Benoît XVI © Sergey-Gabdurakhmanov-Flickr

Benoît XVI, docteur de la foi

Le pape Benoît XVI nous a quittés il y a un an, le 31 décembre 2022. Petit hommage pour le premier anniversaire de sa mort.

« Dieu est le véritable Père de sa créature. Ce Dieu est la vie, et la mort est donc la contradiction totale de la réalité de Dieu. Dieu ne veut pas son contraire. […] C’est pourquoi Dieu cherche la vie de sa créature, non pas la punition, mais la vie au sens plein : la communication, l’amour, l’épanouissement de l’être, la participation à la joie de la vie et à la grâce d’exister » (Le Ressuscité, DDB, 1986, p. 50). Ces propos du Cardinal Ratzinger, tirés de la retraite de Carême qu’il avait prêchée au Vatican en 1985 devant Jean-Paul II, constituent une sorte de préambule à l’enseignement que prodigua toute sa vie durant cet éminent théologien dont nous avons fêté le 31 décembre le premier anniversaire de la mort. C’est que celui qui devint pape le 19 avril 2005 sous le nom de Benoît XVI ne cessa d’affirmer – tant dans son enseignement universitaire que dans son magistère pétrinien – le primat de l’Amour de Dieu. Un Dieu créateur et rédempteur fidèle à la promesse de son Alliance avec l’homme qu’Il n’abandonne jamais en dépit de son péché, à qui Il veut communiquer Sa Vie pour le faire participer à Sa joie. La théologie du pape Benoît XVI est donc extrêmement joyeuse parce qu’elle s’enracine dans cette vertu d’Espérance dont il fera le thème principal de son encyclique Spe Salvi, du 30 novembre 2007. Une encyclique qu’il faudrait lire avec deux autres de ses textes magistériels : Deus Caritas est, sa première encyclique, qui porte sur le thème de la Charité divine, et celle que le pape François valida après la renonciation de son prédécesseur, mais dont celui-ci est l’auteur, à l’exception du dernier chapitre : Lumen fidei, l’encyclique tant attendue de Benoît XVI sur la vertu de la Foi.

Pourquoi avoir ainsi consacré la majeure partie de son ministère pétrinien aux vertus théologales, et à la foi en particulier ? C’est parce qu’il a constaté, tout au long de son ministère, en Allemagne ou à Rome lorsqu’il fut à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et à celle de l’Eglise tout entière, combien celle-ci traversait une crise profonde qui touchait à ses fondements mêmes. Il le notera dans l’un de ses derniers textes, que l’éditeur Artège a publié sous le titre : Ce qu’est le christianisme, et qui constitue comme son Testament spirituel. Le pape émérite, retiré dans son monastère du Vatican, ne craint pas de proposer comme cause principale des dérives sexuelles de certains membres du clergé la grave crise de la foi que traverse l’Eglise depuis plus de 50 ans ; et propose d’y apporter comme remède le retour au primat de la foi et de l’abandon à l’amour de Dieu : « Si nous voulions synthétiser au maximum le contenu de la foi tel qu’il est présenté dans la Bible, nous pourrions dire que le Seigneur a initié une histoire d’amour avec nous et souhaite y associer toute la Création. Le contrepoids contre le mal, qui nous menace et menace le monde entier, ne peut consister qu’en notre abandon à cet amour. (…) La puissance du mal naît de notre refus d’aimer Dieu. Celui qui met sa foi dans l’amour de Dieu est racheté. Le fait que nous ne soyons pas rachetés est une conséquence de notre incapacité à aimer Dieu. Apprendre à aimer Dieu est donc la voie de la rédemption pour l’humanité » (ibid. Editions Rocher/Artège, p. 222).

On le voit, le pape Benoît réaffirme le primat de l’amour de Dieu, qui n’est pas d’abord ce que l’homme peut faire pour Lui, mais ce que Dieu a fait et continue de faire pour l’humanité entière ; voilà en quoi consiste la Bonne nouvelle, celle de l’Evangile, où l’existence de Dieu « devient in fine un message de joie, parce que Dieu crée et qu’Il est l’amour. » Et il ajoute : « Faire en sorte que les hommes reprennent conscience de ce message est la tâche première et fondamentale que le Seigneur nous confie » (ibid. p. 223).

C’est en cela aussi que le pape émérite rejoint la perspective qui a guidé toute son œuvre théologique, et dont on trouve les fondements dans son maître-ouvrage La Foi chrétienne, hier et aujourd’hui, qu’il avait publié en Allemagne en 1968, mais qui n’a rien perdu de sa pertinence. Dans ce livre, qui est un commentaire du Credo dans la formulation du Symbole des Apôtres, le futur pape Benoît, qui n’était encore qu’un professeur de théologie dogmatique à l’Université de Tübingen, se réapproprie la foi de l’Eglise pour en faire comme le programme de son enseignement et de son ministère futur tout entier. Il faut relire la Préface que le Cardinal Ratzinger a rédigée pour la nouvelle édition de ce livre en 2000, afin de mieux comprendre l’attachement qu’il lui porte : « En y plaçant au centre la question de Dieu et la question du Christ, je crois que je ne me suis pas trompé quant à l’orientation fondamentale, avoue-t-il en conclusion de sa Préface, (…) qui indique le lieu de la foi dans l’Eglise… L’orientation fondamentale, je le crois, était juste ». Remettre la foi chrétienne au cœur d’un monde de plus en plus sécularisé, voire nihiliste, constitue ainsi déjà, pour celui qui allait devenir son Pasteur suprême cinq ans plus tard, le dessein le plus urgent, « l’orientation fondamentale » de toute l’Eglise catholique. Pourquoi cela ? Parce qu’il est convaincu qu’une société dans laquelle Dieu est absent de la sphère publique est « une société dans laquelle l’équilibre de l’humain est de plus en plus remis en cause » (Ce qu’est le christianisme, op. cit., p. 223).

Et cette absence de Dieu ne touche pas seulement le monde actuel, il est aussi l’un des facteurs majeurs de la crise dans l’Eglise. « Comment la pédophilie a-t-elle pu atteindre de telles proportions ? », s’interroge le pape émérite. « En fin de compte, répond-il, la raison principale réside dans l’absence de Dieu » (ibid. p. 224). Et le pape Benoît d’inviter tous les chrétiens, hommes d’Eglise ou laïcs, à Le remettre à la première place, et « à ce que nous nous remettions à vivre de Dieu, à réapprendre à reconnaître Dieu comme le fondement de nos vies, le centre de nos pensées, de nos paroles et de nos actions » (ibid. p. 225). Le primat de l’amour de Dieu, encore et toujours… Le pape Benoît se fait à nouveau prophète d’un Dieu « qu’on laisse de côté comme une parole creuse », alors « qu’il s’est fait homme pour nous. Sa créature humaine est si chère à son cœur qu’il s’est unie à elle et s’est ainsi intégré dans son histoire de manière très concrète. Il parle avec nous, il vit avec nous, il souffre avec nous et il a pris la mort sur lui pour nous sauver » (ibid.). Le pape Benoît se fait ainsi le chantre du dogme de l’Incarnation du Verbe ; il en serait même l’un de ses plus grands Docteurs tant il lui semble que le Christ représente le Centre de toute vie humaine.

Il rejoint en cela un autre Docteur de l’Eglise, sainte Thérèse de l’E. J., dont nous fêtions cette année le 150 ème anniversaire de la naissance. Il n’est d’ailleurs pas anodin de remarquer que la Petite Thérèse n’entreprit « sa course de géant » qu’après avoir reçu cette fameuse grâce de Noël, qui allait transformer sa vie entière. En cette nuit du 25 décembre 1886, où le Dieu fort et puissant se rend « faible et souffrant » par amour pour les hommes, Il la rendit « forte et courageuse », changeant la « nuit de son âme en torrents de lumière »… (Manuscrits Autobiographiques, Ms A, folio 45 r°). Le pape Benoît souscrirait volontiers à la pensée de Thérèse, qui tient en une seule phrase : « Il n’y a que Jésus qui est, tout le reste n’est rien »… Sans l’Enfant de la crèche, qui est aussi le Crucifié du Calvaire, la vie n’a tout simplement aucun sens : « En réalité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la mort de la liberté, parce que ce qui meurt, c’est le sens, qui donne son orientation à la société. Et parce que disparaît alors la boussole qui nous oriente dans la bonne direction en nous apprenant à distinguer le bien du mal » (Ce qu’est le christianisme, op. cit., p. 223).

Le pape Benoît XVI est « entré dans la Vie » il y a un an exactement, le 31 décembre 2022. Dieu a voulu que sa mort coïncide avec l’Octave de Noël, au seuil d’une nouvelle année et de la célébration de sainte Marie Mère de Dieu. Comme une invitation pour tous à contempler le mystère d’un Dieu si proche qu’il s’est fait l’un de nous ! On peut y lire aussi une invitation à nous plonger dans l’enseignement si riche de ce théologien et pasteur éminent pour y puiser de fortes raisons de croire, et donc aussi de vivre…

Père Jean-Gabriel, ocd
Prieur du couvent des Carmes de Toulouse

© LA NEF le 30 décembre 2023, exclusivité internet