On avait laissé Gaultier Bès avec Nos limites, il y a près de dix ans maintenant : ce livre, écrit avec celle qui deviendrait sa femme, Marianne Durano, et Axel Rokhvam, tous trois inventeurs des « Veilleurs », un groupe de jeunes gens qui assis et récitant des textes résistaient à la police de François Hollande pendant la Manif pour tous, ce livre donc rappelant le monde à sa juste et humble mesure, mettant en garde les générations qui venaient contre l’hybris technique, celle qui fabrique des enfants et celle qui ravage l’environnement, avait accouché comme son titre pouvait le laisser deviner de la revue Limite, récemment portée disparue après avoir eu le temps d’ensemencer une tripotée de jeunes gens.
On avait laissé Gaultier Bès critique du temps présent et justement dubitatif devant le temps à venir. C’est donc à celui-ci qu’il s’est attaqué dans son nouvel ouvrage, habilement titré Nos futurs. Au-delà du jeu de mots répétitif qui fait de la négation anglaise une possession commune française, on peut saluer le courage d’affronter la question qu’il formule ainsi : que faire quand tout se défait ?
Devant telle audace, on aurait tort de passer son chemin, comme si la ritournelle écologiste nous était assez connue pour nous dispenser d’encore une fois tenter de l’achever. On avait donc laissé Gaultier Bès jeune homme, on le retrouve mari et père de quatre garçons, installé avec sa famille dans un « éco-hameau » catholique, La Bénisson-Dieu, dans la Loire. Par éco-hameau, il faut se garder d’entendre secte, communauté hippie ou quoi que ce soit d’approchant : il s’agit, beaucoup plus simplement, de familles ayant décidé de s’installer dans un même village, lequel est déjà peuplé de Français normaux et moyens, où elles partagent si et quand elles le souhaitent des travaux et des prières communs. Si, père de famille, Gaultier Bès se fait naturellement du souci pour sa progéniture, et tente de lui apporter ici des raisons d’espérer, la voie qu’il trace ressemble plus à un parcours d’obstacles qu’à une douce chaussée royale. Comme dans un steeple-chase, il essaie de retrouver la voie droite (qui a été perdue) et slalome entre les diverses tentations qui guettent l’écologiste en rupture avec le monde : survivre au complotisme, dit-il, et il vaccine avec ardeur et à juste titre son lecteur contre les attraits de la pensée facile qui voit derrière chaque événement une main invisible, jusqu’à oublier le goût du vrai. Survivre au survivalisme, poursuit-il, et il met en garde contre le désespoir qui préside à cette attente d’un effondrement qui, ne venant jamais, sécrète une amertume plus grande.
Bès ne dessine certainement pas les plages d’un débarquement à Cythère, ni un avenir radieux : simplement, il nous rappelle au monde des vivants et au monde du vivant. Et il le fait avec une foi et une espérance qui dénotent parmi l’écologiste contemporain moyen : toujours il s’agit dans son propos de relier le ciel à la terre, et réciproquement. Dans un effort cosmique, il conjoint la dignité de tout vivant avec celle de l’homme, elle-même avec celle de Dieu, et montre comment il faut rétablir leurs connexions, pour une nouvelle osmose. Des deux côtés, l’effort porte sur l’homme, celui qui doit prendre soin du reste de la création, qu’on dit lui avoir été confiée ; et celui qui doit se réconcilier avec son créateur, qu’il a oublié.
Ce livre qui est d’abord épuisant parce qu’on y prend, encore une fois, la mesure de tout ce qui reste à recommencer pour revivre, tourne finalement à l’hymne à la joie, à une poétique harmonie, qui donne envie. On n’y trouvera aucune menace, aucune punition, seulement les douces prémices d’un printemps à venir. Si on prend la peine de changer sa vie.
Jacques de Guillebon
Gaultier Bès, Nos futurs, L’Escargot, 2023, 368 pages, 22 €.
© La Nef n° 364 Décembre 2023