© Pixabay

Analyse critique de Fiducia supplicans

Le Dicastère pour la Doctrine de la foi a publié le 18 décembre une « Déclaration », Fuducia supplicans, « sur la signification pastorale des bénédictions », ouvrant la porte aux bénédictions aux couples de personnes homosexuelles ou aux couples de divorcés remariés. Ce texte controversé sème un trouble immense dans l’Eglise. Analyse critique.

Alors que la déclaration Fiducia supplicans rappelle clairement la doctrine traditionnelle sur les conditions de la bénédiction liturgique d’un couple dans le mariage, elle ouvre la voie à une bénédiction hors liturgie des ‘couples’[1] homosexuels ou de couples en situation irrégulière. Cette déclaration porte des difficultés de compréhension prêtant à grande confusion.

Jusqu’où peut aller la bénédiction de personnes homosexuelles ? Telle est l’une des grandes questions pastorales que soulève ce texte. Qu’une personne homosexuelle désireuse de faire un pas dans la foi puisse recevoir personnellement une bénédiction est certainement non seulement envisageable mais souhaitable. Chaque personne à tendance homosexuelle doit être accueillie avec respect et délicatesse et peut recevoir, en tant que personne, toute la tendresse de son Père du Ciel.

Mais qu’un ‘couple’ de même sexe, s’il vit des relations sexuelles constituant des « actes d’homosexualité intrinsèquement désordonnés et qui ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas »[2] , selon ce que dit le Catéchisme de l’Église catholique, puisse être béni par un prêtre, pose la question de savoir dans quelle mesure cette pratique est agréable à Dieu et quel est véritablement l’effet pastoral obtenu.

Nous souhaitons montrer dans cet article tout d’abord quelques difficultés de compréhension à la lecture du texte puis montrer combien cette pratique de bénédictions de ‘couples’ homosexuels ou de couples en situation irrégulière pourrait faire diminuer auprès des fidèles le sens de la théologie du mariage comme appel à la sainteté, même si le texte spécifie bien qu’est entièrement sauve la théologie du mariage. Nous proposerons enfin dans une troisième partie une manière pastorale d’aider les ‘couples’ homosexuels afin de disposer toujours plus chacun à la sainteté.

Plusieurs difficultés de compréhension du texte

Une des premières difficultés du texte est de présenter l’invocation d’une bénédiction comme une bénédiction elle-même (§ 31). Ce qui est proprement proposé au prêtre sur le « couple » dans ce numéro, est qu’il demande à Dieu de donner des « grâces actuelles ». Or dans la Bible, la bénédiction n’est pas d’abord une prière de demande, elle a toujours une connotation de don offert [3]. En effet, elle s’enracine dans la promesse faite par Dieu à Abraham : « je te bénirai […] et tu deviendras une bénédiction »[4]. Si bien que le terme bénédiction signifie proprement tout d’abord un don de la part de Dieu lui-même. L’adjectif « béni » peut désigner celui qui est béni mais utilisé dans l’expression du type « Béni sois tu Seigneur pour le don de la vie », il exprime toujours l’expression d’un don premier de Dieu pour lequel on veut le remercier. Présenter ainsi l’invocation d’une bénédiction sur le couple comme une bénédiction ne correspond pas tout à fait au sens biblique. La phrase du numéro 31 : « on donne une bénédiction qui n’a pas seulement une valeur ascendante, mais qui est aussi l’invocation d’une bénédiction descendante de Dieu lui-même » prête donc à confusion : en effet, cette bénédiction est présentée comme ayant une valeur descendante et c’est en même temps quelque chose qui porte une valeur « ascendante » puisqu’il s’agit d’une invocation. L’ambiguïté est encore là lorsqu’on parle de « formes de bénédiction exprimant des supplications à Dieu » toujours au même numéro 31, alors que la nature d’une supplication n’est pas à proprement parler au sens biblique du terme une bénédiction. Il est vrai que par contre lorsqu’on fait une bénédiction de type ascendant, comme « béni sois-tu seigneur pour telle ou telle chose », celle-ci comporte en elle-même une valeur de demande correspondant à un maintien de ce qui a déjà été accordé[5]. Ces observations sont certainement subtiles mais offrent un contexte véritablement compréhensible pour saisir en profondeur ce qu’est la bénédiction[6]. Ceci explique que le ‘couple’ percevant la présence du prêtre comme celui qui donne la bénédiction aura le sentiment que Dieu les bénit en tant que ‘couple’ alors que le prêtre à proprement parler au sens biblique du terme ne bénit pas à ce moment-là mais invoque la bénédiction.

De plus, lorsque le document parle de bénédictions simples, offertes à tous (n° 8, 15, 21, 27 et 28) et qui ont une dimension « descendante », comme des bénédictions sur des personnes âgées, des associations, des groupes, il s’agit toujours de bénédictions qui sont d’abord personnelles, et qui peuvent être rapportées au groupe dans le sens où ces bénédictions personnelles sont données à toutes les personnes en même temps. La confusion vient ici du fait qu’on a le sentiment que la demande de bénédiction du couple homosexuel est légitime car elle se trouverait dans l’horizon de ces cas précités. Or, il y a dans la présentation de ce texte un passage subreptice entre ces bénédictions spontanées qui sont toutes personnelles, et la bénédiction d’un ‘couple’ en tant que tel. En effet, le numéro 31 interroge encore. En plaçant la bénédiction des personnes homosexuelles « dans l’horizon ainsi tracé » qui traitait de bénédictions personnelles, même en cas de bénédictions ‘collectives’, on passe de façon insensible à la possibilité de bénédiction de ‘couple’. Les premières, toutes bénédictions personnelles, sont faites soit parce qu’elles sont faites personnellement pour rendre grâce, soit parce qu’elles sont, comme on l’a dit, prononcées sur des personnes individuellement dans un groupe donné visé. C’est le passage de ces bénédictions ainsi énumérées, effectuées sur des personnes, à la bénédiction d’un ‘couple’, qui fait problème. Et s’il peut y avoir en effet, une bénédiction sur des relations qui dépasse donc une bénédiction individualisée, ce ne peut être que sur des relations qui analogiquement représentent le mystère de l’unité de l’Église comme une famille, un couple, une communauté chrétienne

Par ailleurs, le statut du prêtre et son rapport à ce qu’il fait dans le geste de la bénédiction semblent ambigus. Alors que le rôle du prêtre est bien de bénir par une parole efficace comme on peut le voir dans toute bénédiction individuelle, il est simplement présenté ici comme l’homme qui invoque des bénédictions. Le numéro 15 semble à ce titre présenter la bénédiction d’Aaron comme la représentation d’une invocation de bénédiction alors qu’elle rend bien présente la bénédiction elle-même, et ne fait pas que la représenter au sens courant du terme. De plus, en permettant une bénédiction du ‘couple’ en tant que ‘couple’, la forme que cette bénédiction prend, invite à faire penser à tort que le prêtre peut bénir la relation elle-même. Auquel cas, on peut se demander si la bénédiction de certains prêtres disposés à bénir la relation elle-même, ce qui n’est sans doute pas le sens du texte, n’éprouverait pas Dieu. Sans compter aussi sur le fait qu’un couple homosexuel qui vient se faire bénir par un prêtre organisera très vraisemblablement, bien que cela ne soit pas prescrit dans le cadre précis des recommandations du pape, un cadre de fête et de symboles qui s’apparentera à un mariage. Par ailleurs, il n’est pas impossible que le couple homosexuel prononce avant l’arrivée du prêtre en présence d’amis des paroles d’engagement qui rendent encore plus confuse la signification de la présence du prêtre.

Et même si, lorsque le prêtre invoque la bénédiction sur des couples de même sexe, Dieu pourrait répondre par des bénédictions individuelles, il n’est pas certain que cette demande puisse véritablement être accordée. En effet, ce geste pourrait donner à croire, pour la grande majorité de ces personnes qu’elles sont bénies dans leur relation, ce qui n’est pas le cas ; il y aurait dès lors pour ces dernières une sorte de tromperie à leur égard, certes non voulue mais qui engage la responsabilité de l’Église. Quelle pourrait être la valeur de ce geste si ambigu et ne va-t-il pas, du fait de son caractère trompeur, pour ces personnes-là, à l’encontre de la volonté divine ?

Par ailleurs, est-il juste par exemple de demander « un esprit de patience et de dialogue »[7] entre deux personnes divorcées remariées civilement qui ont quitté leur époux ou épouse respectifs, ces derniers voulant rester fidèles au sacrement du mariage et priant pour la réconciliation ? Ou de bénir un couple de personnes en situation d’adultère ? N’est-il pas contre-intuitif de dire au n° 30, que « pour éviter de graves formes de scandales ou de confusion parmi les fidèles, le ministre ordonné s’associe aux prières des personnes qui, bien que vivant une union qui ne peut en aucun cas être comparée au mariage, désirent se confier au Seigneur et à sa miséricorde » ?

Le problème est aussi dans le vocabulaire car les mots ont une signification : bénir un couple dans le mariage, traditionnellement, c’est bien bénir une union, une situation anthropologique nouvelle ou en voie de le devenir : c’est bénir un lien qui se contracte pour la vie en tant que tel ou en voie de l’être qui fait que deux personnes s’orientent pour devenir une seule chair. L’étymologie du mot couple qui vient du latin copula l’indique : ceux qui s’accouplent ou copulent en vue de s’unir et de donner la vie. Cela prête donc à confusion de consentir à bénir un couple de même sexe comme on en voit l’expression dans le numéro 31.

C’est pourquoi, mettre aussi sur un même plan dans le document la bénédiction des couples en situation irrégulière et des ‘couples’ de même sexe paraît être une erreur anthropologique et un amalgame inapproprié. Car un couple, marié ou non civilement, mais non marié religieusement, et donc « en situation irrégulière » au regard de l’Église, qui vit cependant dans la fidélité et l’ouverture à la vie d’enfants, reste, du point de vue de la nature, en conformité avec le projet divin. Si ce couple s’ouvre à Dieu, nonobstant aucune promesse d’engagement marital antérieur faite par l’un ou l’autre à une autre personne, on comprend qu’une certaine bénédiction d’encouragement sur le couple puisse avoir lieu, comme on peut bénir lors de fiançailles des personnes ayant des relations sexuelles. La grâce est là pour porter alors à son plein accomplissement la nature. Or, pour ce que l’on nomme ici un ‘couple’ homosexuel, c’est au niveau de la nature des actes sexuels que porte le désordre.

Une perte du sens de la théologie du mariage comme appel à la sainteté

Sur le plan de l’analyse pastorale auprès des fidèles, c’est bien principalement et très dommageablement l’accueil de la théologie du mariage comme appel à la sainteté qui est obscurcie par cette pratique autorisée de la bénédiction, du ‘couple’ homosexuel. 

Si la signification du mariage chrétien est bien gardée « théologiquement parlant » en demandant à séparer strictement la bénédiction liturgique du mariage de la bénédiction du couple homosexuel, sur le plan pratique, cela entraîne bien des confusions car la signification même du couple qui fait partie de la compréhension de l’union conjugale sacramentelle est clairement entachée. Que ne soit pas mentionnée dans le texte du dicastère, la mention du mariage comme expression du don total du Christ à son Église selon la parole de Paul aux Ephésiens : « Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. »[8] est déjà regrettable. Car elle aiderait à comprendre que le couple homme-femme, en tant qu’il est en puissance de recevoir cette grâce d’union du Christ à son Église, est déjà un certain symbole du mystère du don total de Dieu. C’est bien déjà ce qu’invite à comprendre le livre de la Genèse qui insiste sur le fait que la première bénédiction donnée par Dieu au monde est sur la capacité de procréation des vivants[9] et tout particulièrement celle du couple humain[10]. De plus, la bénédiction du prêtre sur le couple de même sexe semble au moins symboliquement donner une valeur intrinsèque théologique à cette entité nouvelle, rendant plus confuse la signification du couple lui-même. En effet, ce qui fait sa valeur profonde, c’est bien le fait que l’union conjugale en tant que communion dans la complémentarité et ouverture à la vie exprime le fait qu’elle est ordonnée profondément au don de soi-même pour l’autre. L’acte sexuel lui-même sur le plan naturel exprime ainsi quelque chose du mystère du don total du Christ à son Église. Dès lors, la signification du couple en tant qu’union conjugale, qui est liée par la sagesse divine à la signification de l’acte sexuel par l’union profonde des corps paraît bien être perdue de vue. Elle perd sa capacité symbolique sur le plan naturel d’exprimer aux hommes sa signification de transcendance. En pratique, les chrétiens seront affectés dans leur compréhension du mariage sacramentel comme expression de l’union du Christ à son Église. Puisque le mariage chrétien est un symbole de la bénédiction totale de Dieu dans le Christ et que le mariage naturel est un reflet de ce symbole, apparaît alors un conflit de symboles. Celui-ci consiste dans le choix d’une même appellation du mot couple au cours d’une bénédiction, symbolisable par la notion de couple, faite sur un couple de même sexe, qui ne la symbolise pas. Ce conflit de symboles met beaucoup de confusion.

Celui-ci n’aiderait pas suffisamment à voir que le couple naturel lui-même comme union conjugale ainsi que le couple chrétien lui-même constituent « bibliquement » en eux-mêmes des bénédictions divines contrairement au couple de personnes de même sexe ou vivant en situation irrégulière.

De plus, le sens de la bénédiction du mariage elle-même comme foncièrement orientée vers la sainteté des époux pourrait apparaître moins car l’idée de bénédiction entre personnes de même sexe semble orienter le mariage chrétien comme simple reconnaissance de la part de Dieu de l’union. Dans la parole de Dieu, Dieu bénit d’abord des personnes individuellement en vue de leur sainteté. Lorsqu’il rencontre des grands pécheurs comme Marie-Madeleine, Mathieu et Zachée, il se présente comme Celui qui veut rejoindre personnellement leur cœur pour leur donner un désir personnel de conversion, de prière, d’union à Lui. Les personnes homosexuelles sont d’autant plus susceptibles d’être l’objet de la bénédiction du Seigneur car le Seigneur voit la souffrance d’avoir la difficulté d’être reconnu dans leur amour avec une personne du même sexe. Mais la bénédiction d’un point de vue biblique est toujours en vue de la sainteté personnelle. Si Dieu dans la Bible bénit des époux et si l’Église a fait de cette bénédiction un sacrement, c’est en vue de la sainteté mutuelle du couple au service de la sainteté personnelle de chacun des conjoints et de tout frère. Il n’y a véritablement de mariage chrétien déployant les pleines potentialités de la grâce sacramentelle que si chacun choisit la conversion et la sainteté. C’est dans cette mesure que sont engagés et bénis les liens sacrés du mariage. Sans doute que la manière dont on marie trop facilement à l’Église n’aide pas à voir que la bénédiction d’un couple n’a de sens véritable que dans cette perspective. L’Église et les prêtres ne devraient pas accorder aussi aisément la bénédiction du mariage à des personnes qui ne se mettent pas dans un minimum de chemin de conversion, ce qui favorise chez les personnes homosexuelles l’impression qu’elles sont délaissées d’autant plus si elles ont la foi et qu’elles ne peuvent se marier. La crise actuelle interroge ainsi sur la manière dont la bénédiction du mariage est comprise par ceux qui la demandent et donc la façon dont on prépare les couples : est-ce une simple reconnaissance par Dieu d’un amour ou le don d’une grâce sacramentelle ? La théologie du mariage est déjà assez mal comprise pour ne pas ajouter de la confusion supplémentaire. Inévitablement pour les gens éloignés de l’Église qui se préparent au mariage, permettre une bénédiction de personnes homosexuelles qui s’apparente pour eux à une simple reconnaissance rendra encore moins lisible l’appel au don de soi et à la sainteté qui repose sur lui.

Rappelons aussi que l’Encyclique Arcanum divinae de Léon 13 sur le mariage chrétien fait un lien entre l’appel à la fidélité dans le mariage et le fait qu’à l’origine de l’humanité il y ait eu un couple unique à l’origine de toute l’humanité. En créant un couple unique, Dieu a montré la grandeur de cette union. De plus, la notion même de complémentarité des sexes dans le mariage dit la grandeur de cette union et l’appel à la fidélité qui repose sur elle dans la vie quotidienne. En rendant moins lisible la signification intrinsèque de la complémentarité des sexes comme appel à la fidélité entre l’homme et la femme, la beauté de l’union conjugale comme quelque chose d’exceptionnel appelant à la fidélité sera sans doute moins vue. Dieu souffre sans doute fortement que ses sacrements soient souvent « bradés » en les proposant à des personnes insuffisamment préparées ou en état de les recevoir, comment pourrait-il rester indifférent à ce qui blesse d’autant plus la signification du sacrement du mariage en proposant une forme de bénédiction qui pourrait, dans la pratique, prêter à confusion ?

Proposer un chemin d’éducation à la chasteté 

Finalement, que peut-on proposer à des personnes homosexuelles qui demandent la bénédiction d’un prêtre à l’Église en les rencontrant ? Celui-ci pourra les aider à réfléchir sur le fait que leur amitié ne peut être vraiment féconde que si elle est vécue dans la chasteté plénière, propre à une amitié. Car celle-ci protège la relation de ce qui en elle est attraction sexuelle fusionnelle non respectueuse des intérêts véritables de l’autre, de sa liberté, de son chemin de vie, de sa possibilité de s’ouvrir à Dieu et peut être à une relation hétérosexuelle. Le prêtre pourra donc les bénir personnellement, leur proposer à chacun un parcours pour qu’ils puissent recevoir la grâce de la chasteté et s’ouvrir à la force du Christ ; il pourra après un discernement suffisant proposer à chacun soit le baptême, soit le sacrement de la réconciliation qui donnent la force d’aimer pleinement l’autre pour lui-même. L’appel à la chasteté est un véritable chemin avec des hauts et des bas si bien que le prêtre pourra particulièrement accompagner l’un ou l’autre pour une vraie rencontre avec le Christ. Ce qui importe, c’est bien de les aider à accueillir cette grâce de la chasteté.

Si le prêtre condamne dans son cœur le péché, il ne devra pas condamner ces personnes mais au contraire les encourager car elles prennent un chemin possible de chasteté stricte ouvrant davantage l’un à l’autre et chacun à Dieu, au monde. La relation entre David et Jonathan est éclairante à ce sujet. Ce qui importe dans l’Ancien Testament, c’est l’importance pour l’homme de vraies amitiés, de « vis-à-vis »[11] qui canalisent le désir de toute puissance. Alors que Jonathan « fit alliance avec David car il l’aimait comme un autre lui-même »[12], à la mort de ce premier sur le mont Gelboé, David proclame un chant mortuaire dans lequel il dit « J’ai le cœur serré à cause de toi mon frère Jonathan. Tu étais plein d’affection pour moi et ton amitié était pour moi était merveille plus grande que l’amour des femmes »[13]. Au niveau du contexte politique lié aux peuples autour d’Israël, l’alliance signifie ici la totale loyauté à sa parole, elle n’exprime pas un lien ouvert à la nuptialité. « S’ils prêtèrent tous deux serments au nom du Seigneur, en disant : que le Seigneur soit entre toi et moi, entre ta descendance et la mienne, pour toujours »[14], c’est d’abord pour demander à Dieu d’être témoin des paroles d’engagement à protéger l’autre selon un esprit de loyauté politique[15] et aussi d’être témoin et donc de se souvenir de leur amitié. En ce sens, rien n’empêche des personnes homosexuelles de vivre une amitié forte qui n’est ajustée que parce qu’elle est chaste. Par sa bénédiction donnée personnellement, le prêtre pourra aider chacun à grandir dans ce chemin en vue d’une juste amitié 

Sans doute que la bénédiction sur le couple proposée par Fiducia supplicans ne les aiderait pas à comprendre l’enjeu de ce chemin qui s’ouvre devant eux s’ils sont au début de leur conversion car elle leur paraîtra confirmer à l’égard de leur ami les trois dimensions que comporte leur relation : amitié, attraction sexuelle, et sensibilité du cœur à l’égard de leur ami. Elle pourrait même s’avérer contre-productive obscurcissant cet appel à la chasteté, à la lumière et finalement à la grâce du baptême et à celle du sacrement de la réconciliation. Une croissance dans la foi pouvant aboutir aux sacrements ne pourra se faire pour eux que dans un chemin personnel de conversion.  Les amis de même sexe ou d’un autre sexe ou même l’ami privilégié de même sexe pourront justement aider à prendre ce chemin de la chasteté.

Conclusion

Finalement, la bénédiction d’une amitié entre personnes homosexuelles pourrait-elle être envisagée puisque Dieu aime l’amitié ? Oui, elle peut être demandée directement à Dieu par les deux amis dans un échange mutuel si comme dans le cas de David et de Jonathan, la relation est pleinement chaste. Mais cette demande ne pourra pas être signifiée par le prêtre car, au regard du peuple de Dieu et des personnes toute bénédiction sur un couple homosexuel comporte une ambiguïté, un flou pouvant donner lieu à l’interprétation que le couple lui-même est béni.

De plus, dans toute bénédiction, le prêtre donne tout son cœur à l’image du Christ qui se donne entièrement et qui vit en lui, et se trouverait divisé de devoir accomplir une bénédiction dont l’objet est problématique : bénit-il les personnes individuellement dans son cœur (c’est son grand désir) qui pourtant se présentent in concreto en couple ou bénit-il la relation elle-même, ce qui à ses yeux créerait une difficulté insurmontable vue que la bénédiction d’une relation entre deux personnes doit être ordonnée au mystère de Dieu ? De plus, le simple fait qu’ils se présentent en couple freine son désir de les bénir individuellement. Enfin, il sent bien que sa responsabilité est engagée quant au salut de ces personnes et donc devant Dieu.

Finalement nous posons une question sur la nature de la bénédiction demandée : faut-il comprendre que dans « l’horizon tracé » par le texte, celle-ci est bien de l’ordre d’une demande de bénédictions individuelles comme la notion de grâces actuelles nous invite à le penser ou faut-il penser que le texte finalement laisse entrouvert la possibilité d’une bénédiction de la relation du couple en tant que tel ? Pour la grande majorité des chrétiens qui ne connaissent pas la nature de la grâce actuelle dont il est question dans le texte du dicastère, grâce actuelle qui s’adresse à tous et qui est toujours individuelle, ni la nature profonde de toute bénédiction qui est toujours liée à un don premier de Dieu, ce texte, invitant à bénir des ‘couples’ de même sexe ou en situation irrégulière, peut vraiment prêter à confusion.

Si nous soutenons pleinement les efforts faits pour accueillir les personnes homosexuelles dans l’Église, et les bénir personnellement inconditionnellement, nous pensons qu’il est assez regrettable que la possibilité de la bénédiction in concreto de ‘couples’ homosexuels nuise à leur propre perception de leur chemin de conversion et jette un grand trouble chez les fidèles et dans l’Église universelle.

Il serait bon que les évêques au niveau de chaque diocèse du monde entier, en discernement avec leurs fidèles, prenant conscience des dérives possibles, proposent après avoir invoqué l’Esprit-Saint des clarifications précisant cette Déclaration, pour que soit éclairé ce qui risque de troubler bon nombre de chrétiens.

Père Olivier Nguyen et Roselyne Le Gall
Théologien et philosophe


[1] Ce terme est entre guillemets car il est en lui-même problématique

[2] CEC n°2357

[3] Cf Guillet, « Bénédiction », Vocabulaire de théologie biblique, p 120-127, Ed Le Cerf, 1969.

[4] Gn 12,1

[5]  Ce type de bénédiction est à la fois « un cri d’admiration et de reconnaissance », beaucoup plus proche de l’exclamation que de la pure constatation, et un appel, « une invocation à la puissance qui vient de se révéler, afin qu’elle prenne possession permanente de l’être qu’elle vient de désigner » » in Renaud, Biblica, Vol. 70, No. 3 (1989), p 312.

[6] Si le CEC dit au numéro 2803 que les sept demandes sont des bénédictions, c’est qu’elles sont déjà exaucées ( n°2815)

[7] Cf numéro 38.

[8] Eph 5,31-32

[9] Gn 1,22

[10] Gn 1,28

[11] Thomas Römer, « L’amitié selon la Bible hébraïque », in Transversalités, 2010/1 N° 113 | pages 31 à 45, ICP

[12] 1 Sa 18,2

[13] 2 Sa 1,26

[14] 1 Sa 20,42

[15] Ralph W. KLEIN, 1 Samuel (WBC), Waco, TX, Word Books, 1983, p. 182, cite par Römer, op.cit


© LA NEF, le 29 décembre 2023, exclusivité internet