Baptême de saint Augustin © G.Garitan Wikimedia

Brève histoire de l’apologétique

Bref survol historique de l’apologétique chrétienne depuis ses origines jusqu’au début du XXe siècle.

L’apologétique, née de l’opposition à la foi chrétienne, existe dès les origines du christianisme. Selon la nature de ses adversaires, des progrès des connaissances humaines et de la réflexion philosophique, l’apologétique évoluera constamment durant les deux millénaires de l’histoire du christianisme :

1. Durant l’Antiquité, l’apologétique défend la foi chrétienne naissante contre le judaïsme pharisien, le paganisme et les hérésies christologiques et gnostiques.

2. Au Moyen Âge, elle concentre ses efforts principalement contre l’islam, son seul véritable adversaire.

3. Aux XVIe et XVIIe siècle, ce sont les controverses entre catholiques et protestants qui dominent le débat.

4. Après le milieu du XVIIe, les adversaires du christianisme se multiplient : rationalisme des Lumières, naturalisme, positivisme scientifique, athéisme. L’Église est attaquée sur son rôle historique et la Bible sur son inerrance. L’apologétique combat sur tous ces fronts et se spécialise.

1. Face au judaïsme et au paganisme. Les pharisiens reprochaient aux premiers chrétiens de ne pas respecter la Loi. De plus, le Christ, mort ignominieusement sur une croix, ne pouvait correspondre au Messie triomphant qu’ils attendaient. Saint Justin (+ 165 ap. J.-C.) dans son Dialogue avec Tryphon le Juif (c. 155), fut le premier à répondre à ces objections dans un traité argumenté. Il se sert surtout de l’argument prophétique en montrant que Jésus correspond au Messie annoncé par les prophètes. Pour lui, ce sont les disciples du Christ qui sont les vrais enfants d’Israël. Il sera suivi par Tertullien, dans Contre les Juifs (c. 200), et saint Cyprien, avec ses Trois livres de preuves contre les Juifs (c. 250).

L’opposition du paganisme envers les premiers chrétiens, due essentiellement au refus de ces derniers de rendre un culte divin à l’Empereur, fut plus dangereuse et conduisit à une persécution qui dura plus de deux siècles. Les calomnies se répandirent contre les chrétiens qui furent accusés de rites abominables (festin de chair infantile et luxure débridée). Contre ces attaques, certains Pères de l’Église rédigèrent des traités, comme l’Apologie de saint Justin (c. 150) et l’Apologétique de Tertullien (197) adressés aux empereurs dans le but d’obtenir la cessation des persécutions. D’autres essais furent écrits pour convaincre les païens de la vérité du christianisme, comme le Vrai Discours contre Celse (248) d’Origène et surtout, La Cité de Dieu (414-426) de saint Augustin. Dans ces écrits, ces auteurs soulignent le contraste entre la moralité lâche de la société païenne et la vie exemplaire des chrétiens.

2. Contre l’islam et les hérésies. Durant le Moyen Âge, le principal adversaire du christianisme fut l’islam. Après les conquêtes arabes des VIIe et VIIIe siècles, de nombreux chrétiens se retrouvèrent gouvernés par des princes musulmans (Syrie, Égypte, Arménie, Espagne) avec un statut inférieur de dhimmis. Le danger de conversion de nombre d’entre eux à l’islam était réel. Saint Jean Damascène (675-c.750) fut le premier à défendre les vérités chrétiennes face à l’islam triomphant, dans sa Discussion entre un sarrasin et un chrétien (c. 745). La philosophie rationaliste de certains penseurs arabes, tel Averroès (1126-1198), n’était pas moins dangereuse. Contre ce rationalisme qui niait la création du monde, la providence ou l’immortalité de l’âme, et contre l’hérésie cathare saint Thomas composa sa Somme contre les Gentils (1261-1264). Saint Thomas y réfute les principales erreurs des philosophes arabes, juifs et grecs, et montre que le véritable enseignement d’Aristote confirme les grandes vérités de la religion chrétienne. Contre les cathares, saint Thomas montre que le monde est bon et que le Christ est vraiment homme. Durant le Moyen Âge, des juifs et musulmans convertis au christianisme produisent des écrits pour tenter de convaincre leurs ex-coreligionnaires de faire de même.

3. Controverses avec le protestantisme. La naissance de la Réforme protestante avec Luther (1483-1546) donna lieu à une polémique d’une rare violence entre théologiens protestants et catholiques sur les problèmes de la grâce, de la Tradition, de l’autorité dans l’Église. Les écrits des deux camps furent d’abord violemment polémiques. Mais vers la fin du XVIe siècle s’est développée une apologie calme et systématique, comme en témoignent les œuvres de saint Robert Bellarmin (1542-1621). C’est à cette époque que les apologistes catholiques précisent les quatre caractéristiques de la véritable Église : unité, sainteté, catholicité et apostolicité. Le théologien Pierre Charon (1541-1603) fut le premier à diviser son apologétique en trois parties qui deviendront classiques par la suite : 1/ Dieu ; 2/ le Christ ; 3/ l’Église.

4. Contre les métaphysiques déistes et athées. À partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle apparaît un vaste mouvement intellectuel qui, au départ, conteste le caractère infaillible de l’Écriture Sainte pour aboutir assez rapidement à nier la Révélation. Le déisme devient fréquent, l’athéisme apparaît. Partant du principe qu’aucune doctrine religieuse n’a de valeur qui puisse être prouvée par l’expérience ou par la réflexion philosophique, les déistes nient toute forme d’intervention divine (Révélation, inspiration, miracles et prophéties) tout en admettant l’existence de Dieu. Certains des principaux philosophes et hommes de lettres de cette période – Hobbes, Locke, Hume, Voltaire, Rousseau, d’Alembert, Diderot, Lessing, Herder – s’inscrivent dans ce mouvement. Les apologistes sont conduits à défendre la foi chrétienne elle-même et à mettre au second plan les querelles entre catholiques et protestants.

C’est à cette époque que plusieurs écoles apparaissent : l’une privilégie la raison, tel le philosophe Leibniz (1646-1716) qui prétend même démontrer, grâce à elle, les vérités révélées ; une autre insiste sur la conformité de la révélation chrétienne avec les faits observés (Butler, 1692-1752), et en particulier les faits bibliques (William Paley, 1743-1805) ; une autre enfin justifie le christianisme par ses effets sur les mœurs et le progrès social. Les célèbres Pensées de Pascal (1622-1662), à côté des arguments classiques (prophéties, miracles, transcendance du christianisme), en présentent d’autres, originaux : le fameux pari, par exemple. Pour Pascal, l’action de la grâce reste nécessaire, la raison ne suffit pas.

Malgré tous leurs mérites, les apologistes du XVIIIe peinent à lutter contre les thèses novatrices de leurs adversaires et en particulier contre la verve d’un Voltaire. Certains s’y essayent avec brio, comme le père Antoine Guénée (1717-1803) qui récuse l’antisémitisme de Voltaire et met en évidence ses lacunes en grec et en l’hébreu. Ainsi, un prêtre catholique défendait les juifs contre les préjugés d’un homme porté au pinacle par la bien-pensance d’aujourd’hui !

Au XIXe siècle, le progrès rapide des connaissances scientifiques, historiques et archéologiques, remet en question la chronologie biblique et le sens littéral des premiers chapitres de la Genèse. Cela conduit certains à avoir un esprit hypercritique, comme Renan (1823-1892) dont la Vie de Jésus (1863) fait scandale. Contre eux, des auteurs comme Mgr Freppel (1827-1891) ou le Père Lagrange (1855-1938) défendent par leurs écrits et leurs travaux la crédibilité de la Bible.

Le concile Vatican I (1870) avec la constitution Dei filius valide officiellement la démarche apologétique. Les preuves extérieures à la Révélation existent et sont nécessaires mais non suffisantes pour adhérer à la foi sans une illumination de l’Esprit Saint. Ainsi encouragée, l’apologétique catholique va connaître jusqu’aux années 1950 une sorte d’âge d’or. À côté des manuels apologétiques classiques qui se multiplient, d’autres auteurs explorent des démarches originales. John Henry Newman (1801-1890), après s’être converti au catholicisme suite à ses travaux montrant la cohérence du développement de la doctrine chrétienne, défend, face aux empiristes anglais, la rationalité de l’assentiment, ou acte d’adhérer à la foi (Grammaire de l’assentiment, 1870). Le philosophe Maurice Blondel (1861-1949) développe une apologétique mettant l’accent sur l’aspiration naturelle de l’âme humaine à rejoindre Dieu. D’autres défendent le christianisme sur le plan historique, tel Jean Guiraud (1866-1953) avec Histoire partiale, histoire vraie (de 1911 à 1917). Enfin, les nombreuses études anthropologiques sur les religions conduisent certains à un complet relativisme en matière religieuse contre lequel l’abbé de Broglie (1834-1895) et d’autres défendent l’originalité de la Révélation chrétienne.

Bruno Massy de la Chesneraye

Petite bibliographie :

  • Tertullien, Apologétique, Les Belles Lettres, 1998, 13,90 €.
  • Saint Augustin, La cité de Dieu, Points-Seuil, 2004, 3 tomes, 10,50 € + 8,80 € + 9,20 €.
  • Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, Garnier-Flammarion, 1999, 4 tomes, 12,50 € chacun.
  • Pascal, Pensées, Livre de Poche, 5,90 €.
  • John Henry Newman, Apologia pro vita sua, Ad Solem, 2010, 36 € ; Grammaire de l’assentiment, Ad Solem, 2010, 36 €.

© LA NEF n°361 Septembre 2023, mis en ligne le 27 décembre 2023