COP28 à Dubaï : « Les décisions se prennent ailleurs »

Les grands rassemblements que sont les COP ont pour objectif d’alerter l’opinion, mais les pays présents savent que les résolutions votées ne pourront toutes être appliquées, chaque pays faisant ce qu’il peut. Pour analyser cet événement et comprendre certains grands enjeux de la transition énergétique, nous avons interviewé Marc Fontecave, spécialiste international de la chimie bioinorganique, et enseignant au Collège de France à Paris, où il dirige le Laboratoire de chimie des processus biologiques.

La Nef – Quelle utilité voyez-vous à ces grands rassemblements que sont les « COP » ? Qu’ont-ils permis très concrètement ? Et que retenez-vous de la COP28 et de ses conclusions ?
Marc Fontecave – Il est de règle de penser que ces grands rassemblements, les COP, sont soit totalement inutiles soit des étapes absolument indispensables. La réalité est en fait, comme d’habitude, plus complexe. Pour ce qui est des réponses apportées au réchauffement climatique et des dispositions prises pour avancer les transitions énergétiques et environnementales, ce n’est pas là qu’elles s’élaborent. Lors de ces réunions, il s’agit surtout, en annonçant des objectifs les plus ambitieux et les plus consensuels possibles et en même temps les moins accessibles, de faire plaisir à ses opinions publiques et de ne pas brusquer toutes les associations environnementales et écologiques qui scrutent rigoureusement les discours et débats pendant ces journées. En réalité, les politiques climatiques et énergétiques se décident ailleurs, dans chaque pays, en fonction, naturellement, des possibilités et des contrain­tes, économiques, sociales, technologiques et industrielles de chacun. Mais, par ailleurs, il n’est jamais inutile que les chefs d’État et les décideurs politiques se rencontrent pour échanger sur cette question majeure de la lutte contre le réchauffement climatique, en particulier pour mieux partager justement les limites de chacun, très différentes d’un pays à l’autre. C’est au fond ce qu’a permis également la COP28, ni plus ni moins. La question, tant débattue aujourd’hui, de savoir si la COP 28 a fait une avancée en évoquant une transition vers l’abandon des énergies fossiles est finalement assez anecdotique, puisque pour le moment il s’agit davantage d’affichage que d’action.

La COP28 évoque la sortie des énergies fossiles : est-ce vraiment réaliste et même souhaitable de prétendre totalement les supprimer ?
Malgré les COP, les énergies fossiles représentent toujours 80 % de la consommation mondiale d’énergie, ce chiffre n’a pas changé depuis 20 ans. L’Agence Internationale de l’Énergie a annoncé que nous aurons atteint un record de consommation de pétrole en 2023. Tout indique que, malgré les annonces de la COP 28, cette consommation de fossiles va donc perdurer à un très haut niveau pendant les prochaines années. Il est extrêmement difficile de se passer des fossiles et cela prendra du temps, beaucoup plus que ce que l’on annonce officiellement. De sorte qu’en 2050 il y aura encore une part importante de notre consommation énergétique qui sera assurée par des énergies fossiles, que la température de la planète va continuer à augmenter et que nous avons désormais une responsabilité à anticiper les impacts de cette augmentation, en mettant en place des politiques intelligentes d’adaptation au réchauffement climatique.

Qu’en est-il de la réhabilitation du nucléaire opérée à la COP28 ? La France peut-elle en profiter, aussi bien pour son marché intérieur que pour l’exportation ? Notre savoir-faire en la matière est-il toujours à niveau ?
C’est évident que l’énergie nucléaire, l’énergie la plus bas-carbone qui existe, doit être considérée comme l’un des outils de la défossilisation de nos systèmes énergétiques. Et la France a raison de le rappeler et de porter ce flambeau lors de la COP28, avec d’autres pays. Mais il ne faut pas non plus faire croire que c’est la solution miracle. D’abord parce que c’est une énergie électrique et l’énergie consommée par la planète ne sera jamais exclusivement électrique, même si l’électrification de nombreux usages va nécessiter inéluctablement une augmentation importante de la production électrique. Ensuite, parce que ces technologies nucléaires, complexes, ne sont maîtrisées que par un nombre limité de pays, comme la France, les États-Unis, la Chine, etc., et qu’il est exclu que les réacteurs nucléaires prolifèrent dans n’importe quel pays. Pour ce qui est de la France, elle a la chance de disposer d’une industrie électronucléaire de très haut niveau et, même si des décisions politiques anti-nucléaires désastreuses prises au cours des 20 dernières années, ont conduit à une perte significative de substance et de compétences, les nouvelles perspectives aujourd’hui ouvertes (prolongation des réacteurs, construction de nouveaux réacteurs) conduiront à redonner des moyens à cette industrie et à assurer, en partie, une souveraineté énergétique absolument indispensable.

Que pensez-vous de la façon dont les politiques et les médias parlent de la question climatique : le ton et le fond vous semblent-ils bien ajustés à ce que l’on sait scientifiquement ?
Chacun fait comme il peut face à une question aussi complexe que le changement climatique et la transition énergétique et environnementale à mettre en œuvre. Il est de bon ton et trop facile de trouver des boucs émissaires, politiques, médias, entreprises, etc. On peut regretter qu’en effet, les connaissances scientifiques soient si peu partagées par les décideurs politiques et économiques et les journalistes, mais ces connaissances sont devenues tellement denses qu’on peut difficilement le leur reprocher. Le citoyen lui-même n’est pas mieux armé, et pourtant il en parle aussi de la question climatique, naturellement, d’ailleurs encore plus aujourd’hui qu’hier à travers les réseaux sociaux. C’est une question majeure : comment mener démocratiquement des politiques pertinentes et rationnelles dans un contexte de complexification croissante des systèmes à transformer ?

Jouer sur la peur et le catastrophisme est-il le seul moyen de faire bouger les lignes en matière environnementale ?
La peur et le catastrophisme, alimentés par certains, à la fois pour des raisons psychologiques (un sentiment d’angoisse réel) et pour des raisons idéologiques, sont totalement inopérants. Ils conduisent soit à l’inaction et au repli égoïste sur soi, soit à des décisions inappropriées, prises dans l’urgence et sans recul, aggravant le plus souvent le problème. Que la catastrophe soit imminente ou pas, retrouvons notre confiance dans la capacité de l’homme à identifier les problèmes, à les affronter par une démarche rigoureuse d’action, mais une action fondée sur la connaissance et la prise en compte de l’ensemble des contraintes, de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas, et à trouver des solutions. Essayons cette approche avant de baisser les bras et de nous abandonner à la décroissance et l’appauvrissement, avant de « remonter dans les arbres ».

L’histoire le montre très clairement, la croissance est liée à l’énergie et les pays les plus pauvres en auront un besoin grandissant pour sortir de la pauvreté : la décroissance des pays riches est-elle inévitable au regard du climat et des ressources énergétiques, et est-elle la seule solution pour permettre le décollage des pays pauvres ?
La décroissance n’est une solution pour aucun pays, qu’il soit riche ou pauvre. Et ce n’est pas parce que les pays riches s’appauvriraient que les pays pauvres décolleraient. Bien sûr qu’il faut désormais lutter contre les gaspillages énergétiques, travailler constamment à l’amélioration de l’efficacité énergétique, minimiser la consommation des ressources non renouvelables, mais le changement de système énergétique nécessite des financements et des moyens techniques colossaux. La croissance, la recherche, l’innovation technologique, la production, l’industrie, le travail en quelque sorte, peuvent nous permettre de générer ces moyens, pour notre bien, mais aussi pour le bien des pays pauvres qui, à court terme, n’auront ni ces moyens ni les technologies nécessaires pour accroître leur consommation énergétique, ce à quoi ils aspirent naturellement, tout en limitant les impacts sur le climat. C’est au fond tout l’enjeu de la transition : comment découpler la croissance des émissions de CO2 ?

Quelles sont les sources d’énergie de l’avenir ? Y a-t-il une chance de maîtriser un jour la fusion thermonucléaire ? Cela résoudrait-il définitivement la question de l’énergie ?
Malheureusement il n’y a pas de solutions idéales, comme alternatives aux énergies fossiles. Nous ne devons arbitrer qu’entre de mauvaises solutions. En fait nous arbitrerons peu et notre mix énergétique sera varié et donc complexe. Il faudra pour l’électricité plus d’’énergie hydraulique, de nucléaire et des renouvelables (éolien, solaire), qui ne pourront avant longtemps assurer 100 % de notre approvisionnement électrique. Pour la part non électrique, ce sera encore plus difficile, car s’il est généralement invoqué une très forte contribution de la biomasse (biocarburants, biogaz, etc..), les gisements sont largement insuffisants. C’est ce qui explique pourquoi nous aurons encore longtemps besoin de ressources fossiles. La fusion nucléaire n’est pas non plus idéale puisque nous ne l’avons pas. Néanmoins, je fais partie des citoyens qui pensent que malgré les incertitudes sur les chances de succès, nous avons raison de soutenir la recherche dans ce domaine, car si cette recherche aboutissait à des réacteurs opérationnels de fusion, une grande partie de nos problèmes énergétiques seraient résolus. Mais de toute façon, ce ne sera pas avant la fin du siècle.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Marc Fontecave, Halte au catastrophisme ! Les vérités de la transition énergétique, Flammarion, 2020, 220 pages, 19 € (cf. La Nef n°332 de janvier 2021, p. 41).

© LA NEF n° 365 Janvier 2024