La Marche pour la vie 2019, à Paris © Peter Potrowl Wikimedia

IVG : ils ne se sont pas tous tus

Le projet de constitutionnalisation de l’IVG est une occasion de scandale. De divers scandales. Démocratiques notamment. Car les termes du débat ont été totalement déplacés, détournés, et piégés, au point que nulle délibération, que nul débat réel ne peut avoir lieu. Devant ce constat, nous avons un rôle à jouer : montrer que tous ne se sont pas tus. Et dans ce modeste rôle se joue peut-être une petite part de l’honneur de la France.

Emmanuel Macron l’a promis, la main sur le cœur, le regard grave, le sourcil froncé : il donnera à la France l’occasion de graver dans sa Constitution « la liberté des femmes à recourir à l’IVG ». Le Parlement réuni en Congrès devrait entériner ce projet en mars prochain. Suite à cette déclaration présidentielle, un grand débat s’est alors emparé du pays, soucieux de ce que contient sa loi fondamentale, et inquiet à l’idée qu’une possible injustice puisse y être élevée au rang de principe fondateur ; chacun a ainsi pu entendre les voix des différents partis, forcément très partagés face à une question aussi délicate. Bref, la délibération démocratique a mis en branle sa grande machinerie.

Mais quelle fable raconte-t-elle là ? vous demandez-vous. À raison, car en réalité aucun débat n’est né, aucune réflexion substantielle n’a été esquissée. Ce qui est proprement inouï, eu égard à la matière considérée. La vie humaine apparaît dans la discrétion de premiers instants que nos raisonnements scientifiques et philosophiques ne peuvent totalement appréhender, et qui échappent donc en partie à notre emprise et à nos certitudes. L’embryon des premières semaines est biologiquement un individu humain, de cela nous sommes sûrs. Il n’est pas un « rien », il n’est pas un « flou totalement indéterminé » qu’on ne saurait rattacher à rien de connu, et n’étant pas rien, il est bien « quelque chose », en l’occurrence un membre de l’espèce humaine en acte, et une personne humaine en devenir. Peut-être même une personne humaine déjà en acte, même s’il n’est pas en notre pouvoir de le trancher (sauf à faire entrer en scène la foi). Ainsi, nul ne peut affirmer : je sais de façon infaillible que l’embryon n’est pas un homme, et nous voilà condamnés à côtoyer le doute, à nous tenir à la porte du mystère. Et à n’approcher ces réalités qu’avec la main qui tremble, à agir avec prudence et retenue.

Un débat détourné et volé

En clair, tout ce que ne fait pas la constitutionnalisation de l’IVG. Car la prôner, c’est refuser d’habiter le doute et s’aventurer à trancher ce qui ne peut structurellement pas l’être. Voilà donc un sujet qui devrait susciter un débat de bonne tenue, et voilà un projet qui devrait faire s’élever face à lui une contestation forte, ralliant des forces bien plus nombreuses que les habituels opposants à l’IVG, précisément parce que la discussion ne porte pas sur la légalisation de l’IVG, mais sur sa constitutionnalisation. Tout se passe pourtant comme si la question posée était : « pour ou contre l’IVG ? » Tiens donc. Y aurait-il eu un tour de passe-passe ? Le débat aurait-il été déplacé, détourné, puis piégé ? Piège bien grossier… Nul besoin d’être rusé comme Ulysse pour déceler l’entourloupe, et comprendre qu’en changeant la question, on réduit l’opposition à peau de chagrin – au silence ou à l’opprobre. La ficelle est grosse. Elle a pourtant réussi à étrangler le débat.

C’est d’une tristesse sans nom. Et un flagrant délit de non assistance à démocratie en danger. Car la démocratie ne commence pas avec la tenue de votes à intervalles réguliers, elle commence et n’existe qu’avec la délibération. Les Grecs le savaient bien, eux qui ont fait de l’agora le cœur battant de leurs cités. Car il faut bien parler, échanger, argumenter, frotter sa cervelle à celle de l’autre pour qu’une réflexion s’affine, qu’une décision mûre et réfléchie soit prise. Seule la délibération permet à chaque citoyen d’être un homme libre, un homme dont la parole peut influer sur l’avenir d’une cité si elle fait mouche dans l’esprit des autres et les convainc, un homme maître de son destin en tant qu’il prend sa part dans les destinées du groupe humain dont il dépend. Hélas, il est visiblement des sujets sur lesquels on légifère, mais sur lesquels on ne délibère pas.

Un rôle à jouer

C’est peut-être là que nous avons un rôle à jouer. Un rôle tout modeste, tout petit, minuscule. Un rôle qui ne peut pas même s’enorgueillir d’avoir du panache et fière allure. Un rôle sans atours, sans séduction, qui a le goût tranchant de la juste chose à faire et la froideur austère du devoir à accomplir. Un rôle qui touche à l’élémentaire : témoigner que la France ne se partageait pas seulement entre les partisans de la constitutionnalisation et les indifférents, montrer que tous ne se sont pas tus. C’est cela que permettra la Marche pour la vie du 21 janvier prochain, empêcher que les livres d’histoire puissent raconter sans nuance aucune : « Et le combat cessa faute de combattants. »

Peut-être une part de l’honneur de la France se joue-t-elle dans cette marche qui rassemble quelques milliers de personnes. Et face à cet enjeu, peu importent les chiffres. D’ailleurs, quand il faut témoigner et garder vive une fragile lueur, celle du respect que manifeste envers la vie celui qui n’a pas déserté la terre du doute dont nous parlions, alors les calculs nous ennuient et l’utilitarisme déguisé en pragmatisme politique nous assomme. Nous n’avons pas le devoir d’être nombreux (même si nous aimerions l’être). Nous avons le devoir de répondre présents, et le devoir d’être doux, délicats, fins dans la discussion, car de détresse humaine il peut vraiment s’agir. Nous avons le devoir « non pas de vous le faire croire, mais simplement de vous le dire ».

Elisabeth Geffroy

La Marche pour la Vie du 21 janvier à Paris : https://enmarchepourlavie.fr

© LA NEF n° 365 Janvier 2024