Messe conventuelle à l'abbaye de Randol

Un symposium sur la musique sacrée à Rome

Depuis sa réunion à Lyon en octobre 2019, la CIMS a pris du temps pour réfléchir. Ce long temps d’analyses minutieuses a fait mûrir le projet d’un symposium romain autour d’un thème un peu insolite au premier abord : Physical Dimensions of Liturgical Celebrations : Consequences for the Sacred Music in the World of Technical Media Today (Conséquences pour la Musique Sacrée dans le monde des techniques liées aux médias actuels). Il s’est tenu du 10 au 12 novembre 2023, avec une quarantaine de participants, provenant de 13 pays différents.

Pour le traiter, il a été fait appel à diverses compétences dans le but d’éclairer ce domaine complexe des médias dont l’intrusion risque de fait d’amoindrir le sens authentique de la liturgie, en faisant écran au précieux écrin sonore qui chante les Mirabilia Dei ! Certes l’époque met à notre disposition et avec profusion divers « moyens », mais ces « médias » se révèlent plus ou moins heureux, risquant de porter atteinte à la pureté et à la simplicité de l’ordre sacramentel par lequel Dieu vient nous toucher et nous sauver.

La CIMS dépend du Dicastère du Culte Divin : prévenu de la tenue de cette réunion, l’Archevêque-Secrétaire, Mgr Vittorio Francesco Viola, a envoyé un message d’encouragement. Et les travaux se sont tenus du 10 au 12 novembre à l’Institut Pontifical de Musique Sacrée à Rome (PIMS), autour du Rév. Père et Maître RobertMehlhart (OP), son Président récemment nommé.

L’aspect proprement liturgique de ces journées consista en une soirée à la mémoire des défunts de la CIMS, avec un concert vraiment remarquable dans l’église du PIMS : le professeur d’orgue de l’Institut, le R.P. Théo Flury, moine suisse d’Einsiedeln, improvisa à partir de deux interventions chantées des participants (une partie du Dies irae et l’Introït Requiem), puis l’In Paradisum et deux pièces musicales de J.S. Bach. La messe du samedi fit honneur à la polyphonie dont la composition contemporaine était due en partie à deux anciens étudiants, désormais maîtres de chapelle à la cathédrale de Vérone, Giovanni Geraci, et à celle Florence, Michele Manganelli : la chorale était composée d’étudiants actuels du PIMS, dirigée par le Pfr. Marzilli, professeur à l’Institut. Le lendemain, la même chorale assura également la messe dominicale sous la direction du Pfr. Autrichien Franz Praßl qui enseigne le grégorien au PIMS ; les mélodies et l’interprétation n’étaient pas d’inspiration solesmienne.

Mais venons-en aux interventions qui se sont succédé sur ces deux journées. Le Pfr. Fabrice Hadjadj est intervenu le premier sur cet étrange face-à-face entre puissance technologique et puissance évangélique (Pape François en Laudato si’). Le sacrement dont la liturgie forme donc l’écrin précieux, impose un contact, un toucher que les médias, eux, ne font que simuler. La théologie sacramentaire précise cela autour de la notion d’instrument. S. Thomas d’Aquin a développé à ce sujet une robuste pensée, non pas à partir de l’essence de la technique, mais en se laissant interroger par le mystère du salut, puisque c’est Dieu qui y prend l’initiative. En contrepartie malheureusement, le monde technologique falsifie à satiété la notion d’instrumentalité.

Nous avons écouté ensuite le Pfr. Wolfgang Koch, physicien de l´université de Bonn ; il est responsable de plusieurs Instituts et entreprises technologiques de recherche, concernant entre autres les nouveaux armements usant de l´intelligence artificielle (il est conseiller au ministère de la défense d´Allemagne et à l´OTAN). Cette technologie est basée sur une possibilité accrue de fusion des sens, d’où le titre de sa conférence qui parle de lui-même : Fusion des sens, perception du réel comme un tout : le point sur l’apport des sciences.

Puis le Pfr. Sloboda de Londres décrivait en tant que psychologue de la musique le rôle particulierduson dans la perception sensorielle, ce qui donne au chant de s’introduire doucement dans la vie liturgique.

Changement de décor, avec, après le repas, le Pfr. Sible de Blaauw de Nimègue, historien renommé des édifices du culte chrétien. Il a présenté la basilique romaine comme l’espace approprié pour la liturgie, y compris pour l’acoustique, le rassemblement des fidèles (en assemblée!), se développant de l´antiquité jusqu´a la renaissance.

À sa suite, S. Exc. Mgr. Manuel Nin, Éxarque apostolique d’Athènes (après avoir été moine bénédictin à Montserrat), donna un large éclairage liturgique sur les sept Église orientales.

La fin de l’après-midi fut consacrée à une table ronde sous la conduite du Pfr. Jeroen Boogaarts, neurochirugien-musicologue renommé de Hollande (la CIMS doit beaucoup à son père durant les dernières décennies). Quatre personnes intervinrent sous sa conduite : le doyen de la faculté de musique à l’Université de Kaslik (Liban), le père Miled Tarabay, M. Marc Jeanson (France), connu pour ses vidéos et films en milieu monastique, Pfr. Ramón Saiz-Pardo de Cordoba (Espagne), enseignant à l’Université romaine de l’Opus Dei, et enfin Mme Maud Hertz de Lyon, secrétaire du groupement français des chorales ANCOLI (Association nationale des chanteurs et chorales liturgiques).

Tour à tour furent soulignés le rôle proprement liturgique de l’écoute, du chant et de la parole, puis la façon de visionner et transmettre une liturgie, en y incluant autant que possible le silence sacré : pour le transmettre ainsi à un public disjoint du lieu de la célébration, la technique doit elle-même respecter le grand Mystère de la foi. Adoration et Silence furent souvent mentionnés comme devant s’associer. En outre, le Pfr. Boogaarts lui-même souligna l’odorat comme une composante trop peu reconnue du contexte liturgique : l’encens bien sûr, qui intervient depuis les débuts pour célébrer le Christ-Roi, mais aussi l’inévitable et saine promiscuité d’une assemblée ; l’effort pour accéder ainsi au divin est ici loin d’être vain, mêlant le support mutuel aux volutes du parfum. Ce fut donc là le programme du samedi 11 novembre.

Après la messe dominicale du lendemain, le Pfr. Marzilli, enseignant au PIMS, a donné une conférence de haut vol sur les périls que court la Musica Sacra face au principe des retransmissions. Le funeste adage « traduire- trahir » est ici difficile à éviter. Y compris avec les firmes les plus sérieuses, il a été lui-même témoin d’enregistrements réputés fidèles qui étaient plutôt manipulés.

Pour ma part et à la suite de toutes les interventions, je soulignerais deux remarques de bon sens :

1) le mieux est l’ennemi du bien, surtout dans le domaine liturgique où les prétentions teintées de voyeurisme sont contradictoires de l’humble ouverture au divin ;

2) un fruit cueilli sur l’arbre donne alors toute sa saveur, tandis que mis en « conserve », il devient obligatoirement dévalué. Depuis l’Incarnation rédemptrice le culte rendu à Dieu a de quoi faire goûter pleinement ses ineffables conséquences de grâce. Mais cela requiert une grande modestie pour percevoir et accéder à ce réel surnaturel ; en revanche ce qui, indépendamment de la foi, serait perçu comme un progrès, fait sombrer, aux yeux de la foi, dans la médiocrité banale qui dénature le culte en esprit et en vérité. Pfr. Marzilli a cité ce mot sévère de Carlo Acutis : L´homme naît comme un original, et souvent il meurt comme une copie.

Le climat simple et convivial du symposium, souligné par plus d’un participant, a été un encouragement pour discerner cela, et donc déjà une bénédiction d’ordre proprement liturgique. Au delà des éclairages pertinents, chacun pouvait goûter le beau trésor qu’est la foi chantée : l’Église qui chante son Seigneur s’y découvre visiblement comme la famille chaleureuse de ceux qui professent la foi : en ces heures bénies, ce ne fut pas un vain mot. L’Église associe à merveille la pure joie avec le recueillement modeste et paisible de la contemplation.

Au terme de nos travaux, voici pour l’essentiel la conclusion que j’ai pu ainsi donner de ce symposium.

Le souci d’une participation vivante à l’événement liturgique est bien sûr indispensable ; mais il faut simplement constater que les médias quels qu’ils soient, ne peuvent pas donner la présence vitale, pour ne pas dire la présence « réelle », c’est-à-dire à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire touchant à la fois l’âme et le corps. Sans quoi, une participation médiatique à une liturgie n’atteint, au mieux, qu’un étalage plus ou moins édifiant d’une réalité dès lors dévaluée.

Il en va ainsi depuis longtemps déjà pour les soutiens par microphone, comme par écran, en fonction de la diversité des situations, spécialement les grands espaces, stade, aéroport…

Néanmoins, une participation vivante imprégnée de saine piété et bien recueillie devient alors chez tout homme une participation spirituelle précieuse, chacun à son niveau. Elle prend ici une valeur authentique de la plus grande importance, en tant que participation réellement vécue : la transmission médiatique de la liturgie peut y prendre un bel essor, appuyée sur une valeur nettement plus élevée, d’autant plus que l’écoute et l’attention personnelle qu’elle suscite, éloignent des troubles banals du quotidien, à base de sentiments confus et centrés sur l’ego. Tandis que tout à coup, voilà que désormais chacun peut se tendre doucement vers ce qu´il écoute, se détendre loin du vacarme stérile.

C’est alors le grand mystère de la foi qui se découvre, fides ex auditu. Oui, on le sait bien, un silence rempli de spiritualité nous arrache et nous éloigne du futile : il fait partie de cette écoute priante et recueillie, y puise et en retour l’approfondit.
Ceci dit, on doit être bien conscient du fait qu’une participation « active » de tous les participants présents à une célébration limite musicalement le répertoire liturgique, le réduisant à des chants qui, certes, peuvent être repris par l’ensemble du peuple présent : mais à s’en tenir là, c’est faire l’impasse sur la majeure partie du Thesaurus Musicae Sacrae (cf. Sacrosanctum Concilium, art. 114) ; celui-ci non seulement ne serait pas entretenu avec le plus grand soin (« summa cura servetur et foveatur »), il serait plutôt complètement banni de l’exécution liturgique.

En revanche, un retour à cette directive du Concile suggérerait, précisément pour les liturgies transmises par médias, de privilégier ces « bijoux » précieux musicaux du Thesaurus Musicae Sacrae. Participants réels et participants par voie médiatique auraient tous la possibilité d’être alors unis d’une façon vivante dans l’écoute vraiment spirituelle, écoute remplie d’esprit, remplie du Saint-Esprit.

+ Fr Hervé COURAU
Président de la CIMS

© LA NEF le 8 décembre 2023, exclusivité internet