Le pape François ©Wikimedia Jeffrey Bruno de New York , États-Unis

Le synode vu par un prêtre de terrain

Comment ce synode romain est-il reçu et vécu par les pasteurs de terrain ? Regard filial et critique d’un prêtre de paroisse sur le synode, sur le sacerdoce aujourd’hui, sur les priorités réelles de l’Église.

Nous ne savons pas grand-chose du synode, faute d’y participer directement. Nous sommes sur le terrain, dans le labour patient d’une vie paroissiale et « nous sentons l’odeur des brebis ». Nous recueillons quelques bruits épars qui suscitent globalement l’indifférence, mais alimentent pour certains une inquiétude diffuse, pour d’autres l’espoir de réformes concernant la place des femmes ou la fin d’une morale prétendument « rigide ». L’avènement d’une Église « synodale » se présente aussi, du moins implicitement, comme la réponse à la crise des abus sexuels commis par certains clercs. L’un des axes inavoués des travaux des « pères et des mères synodaux » semble être la déconstruction de l’autorité du pasteur au profit de « processus décisionnels » collectifs, lesquels permettraient de détruire les germes du cléricalisme, considéré comme la racine de tous les maux.

Évoquer en permanence les dangers du cléricalisme dans un monde presque totalement déchristianisé et une Église exsangue en vocations sacerdotales, qui a connu depuis une décennie une chute spectaculaire (pour Paris, le nombre de séminaristes a baissé de plus de 50 %), n’est-ce pas tirer à bout portant dans ce qu’il nous reste de pied pour marcher ? Nous aimerions entendre des paroles sur la beauté du sacerdoce, implorer le Seigneur d’envoyer des ouvriers à sa moisson et prier pour que les prêtres soient de bons serviteurs du peuple de Dieu, enracinés dans la vie intérieure. « S’il en est besoin, dites une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent », dit l’apôtre (Ep 4, 29). Les prêtres, particulièrement les plus jeunes, ont tant besoin d’être encouragés et consolés dans les épreuves du ministère.

Le minimum est de dire que ce synode ne suscite pas l’enthousiasme des jeunes catholiques fervents, qui n’ont que peu assisté à la phase préparatoire. À Paris, seulement 14 % des participants avaient entre 20 et 35 ans. Le chiffre parle de lui-même. Les jeunes ont une soif d’identité et de clarté, un désir de formation et une souplesse certaine dans l’expression des sensibilités. Ils passent tour à tour du pèlerinage de chrétienté au Congrès Mission, du Gloria des Anges à une soirée de louange et de guérison.

Le pape François a tenté, dans son homélie lors de la messe inaugurale du synode le 4 octobre, médiatiquement occultée par ses réponses aux dubia et ses multiples interprétations possibles, de trouver un point d’équilibre. Il veut éviter de crisper les débats autour de questions controversées et renvoie dos à dos la tentation de la « rigidité » comme la soumission à un « agenda dicté par le monde ». Le synode est appelé, dit le Saint-Père, à bâtir « une Église qui a Dieu en son centre et qui, par conséquent, ne se divise pas à l’intérieur et n’est jamais dure à l’extérieur ». Il met en garde contre « un regard immanent, fait de stratégies humaines, de calculs politiques ou de batailles idéologiques ».

L’Église n’est pas créatrice d’elle-même

Il est évident que les coulisses d’un synode, comme d’un conclave, bruissent de stratégies mondaines, d’intimidations et de séductions. L’homme est ainsi fait, le monde ecclésiastique encore davantage, car il est facilement recouvert d’un vernis de charité et d’onctuosité romaine. Nous ne pouvons qu’acquiescer au souhait d’unité prôné par le Saint-Père. Cela n’empêche pas de réfléchir ni d’émettre des critiques constructives. « On enlève son chapeau dans une église, mais pas sa cervelle », disait Chesterton. Le cardinal Fernandez accuse d’hérésie et de schisme ceux qui critiquent la « doctrine du Saint-Père » (National Catholic Register, 8 sept. 2023). Il n’y a pas à proprement parler de « doctrine du Saint-Père », mais la foi catholique révélée en Jésus-Christ dont nous sommes les serviteurs et non les maîtres, quelles que soient les orientations d’un pontificat.

Au fond les choses sont simples. La vérité concernant la foi et les mœurs, la structure fondamentale de l’Église, la vie sacramentelle, les fins dernières, émane-t-elle de la « base », par un dialogue démocratique prétendument « dans l’Esprit Saint » qui parvienne enfin à un consensus ? Ou bien est-elle à accueillir « à genoux » par la Révélation d’un amour exigeant, qui nous dépasse, transmis en plénitude par le Christ et porté par la tradition vivante de l’Église, par ceux qui ont témoigné de la foi au prix de leur sang ? L’Église n’est pas créatrice d’elle-même et nous n’avons pas à définir nos propres critères moraux mais à écouter la Loi du Seigneur. « Soyez saints car je suis saint », dit le Seigneur (1 P 1, 16).

Il n’en reste pas moins vrai que des questions nouvelles se posent sans cesse sur le terrain d’une paroisse, qui prennent de l’ampleur, et que l’Église ne peut laisser de côté. Par exemple le nombre de personnes divorcées « remariées » qui, pour certaines, revendiquent le droit de communier en invoquant « l’esprit du pape François », les « couples » homosexuels qui demandent le baptême pour un enfant adopté ou né par PMA, les fiancés qui vivent quasiment tous dans une forme de concubinage, l’ignorance, pour beaucoup qui frappent à la porte de l’Église, des fondements les plus élémentaires de la catéchèse. Les prêtres ordonnés pour une communauté traditionaliste ont généralement la grâce d’être entourés de fidèles formés et culturellement homogènes qui prennent soin d’eux et ne remettent pas en cause l’enseignement constant de l’Église. Un prêtre dans une paroisse déchristianisée et qui succède à des décennies d’une pastorale « inclusive » fondée sur un accueil inconditionnel qui s’emploie à éviter tout « clivage », et centrée davantage sur le pôle caritatif que sur la formation catéchétique, n’a pas le même soutien. Il faut de tout dans l’Église. Des pasteurs qui prennent soin des familles ancrées dans la foi, et d’autres qui sont davantage en première ligne dans les sables mouvants d’une société « liquide » où l’Église tente de se frayer un chemin difficile, qui évite rarement les tâtonnements, les écueils ou les erreurs de jugement.

Quel catholique, quel évêque ne serait pas préoccupé par le souci de toutes les âmes ? Combien de souffrances cachées, de culpabilités enfouies, de blessures qu’il nous faut commencer par écouter et apaiser comme le bon samaritain versa sur les plaies de l’homme de l’huile et du vin en le conduisant à l’auberge, image de l’Église ? Mais aimer tous les hommes, c’est aussi leur indiquer, à la mesure de leur croissance, le chemin d’une vie exigeante et sainte conforme à l’objectivité du bien.

Ne pas vouloir légiférer sur tout

Rome doit laisser aux pasteurs de terrain le soin de discerner le meilleur chemin à proposer face aux cas particuliers qui se présentent et éviter à tout prix de vouloir légiférer de manière globale, au risque de tomber dans une insupportable casuistique et d’aggraver les divisions. La charité pastorale d’un prêtre en paroisse s’emploie à rejoindre des personnes qui vivent des situations complexes ou objectivement peccamineuses, mais « amour et vérité se rencontrent » (Ps 84). Donner du lait ne signifie pas renoncer à la nourriture solide, encore moins entretenir le flou concernant des vérités révélées, au risque de créer une extrême confusion. Aimer tous les hommes, c’est rappeler leur vocation à la sainteté.

Le plus sage demeure de faire le bien là où nous sommes, de ne pas se mettre la rate au court-bouillon et de continuer d’enseigner la foi de l’Église, en prenant soin des brebis là où elles en sont, avec le plus de délicatesse pastorale possible, mais en ne renonçant jamais à les conduire à la montagne sainte que nous devons, comme prêtres, monter en premier dans une inlassable conversion. Non pas d’abord celle d’une réforme des structures par l’initiation de « processus » ecclésiaux mais celle d’un cœur qui se tourne résolument vers le Seigneur. La conversion est personnelle, ou elle n’est pas. Le reste passera comme neige au soleil, et la montagne accouchera peut-être tout bonnement d’une souris. Pourvu qu’elle ne grignote pas les fils qui nous relient à la longue tradition qui nous vient des apôtres et qu’elle nous entraîne à faire un petit pas de plus vers le Seigneur de la vie qui demeure éternellement, par-delà les contradictions des hommes, Maître des temps et de l’histoire.

Père Luc de Bellescize

© LA NEF n°364 Décembre 2023