dans l’Église aurait été abordée. Au contraire, des sujets concernant les opportunités pastorales et l’évangélisation auraient été traitées. En outre, des voix se seraient exprimées en marge du Synode pour rappeler les principes fondamentaux de la doctrine et de la constitution de l’Église. Ainsi, le Synode devrait être considéré comme un forum de réflexion sur l’avenir de l’Église. Des questions, soulevées avant, au cours et en marge de la session synodale ont stimulé les débats en ce qu’elles ont porté sur la compréhension de l’enseignement de l’Église. Nous nous sommes entretenus avec le cardinal Gerhard Ludwig Müller, théologien et historien du dogme, de certains des points de discorde afin qu’il puisse nous éclairer sur ceux-ci à partir de la perspective d’une personne qui entend s’appuyer fermement sur le fondement théologique et philosophique du catholicisme et, donc, sur la Sainte Écriture, sur la Tradition apostolique et sur l’enseignement de l’Église, et qui n’accepte pas que sa pensée et ses arguments puissent être influencés par les découvertes pseudo-scientifiques de l’esprit du temps.

Lothar C. Rilinger : Des évêques, mais aussi des laïcs, hommes et femmes, se sont réunis pour la première fois à Rome à l’occasion du synode mondial pour parler de l’avenir de l’Église. En convoquant ce synode mondial, le pape François a poursuivi l’idée que le pape Pie IV avait déjà préconisée lors du Concile de Trente, à savoir une discussion synodale sur les fondements de l’Église. Estimez-vous nécessaire, dans le cadre d’un synode, que les principes fondamentaux de l’enseignement de l’Église soient discutés dans un cercle où non seulement le clergé mais aussi les laïcs ont droit de vote, afin que l’enseignement de l’Église ne soit pas seulement formulé par des prêtres formés en théologie mais aussi par des laïcs, ceux-ci pouvant avancer des arguments non théologiques et disposer d’un pouvoir décisionnel égal à celui des clercs, ce d’autant plus que le Pape peut déclarer juridiquement contraignantes les décisions du synode ?

Cardinal Gerhard Ludwig Müller (M.) : Il n’y a rien à redire contre une discussion portant sur des sujets religieux au sein d’un groupe d’évêques, de prêtres, de religieux et de laïcs. Bien que leurs tâches dans l’Église soient différentes, tous, selon leurs ministères et leurs charismes, doivent « contribuer à l’édification du corps du Christ » (Éphésiens 4, 12) et, ainsi « au bien de toute l’Église » (Lumen Gentium, 30). Le Synode des évêques, en revanche, a un caractère propre, en ce sens que les évêques, avec le Pape comme chef du collège, exercent l’autorité épiscopale qu’ils ont reçue du Christ dans le sacrement de l’Ordre et qui se manifeste dans la triple charge de la sanctification, de l’enseignement et du gouvernement (Lumen gentium, 21). Vatican II voulait contrecarrer l’impression de « centralisme romain » qui pouvait naître de la doctrine de la primauté issue de Vatican I, en mettant l’accent sur la responsabilité globale du collège des évêques à l’égard de l’Église universelle. Par conséquent, à l’instar des anciens synodes ecclésiastiques, bien que d’une manière nouvelle, la réunion régulière de nombreux évêques avec le Pape a été institutionnalisée à travers le « Synode des évêques » (Christus Dominus 5), tout comme ont été créées des conférences épiscopales pour le bien de l’Église dans son ensemble. Or, dans l’hypothèse où, comme ce qui vient de se passer pour le Synode sur la synodalité, des laïcs nommés par le Pape reçoivent le même droit de vote que les évêques (lesquels jouissent de ce droit de vote en vertu de leur ordination épiscopale), le risque est que les évêques soient à nouveau éloignés du Pape et se trouvent face à lui comme des requérants devant un unique décideur, ce qui contredit le sens de la collégialité épiscopale. Par la double fonction de cette assemblée comme synode des évêques et comme forum de discussion au sein de l’Église, quelque chose est gagnée sur le plan de la coopération des évêques, des prêtres et des laïcs, d’une part, mais quelque chose, qui était le fruit précieux de Vatican II, est perdue sur le plan de la collégialité vécue entre le pape et les évêques.

J’ajoute que, lorsque des décisions visent à modifier la nature d’un organe relevant de la Constitution de l’Église, ce ne sont pas seulement les bonnes intentions qui sont en cause. De telles décisions doivent être en accord avec les données ecclésiologiques de base, résultant de normes de droit divin de la Constitution de l’Église. Il faut donc distinguer les différences essentielles entre les deux assemblées : le Synode des évêques (en tant qu’élément constitutionnel de l’Église) et un symposium ou forum théologique et pastoral composé de membres délégués appartenant à tous les états (clercs et fidèles).

R : La Révélation de Jésus-Christ, telle que contenue dans les Saintes Écritures, est complète et immuable, au sens où il ne peut y avoir d’autre révélation. Les modifications ou ajouts sont donc exclus. Cependant, la Révélation doit être interprétée à la lumière de l’enseignement et de la tradition apostolique de l’Église, sans changement apporté à l’énoncé lui-même. Est-il néanmoins permis d’interpréter la Révélation de manière nouvelle et différente, sur la base de nouvelles découvertes scientifiques ou culturelles, afin de modifier l’enseignement de l’Église ?

M. : La révélation de Dieu dans le Christ comme vérité et salut du monde n’est certainement pas une somme vaguement reliée d’idées hétérogènes, mais plutôt la présence constante du Seigneur crucifié et ressuscité dans le Saint-Esprit. Dieu lui-même annonce l’Évangile à tous par l’intermédiaire de l’Église (Éphésiens 3, 10). C’est le Christ ressuscité lui-même, élevé auprès du Père, qui, dans l’Esprit Saint, comble les croyants de sa grâce à travers les sept sacrements, les fortifie et les prépare à la vie éternelle dans une communauté de vie la plus intime avec le Dieu trinitaire. Le Christ est également présent et agit comme Chef de l’Église à travers les Apôtres et leurs successeurs dans l’épiscopat et le sacerdoce, qu’il a désignés comme pasteurs selon son cœur. Parce que, dans le Verbe devenu chair, la plénitude de la vérité et de la grâce est venue de manière irréversible et définitive dans le monde, « l’enseignement des apôtres » (Actes 2, 42), qui en témoigne, est immuable, insurmontable et indiscutable. Cependant, il existe une croissance dans la conscience de foi et dans la vie de grâce de toute l’Église. Nous devons être prêts à répondre à quiconque nous interroge sur le fondement rationnel (le logos divin) de l’espérance qui est en nous (cf. 1 Pierre 3, 15). Il ne faut pas s’écarter de la « saine doctrine », c’est-à-dire de la doctrine salvifique – la « sana doctrina » – à la seule fin de flatter les gens (2 Tim 4, 3). Car, dans le Christ, la plénitude de la vérité et de la grâce est venue dans le monde une fois pour toutes. En tant que Souverain Sacrificateur de la Nouvelle Alliance, le Christ « est entré dans le sanctuaire une fois pour toutes, en répandant […] son propre sang », obtenant ainsi la « libération définitive » (Hébreux 9, 12). Cet enseignement de la foi apostolique a été communiqué à l’Église afin qu’il soit transmis de manière fidèle et intacte (traditio).

Il existe une compréhension plus profonde tout au long de l’histoire de l’Église qui mène à la pleine révélation de la gloire de Dieu à la fin des temps. Mais il ne s’agit pas d’un changement au sens moderniste, où l’autorité de la Parole de Dieu serait déformée par sa réinterprétation dans un raisonnement humain, c’est-à-dire dans une considération rationnelle. Vatican II décrit ainsi le lien correct entre l’immuabilité de la Révélation finale et sa compréhension croissante dans l’écoute et la prière de l’Église : « Quant à la Tradition reçue des Apôtres, elle comprend tout ce qui contribue à conduire saintement la vie du peuple de Dieu et à en augmenter la foi ; ainsi l’Église perpétue dans sa doctrine, sa vie et son culte et elle transmet à chaque génération, tout ce qu’elle est elle-même, tout ce qu’elle croit. Cette Tradition qui vient des Apôtres progresse dans l’Église, sous l’assistance du Saint-Esprit ; en effet, la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît, soit par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur cœur (cf. Lc 2, 19.51), soit par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des réalités spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité. Ainsi l’Église, tandis que les siècles s’écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu. » (Dei verbum, 8).

R. : Le Concile a rappelé que les évêques, avec le Pape, avait pour charge de « diriger la maison du Dieu vivant » (Lumen gentium, 18). Bien que le Concile ait déterminé comment l’Église doit être gouvernée, l’actuel Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, l’Argentin et proche confident de l’actuel Pape, le cardinal Fernández, a déclaré au monde que seul le successeur de Pierre, c’est-à-dire le Pape, dispose du charisme de préserver la vraie foi et que ceux qui critiquent ce point de vue commettent une hérésie. De plus, les défenseurs de la doctrine sont qualifiés par le Préfet, de manière désobligeante, de « traditionalistes ». Vous qui êtes l’un des dogmaticiens les plus éminents de la Curie, voire de l’Église, pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont l’Église doit être gouvernée afin de répondre aux exigences de l’Écriture ? En particulier, quelle est la fonction du Pape dans ce contexte ?

M. : La doctrine du magistère infaillible du Pape (et des conciles œcuméniques) s’intègre dans la mission confiée à l’Église de préserver fidèlement et de manière intacte la Révélation, mais elle ne la précède ni même ne la domine. Les décisions doctrinales les plus élevées trouvent leur fondement dans le Pape non pas en tant que personne privée avec ses propres limites, mais en sa qualité d’« enseignant » de la foi chrétienne désigné par le Christ, « en qui, en tant que personne, le charisme de l’infaillibilité de l’Église elle-même est donné » (Lumen gentium 25). Cette autorité formelle est pleinement liée à l’enseignement du Christ et des Apôtres dans l’Écriture et la tradition (en particulier dans le credo, la liturgie, les sacrements et les définitions doctrinales dogmatiques antérieures). Pour le Pape et l’ensemble de l’épiscopat réunis en concile, ce qui suit s’applique cependant : « Mais ils ne reçoivent, comme appartenant au dépôt divin de la foi, aucune nouvelle révélation publique » (Lumen Gentium 25). Vatican I explique ainsi la dogmatisation de l’infaillibilité pontificale : « Car le Saint Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi. » (Pastor aeternus, chap. 4).

C’est donc de manière impropre qu’on parle de l’« enseignement social » du pape Léon XIII ou de la « christologie » du pape Léon le Grand. En effet, à proprement parler, les papes n’ont pas d’enseignement propre qui complète et actualise la Révélation ou qui s’adapte aux visions philosophiques du monde et aux idéologies politiques pour se conformer au prétendu progrès. Il en va tout autrement lorsque la théologie scientifique entre en débat avec les défis auxquels elle est exposée (par exemple, autrefois, avec la révolution industrielle ; aujourd’hui, avec la révolution technologique et les enjeux en matière de dignité humaine). Mais cette tâche exige de se montrer à la hauteur, de résister aux tendances de l’antihumanisme et du transhumanisme et de défendre la dignité personnelle inaliénable de chaque être humain contre la massification et l’utilisation des personnes comme de simples matériaux de guerre et à des fins économiques. L’apôtre dit. « Éprouvez tout et gardez ce qui est bon » (1 Thess. 5, 21).

R. : La question se pose de savoir quels critères doivent être appliqués pour interpréter la Révélation et donc le depositum fidei. En particulier, cette interprétation peut-elle aussi s’inspirer de l’air du temps pour adapter les croyances aux évolutions des sociétés ?

M. : La foi est la relation avec Dieu dans la connaissance et l’amour, qui aide l’homme à s’orienter dans le monde, dans la société et dans sa vie intérieure. Il existe des développements positifs dans la médecine ou la technique ou encore en ce qui concerne les valeurs au sein de l’État et la société. En tant que chrétiens, nous devons y contribuer avec une expertise professionnelle, mais aussi avec un esprit chrétien. De même, nous devons lutter de manière prophétique, y compris au risque du martyre, contre les évolutions négatives de la société de masse, ces évolutions pouvant se traduire par la tendance à se donner un « leader » ou un « bureau politique » dont la volonté de pouvoir l’emporte sur toute valeur morale. Je pense à nos frères chrétiens comme Dietrich Bonhoeffer, Alfred Delp, Maximilian Kolbe et à tous les martyrs du Christ dans les régimes totalitaires de notre époque.

R : L’égalité de traitement en matière de mariage – et donc le mariage homosexuel – sont revendiqués de manière toujours plus pressante au sein même de l’Église. Indépendamment du fait que l’Église peut, bien évidemment, bénir des croyants homosexuels, la question se pose de savoir si la bénédiction de mariages homosexuels peut être autorisée selon l’enseignement de l’Église ?

M. : La bénédiction vient de Dieu et est une expression de la grâce qu’il donne à sa création. Le rite de bénédiction de l’Église est une prière pour que ces grâces soient accordées individuellement à nous, les humains. Nous pouvons demander au prêtre, en tant que celui-ci est le représentant de l’Église du Christ, de prier pour que nos bonnes œuvres réussissent et que nous soyons libérés de l’attachement au péché. Mais il ne peut y avoir de bénédiction pour des actions qui sont par nature des péchés graves et contraires à la volonté de Dieu pour le salut et la conversion des pécheurs. On sait également que la faiblesse de la nature humaine se révèle précisément dans la sexualité, difficile à contrôler et ordonnée vers son but ultime, l’union de l’homme et de la femme dans un amour fécond. Le laxisme en matière de moralité sexuelle, tout comme le rigorisme, sont à l’opposé de la pastorale compréhensive du Bon Berger et du Maître de maison, qui ne recherche jamais sa propre louange par la flatterie, mais qui, toujours, « à temps et à contretemps » (2 Tim 4,2), conduit les fidèles sur le chemin du salut.

R. : Même si l’enseignement de l’Église n’autorise pas la bénédiction de ces unions car elles ne peuvent être considérées comme un mariage, cette interdiction pourrait-elle être levée pour des raisons pastorales ? Serait-il possible, dans des cas exceptionnels, de bénir des unions homosexuelles comme un mariage si, de l’avis du prêtre responsable, cela apparaît nécessaire pour des raisons pastorales ?

M. : Une pastorale qui a en vue le salut humain et non les applaudissements de l’opinion publique ne peut ignorer la vérité selon laquelle le mariage a été fondé par Dieu comme l’union de l’homme et de la femme dans laquelle la sexualité trouve sa place et son sens véritable.

R. : La doctrine interdit aux personnes divorcées remariées de communier. En effet, malgré le divorce, le premier mariage existe toujours selon le droit canonique, de sorte que le deuxième mariage et les suivants sont considérés comme coexistant avec le premier mariage. En conséquence, celui qui s’engage dans un deuxième mariage civil commet un adultère durable, considéré comme un péché mortel. Un tel acte conduit à l’exclusion de sa participation à la communion. Cette interdiction pourrait-elle être levée si, pour des raisons pastorales, une telle exclusion représente une contrainte déraisonnable ? Je pense simplement aux cas dans lesquels l’un des époux rompt le mariage, mais que l’autre veut le conserver, mais est néanmoins exclu de la communion ?

M. : L’enseignement de l’Église n’est pas une théorie qui s’oppose à la vie, mais la Parole vivante de Dieu, qui nous est annoncée par l’intermédiaire de l’Église. Dieu veut toujours nous conduire au salut, même si ce chemin peut nous paraître trop escarpé. Le magistère de l’Église doit s’orienter, ainsi que ceux qui entendent la Parole de Dieu, vers le Christ qui, au temps de la Nouvelle Alliance, a restauré le mariage indissoluble de l’homme et de la femme dans l’esprit du Créateur, son Père, et l’a même élevé à la dignité d’un sacrement. Le mariage sacramentel d’un homme et d’une femme représente l’unité durable du Christ et de l’Église et créée la grâce d’une coexistence harmonieuse et du soin de chaque époux à l’égard de son conjoint et de ses enfants. Le prêtre ne doit pas se prétendre plus humain que le Christ lui-même, dont il est le serviteur. Les sacrements ne lui sont pas confiés comme s’il s’agissait de rites religieux par lesquels il pourrait manifester sa générosité. Ce qui est pastoralement permis et sensé ne peut pas contredire la vérité divine telle que reconnue dans l’enseignement de l’Église. S’agissant d’un premier mariage qui a échoué, il faut vérifier si ce mariage a été validement célébré, ce qui n’est pas toujours le cas car beaucoup de mariés ne sont pas correctement informés sur les vérités de la foi dont ils célèbrent les symboles dans les sacrements. Il est ici important d’évaluer correctement la situation du point de vue du droit canonique afin de trouver une voie adéquate pour les personnes confrontées à de telles crises conjugales.

R. : Pensez-vous qu’il soit compatible avec les principes de la doctrine catholique qu’un prêtre puisse décider lui-même, pour des raisons pastorales, d’admettre à la communion les divorcés remariés ?

M. : Le prêtre doit s’en tenir à la vérité de l’Évangile. La pastorale signifie conduire les gens sur le bon chemin comme le fait le Bon Berger et ne pas viser approximativement le salut selon les critères d’un christianisme réduit à un humanisme pragmatique.

R. : Un divorcé remarié peut toujours aller communier dans une église où il n’est pas connu. S’il se confesse ultérieurement de cet acte, l’absolution peut-elle lui être accordée alors même qu’il entend continuer à communier pour des raisons de « besoin intérieur » ?

M. : Il s’agit là de subterfuges avec lesquels on peut tromper les gens, mais pas Dieu. La Sainte Communion n’est pas une question de soi-disant « besoins intérieurs » comme dans une religion émotionnelle, mais plutôt de communion réelle avec Jésus dans le sacrement de l’Église, qui présuppose la communion religieuse et morale avec Lui, l’exprime et permet la conformité intérieure avec lui. Dans tous les cas, la personne déjà baptisée doit être conduite de l’état de péché mortel à l’état de sanctification par le repentir complet et la réception du sacrement de pénitence. Ce que les fidèles des différentes paroisses savent, ne savent pas, ou même supposent au sujet des participants au culte qu’ils connaissent et qu’ils ne connaissent pas n’est pas pertinent pour la réception valide et/ou digne de la Sainte-Cène. Il reste qu’un sage discernement pastoral peut intervenir dans les nombreux cas où l’un des deux époux n’a pas quitté son conjoint par méchanceté et s’est attaché à un autre partenaire parce qu’il lui semblait au-dessus de ses forces de rester seul, c’est-à-dire surtout dans les situations où l’invalidité du premier mariage ne peut être prouvé canoniquement.

R. : Dans son exhortation apostolique Ordinatio Sacerdotalis de 1994, le pape Jean-Paul II a rappelé, de manière contraignante, que seuls les hommes peuvent être ordonnés prêtres. Il a souligné que l’Église n’a pas le pouvoir d’ordonner des femmes prêtres et que sa décision doit être considérée comme définitive. Cependant, des doutes s’entendent de plus en plus sur la question de savoir si le pape de l’époque pouvait prendre une telle décision définitive, décision qui, en outre, n’a pas été proclamée ex cathedra et comme un dogme. Quel est donc le statut juridique d’une telle exhortation apostolique ?

M. : Le fait qu’une décision soit déclarée infaillible ex cathedra n’établit pas la vérité d’un enseignement de l’Église sur un point précis (en l’occurrence, ici, sur la qualité de la personne habilitée à recevoir le sacrement de l’ordre), mais a pour seul objet d’exprimer publiquement cette décision. La décision dogmatique selon laquelle seul un homme peut recevoir ce sacrement dans ses trois degrés (évêque, prêtre et diacre) est fondée dans toute la tradition de l’Église et constitue donc une vérité révélée et un fait de droit divin (dans mon livre Der Empfänger des Weihesakrementes, Würzburg 1999, j’ai rassemblé et interprété toutes les sources et références pertinentes à cet égard). Ainsi, en cette matière, et ainsi qu’il ressort de la volonté exprimée par le Pape, il s’agit d’une décision définitive et qui relève du dépôt de la « foi divine et catholique ». C’est donc un effort inutile que de réfléchir, par sophisme, sur cette décision doctrinale dans le but de la contourner, alors que, d’un autre côté, certains entendent attribuer le statut de nouvelle vérité révélée aux opinions privées du pape régnant, même sur des sujets qui ne sont pas pertinents pour la Révélation (par exemple l’obligation de vaccination ou le changement climatique).

R. : Alors que presque plus aucun fidèle ne se confesse et que, en pratique, les possibilités de confession ont largement disparu (outre le fait que le Confitor est rarement récité pendant la messe…), le pape François semble remettre en question la nature du sacrement de confession. Traditionnellement, l’octroi de l’absolution dépend du repentir du pénitent à l’égard de ses péchés. Pourtant, le Pape estime que, dans des cas particuliers, en l’absence même de repentir, l’absolution peut être accordée si des raisons pastorales le justifient. Le sacrement de confession pourrait-il ainsi être modifié ?

M. : La pastorale ne peut envisager une bénédiction des personnes qu’à la condition qu’elle soit fondée sur la vérité de la Révélation. Le sacrement de pénitence se compose du repentir, de la confession orale des péchés et de la réparation des dommages causés au prochain, à soi-même et à l’Église entière, après quoi le prêtre peut pardonner les péchés par l’autorité de l’Église. Dans le cas où les conditions intérieures font défaut, notamment l’intention d’éviter le péché, le prêtre doit refuser l’absolution, car Dieu lui-même ne pardonne pas le péché du pécheur impénitent, parce que le péché entre en contradiction avec l’amour de Dieu. Et Dieu tient aussi compte de notre liberté de rejeter son pardon, même dans le sacrement de pénitence.

R. : Je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que les raisons pastorales invoquées pour accorder l’absolution visent uniquement à camoufler la conviction que l’acte répréhensible ne devrait plus être considéré comme un péché, afin qu’il n’y ait aucun obstacle à l’octroi de l’absolution. Peut-on reconnaître un relativisme dans la revalorisation du péché, relativisme contre lequel le pape Benoît XVI entendait lutter ?

M. : Le Christ est mort pour nos péchés. Tous les hommes ont perdu la gloire de Dieu et ont besoin de la rédemption offerte par le sacrifice que le Fils de Dieu a offert au Père sur la croix pour le salut du monde, alors qu’il était lui-même sans péché. Si vous éloignez les personnes de la conscience du péché, vous apaiserez peut-être leur conscience, mais vous ne les libérerez pas du fardeau de la culpabilité. Un médecin ne parle pas au patient des symptômes, mais remonte plutôt à la cause de ceux-ci afin de guérir le patient par un traitement approprié.

R. : Les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont expliqué et défini dogmatiquement les enseignements de l’Église. Or, un tiers non impliqué ne pourrait que constater le manque de clarté de l’argumentation dans les déclarations du pape François. Dans son argumentation, il s’appuie sur son fidèle de longue date, Fernández, qu’il a non seulement élevé au rang de cardinal, mais qu’il a également nommé Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, bien que celui-ci ait fait l’objet à plusieurs reprises de doutes significatifs sur ses qualifications théologiques et qu’il soit soupçonné d’avoir dissimulé des abus sexuels en Argentine. Est-il logique de confier à un tel théologien la tâche importante de veiller à l’enseignement de l’Église ?

M. : On m’a souvent posé des questions sur ce sujet. Le Pape est responsable de ses propres décisions dans le choix de ses collaborateurs. Quant à moi, je m’efforcerai à l’avenir, avec l’aide de la Grâce, de répondre aux questions sur la doctrine catholique sans me laisser influencer par les louanges ou les reproches humains. Le Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi est tenu, en conscience, de fournir au Pape des avis professionnels et qualifiés pour l’exercice de sa charge d’enseignement suprême, de même qu’il doit, de manière constructive et critique, identifier les bornes entre lesquelles le Magistère doit se déployer. Il ne saurait donc être seulement un instrument d’exécution mécanique d’une autorité supérieure autoréférentielle. Je renvoie à mon livre Der Papst. Sendung und Auftrag (Le Pape. Mission et Charge), Freiburg.

R. : Construire l’amitié avec Dieu est le but de notre vie, comme le disaient les anciens mystiques : une relation intime avec Dieu. Cette relation peut être un modèle pour d’autres croyants qui ne sont pas proches de Dieu mais qui souhaitent néanmoins parvenir à cette proximité. Comment pouvons-nous devenir « un signe et un instrument d’union avec Dieu » et ainsi convaincre les autres du désir de rechercher cette amitié avec Dieu ?

M. : Par une vie de foi dans l’amour.

R. : Nous, croyants, avons reçu de Dieu la responsabilité d’être les messagers de son enseignement. Comment pouvons-nous être à la hauteur de cette mission ?

M. : Dans la mission que Jésus nous a confiée, nous poursuivons sans crainte celle que Jésus a reçue du Père pour le salut du monde. Il ne s’agit pas d’imposer notre vision personnelle du monde et nos jugements moraux aux autres (par exemple par des menaces ou des flatteries). Par amour pour eux, nous sommes plutôt les ambassadeurs de l’amour inconditionnel de Dieu pour toute personne qui veut faire de nous ses fils et ses filles dans le Christ, par la puissance du Saint-Esprit, afin que nous puissions devenir héritiers de la vie éternelle. Je ne pense pas qu’il nous faut, avec frénésie, rechercher des méthodes. Un couple musulman est devenu catholique et s’est fait baptiser parce que, pour la première fois de leur vie, ils ont reçu l’amour pour eux-mêmes dans une communauté chrétienne sans rien attendre en retour. Cette pure charité leur a ouvert la porte à l’amour de Dieu par-dessus tout et à la certitude que Dieu nous aime de manière inconditionnelle : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3, 16).

R. : Votre Éminence, je vous remercie pour cette interview.

Traduit de l’allemand par Jean Bernard

© LA NEF pour la traduction française, le 8 décembre 2023, exclusivité internet