Quelqu’un sortira-t-il gagnant de l’adoption de la dernière loi Immigration ? À l’heure où nous écrivons, seuls Les Républicains pouvaient s’enorgueillir d’y avoir joué un rôle déterminant, un rôle surdéterminant plutôt, étant donné leur peu de poids politique général depuis les élections de 2022. Nul doute que MM. Retailleau, Larcher, Ciotti et tutti quanti en bomberont longtemps le torse. À peu de choses près, c’est leur proposition de loi sénatoriale qui a été finalement adoptée.
Mais le RN qui pavoisait les jours suivant l’adoption, expliquant que s’il avait voté contre, la loi ne serait pas passée, a-t-il raison d’en tirer gloire, lui qui a dû se contredire et se dédire, notamment pour la régularisation des travailleurs des métiers en tension ? Surtout, il a été montré que même à propos d’un sujet aussi chatouilleux que l’immigration, la France n’avait plus besoin du Rassemblement national pour évoluer. Aussi, quelle sera désormais la spécificité du parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella ? Les parlementaires LR et de la majorité qui ont voté le texte ne sont pas si sots qu’on pourrait le croire : ils savent bien ce que pensent et veulent leurs électeurs – moins d’immigration sauvage – et ils leur ont donné – provisoirement – des gages. Il se peut que le RN se soit fait couper l’herbe sous le pied sans s’en rendre compte.
Mais l’essentiel n’est pas là : la réaction du président de la République devant ce vote et cette loi pour lesquels il a directement manœuvré est stupéfiante : aussitôt que la loi est adoptée, il s’empresse de faire savoir que d’une part cela n’a rien à voir avec le RN dont il faudrait décompter les votes ; que d’autre part il la transmet en personne et incontinent au Conseil constitutionnel, en espérant que seront censurés les articles qui lui déplaisent. La manœuvre est grossière et ne manquera pas d’alimenter les perpétuels débats sur la souveraineté du peuple opposée à l’État de droit ou au gouvernement supposé des juges, ou encore sur la distinction des pouvoirs.
Pour notre part, nous ne sommes pas du tout intimement convaincus que la démocratie, parlementaire ou non, constitue la meilleure des formes de pouvoir, mais admettons. Les Français sont ainsi faits qu’ils adulent leur république présidentielle, qui rime avec stabilité (quoique de moins en moins, à cause du quinquennat entre autres), et réclament dans le même temps que leur représentation parlementaire jouisse d’une grande considération. Il faut reconnaître que sous Emmanuel Macron, le prestige de l’Assemblée nationale n’a fait que diminuer (étrangement, le Sénat a enfin commencé à servir à quelque chose en revanche) : mais n’est-ce pas l’esprit gaulliste dont tout un chacun (et c’est louche) se réclame toute la sainte journée ?
Mais si l’on nous permet, l’essentiel n’est toujours pas là : à droite, il est de bon ton de s’élever contre « l’État de droit », le terme restant généralement indéfini. Est-ce à dire qu’on considère que la voix du peuple dût être entendue toujours, immédiatement, et sans contestation ? Est-ce à dire alors que le référendum (lequel va avec la présidentialisation du régime et donc contre la voix parlementaire) serait la réponse à tout ? Il faudrait avoir oublié l’histoire et ne rien connaître à la nature humaine pour être si confiant. Un catholique ne le sait-il pas mieux que n’importe qui : si le péché originel a été effacé, ses conséquences demeurent, et avec elles la possibilité du mal, qu’il soit individuel ou collectif. C’est pourquoi des bornes ont été érigées et parmi elles des limites politiques. Les modernes les appellent constitutions ou traités fondamentaux, ou droits de l’homme.
Nous connaissons d’autres limites, notamment morales, mais dans l’état actuel, nul ne voudrait les entendre. Et c’est notamment le drame des lois qui viennent – car, comme dit Emmanuel Macron : « l’adoption du texte permettait de passer à autre chose et de revenir aux fondamentaux en début d’année prochaine » –, celle sur la fin de vie comme celle sur la constitutionnalisation de l’avortement : elles relèvent d’autres lois que celles que se donnent des petits hommes un beau matin. Mais qui en sera le juge ? Aussi l’époque tourne-t-elle en rond, réclamant un jour l’aboiement du peuple, le lendemain le ciel des idées. Pour nous, nous préférons rester catholiques.
Jacques de Guillebon
© LA NEF, exclusivité internet, mis en ligne le 21 décembre 2023