Cinéma Février 2024

Si seulement je pouvais hiberner

(10 janvier 2024)

Ulzii, un adolescent du quartier des yourtes d’Oulan-Bator, veut gagner un concours de sciences pour obtenir une bourse. Sa mère part travailler à la campagne, les abandonnant son frère, sa sœur et lui, en dépit de la dureté de l’hiver. lzii est déchiré entre l’obligation de s’occuper de sa fratrie et sa volonté d’étudier pour le concours. Un film mongol en compétition à Cannes, c’est une surprise. Surtout quand il s’agit d’un premier film. La fiction présentée par la Mongole Zoljargal Purevdash est d’autant plus touchante qu’elle épouse de près la vie de la réalisatrice elle-même. Zoljargal n’a pas oublié son enfance pauvre dans les yourtes et, pour son premier long métrage, a écrit cette histoire touchante d’enfants seuls qui savent se donner un avenir. Loin du misérabilisme, la réalisatrice pose un regard simple et très doux sur cette réalité difficile, réussissant à en faire, malgré son réalisme, comme un conte merveilleux. Ulzii est conduit à sécher l’école pour couper illégalement du bois, afin de chauffer la yourte familiale. On ressent intensément sa tension entre l’appel du savoir, qui chez lui se confond avec la survie financière, et sa responsabilité des siens, qui ruine sa vocation. Rarement aura été aussi douloureusement montrée la croix de la pauvreté où l’issue n’est pas dans un choix droit et vertueux mais dans l’espérance nue. z

Making of

(10 janvier 2024)

Simon (Denis Podalydès) tourne un film sur la lutte des employés d’une usine menacée de fermeture. Le tournage est compliqué par toutes sortes de difficultés – des financiers qui veulent changer la fin du film, un producteur poltron qui disparaît dans la nature, des caisses vides, des acteurs refusant de tourner gratuitement, une vedette à l’ego démesuré et les affres d’un réalisateur sous médicaments dont le couple vacille. Making of est déjà dans les salles mais on s’en voudrait de le passer sous silence car il est la meilleure comédie de ce début d’année. Son sujet est classique : faire un film sur un film a été souvent tenté, comme dans La nuit américaine de Truffaut. Mais Cédric Kahn montre plus qu’aucun autre la chair d’un film, avec toutes ses faiblesses, ses maladies et ses blessures. Il le fait selon le procédé périlleux de la mise en abyme, le sujet du film, la lutte des ouvriers (qui jouent leurs propres rôles) étant aussi celle de l’équipe du film, menacée par la cessation de paiements. Ce parallélisme fait qu’on hésite souvent, et c’est hilarant, à savoir si on est dans le film ou dans le film du film. Celui-ci, excellemment interprété, notamment par le stupéfiant Jonathan Cohen, est trop riche en notations humaines, professionnelles, sociales et artistiques pour qu’on les relève toutes. Mais il faut dire que cette façon de voir le cinéma, par en-dessous, loin de discréditer cet art et ses artisans, en fait le plus exact éloge. Et comme cet art, alors, est aimable !

François Maximin

DVD à signaler

THE CHOSEN saison 3.
Film de Dallas Jenkins avec Jonathan Roumie
Saje Distribution, 2023, 3 DVD, 9h, 19,99 €
The Chosen, série qui raconte la vie du Christ, est un phénomène de société aux États-Unis. Il est vrai qu’elle est d’une qualité remarquable et possède une indéniable dimension missionnaire, tant elle sait toucher les âmes étrangères au christianisme. Son succès est dû à l’originalité et à la qualité du scénario – fidélité de ce que l’on sait par les Évangiles et inventions particulièrement heureuses de tout ce que l’on ignore –, ainsi qu’à l’extraordinaire qualité du jeu d’acteurs, chaque personnage recevant une personnalité fouillée et crédible (Matthieu en autiste est fabuleux). Et puis Jonathan Roumie incarne un Jésus enthousiasmant que l’on a envie de suivre. Une magnifique réussite à ne pas manquer.

Patrick Kervinec

© LA NEF n° 366 Février 2024