Anne Coffinier

Écoles privées et justice sociale

On reproche aux écoles privées d’être réservées aux plus aisés : il est cependant des moyens pour rétablir l’égalité de tous les parents face au choix de l’école de leurs enfants.

L’école privée se voit reprocher à l’envi d’être fréquentée par les « riches », tandis que l’école publique accueillerait à bras ouverts les enfants des classes populaires et issues de l’immigration. Et c’est assez vrai, surtout dans les villes moyennes et grandes. Les données que l’enseignement catholique s’est engagé à transmettre, dans le cadre du protocole qu’il a signé avec le ministre Pap Ndiaye le 17 mai dernier, confirmeront que l’école privée scolarise une population en moyenne plus privilégiée.
En raison de cette « tare » au pays de l’égalité, l’école privée est devenue dans l’opinion publique cette solution éducative à laquelle on recourt en catimini tout en proclamant ostensiblement son attachement à l’école publique. C’est de la triche morale. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Et les ministres mènent la danse, tels Jean-Michel Blanquer ou Pap Ndiaye.
Même à droite, l’école privée a littéralement disparu des programmes électoraux, d’autant que la droite craint d’être accusée de faire le jeu de l’islam. Le risque séparatiste musulman fait si peur que la droite, alors qu’elle n’ose rien faire pour le combattre, préfère jeter aux orties son attachement aux écoles catholiques et à la liberté scolaire pour donner le change.
Les parents bénéficiaires de l’école privée devraient rompre avec l’hypocrisie et avouer sans ambages qu’ils choisissent l’école privée parce qu’elle est plus performante académiquement, mieux gérée et plus sûre pour l’intégrité physique et morale de leurs enfants. Elle est fréquentée par des parents qui suivent de plus près le travail, le comportement et les fréquentations de leurs enfants. L’absentéisme des professeurs et des élèves y est plus réduit. Bref, l’école privée est meilleure.
Ce n’est pas d’abord pour cultiver l’entre-soi qu’ils choisissent l’école privée, même si c’est de plus en plus le cas, au regard de l’ensauvagement croissant de la société. Et même, qui pourrait sérieusement blâmer ces parents qui cherchent à protéger leurs enfants de la violence, du racket, de la drogue, du harcèlement et à leur donner accès à des fréquentations plus respectueuses et stimulantes ?

La fuite de l’Éducation nationale

Alors bien sûr cette situation d’effondrement de la discipline et de la sécurité dans une majorité d’établissements publics conduit les parents les plus attentifs qui en ont les moyens à fuir l’Éducation nationale. Les têtes de classe sont décapitées et les sources d’émulation académique s’y tarissent, d’autant que les éléments perturbateurs ridiculisent et harcèlent les élèves qui ont de bonnes notes ou qui participent en classe. Les cancres imposent leur loi et le calvaire des polis, des timides et des forts en thème est incessant depuis que les réseaux sociaux ont envahi la vie des enfants. Les dépressions, phobies scolaires, scarifications, fuites dans l’espace virtuel ou la drogue et tentatives de suicide ont explosé. Le troisième Baromètre de l’institut IFOP montre par exemple que, l’année scolaire dernière, 15 % des élèves ont été victimes d’une agression sexuelle et 25 % d’une agression physique sans compter les 32 % qui ont été harcelés moralement.
Et l’Église dans tout cela ? Elle sait que l’enseignement catholique est sa meilleure « surface de contact » avec la jeunesse. Elle a mauvaise conscience de s’être spécialisée dans la scolarisation des bourgeois. C’est peu compatible avec la ch cathoarité chrétienne, tout de même. Si encore elle mettait toute son énergie à y former une élite spirituelle destinée au service du pays et notamment de ses frères défavorisés ? Mais ce n’est pas le cas. L’école catholique est – en général – bien peu élitiste moralement ou politiquement. Elle prépare docilement au bachot de la République, suit toutes les instructions ministérielles, et ça lui suffit. Alors sa mauvaise conscience la pousse à faire des gestes : mettre en place une politique de réduction tarifaire, signer ce protocole d’égalité des chances, mettre en place des quotas et sans doute hélas demain, comme elle l’a fait dans d’autres pays, passer certaines de ses écoles à la communauté musulmane au nom de la fraternité.

Pour sortir de cette impasse

Alors comment sortir de cette situation ? Supprimer ou nationaliser les écoles privées, comme en rêve Jean-Luc Mélenchon ? Cela reviendrait à couler les bateaux de sauvetage alors que tout porte à croire que le Titanic est condamné. Redresser l’école publique requiert de toute manière 15 ans d’efforts constants et bien organisés. Nos enfants ne peuvent pas attendre. La seule solution de court et moyen termes est de préserver et d’encourager l’essor des écoles privées et d’en améliorer l’accessibilité. C’est parce qu’elles sont injustement payantes qu’elles sont inaccessibles aux familles les plus pauvres. À l’État de prendre en charge les frais de scolarité dans le privé comme il le fait dans le public, et l’affaire sera réglée. Cela n’aurait rien d’immoral. Il peut le faire pour tous en supprimant la carte scolaire obligatoire et en mettant en place un système de financement des établissements publics et privés au prorata du nombre d’élèves qui les choisissent. Ou réserver ses financements aux plus démunis avec un chèque éducation ou un crédit d’impôt sous condition de ressources. Les usagers des écoles privées sont des citoyens à part entière. Ils ont au moins autant droit à la dépense publique que les autres, surtout qu’ils contribuent plus aux impôts que la moyenne.
Le sondage réalisé en mai 2023 par l’IFOP et notre fondation partenaire, la Fondation Kairos pour l’innovation éducative-Institut de France, a montré que 56 % des Français considèrent que « l’État ferait progresser l’égalité des chances en France s’il permettait aux plus défavorisés d’accéder à l’école publique ou privée de leur choix, en prenant en charge tous les frais de scolarité et en supprimant la carte scolaire obligatoire ». C’est très encourageant : l’opinion publique est prête pour cette réforme libératrice. En attendant, l’essor des écoles indépendantes avec 108 ouvertures cette rentrée permet à de plus en plus de familles de trouver une solution immédiate pour leurs enfants, alors que les écoles ordinaires publiques et privées sous contrat laissent terriblement à désirer ou sont déjà saturées.
S’il y a une discrimination financière à faire, ce n’est pas au regard du caractère public ou privé mais au regard de la performance académique de ces écoles. Les financements devraient dépendre de la progression académique des élèves et de leur succès aux examens et évaluations nationaux. Ce qui suppose de rétablir des évaluations et examens de bons niveaux, d’en publier les résultats, et de financer les établissements en fonction des progrès qu’ils ont su faire faire à leurs élèves entre deux évaluations annuelles. Les Anglais publient en toute transparence les résultats aux évaluations de chaque établissement ainsi que les réponses aux enquêtes de satisfaction remplies par les parents sur le site internet de l’organisme d’inspection, l’OSTED. Toute personne peut ainsi choisir l’école de ses enfants en toute connaissance de cause. Finissons-en avec la France des délits d’initiés et des choix contraints.
Bien sûr les bénéficiaires actuels des écoles privées sous contrat ne seront pas favorables aux réformes visant à démocratiser l’accès aux bonnes écoles. Et on les comprend. À l’heure où fument encore les ruines des lycées publics incendiés lors des émeutes de juin dernier, on sait qu’intégrer des enfants issus des « quartiers pauvres » n’est pas la même affaire qu’intégrer le petit Albert Camus dans la classe de l’instituteur Louis Germain.
Une solution sérieuse serait d’admettre sur concours et sur entretien une proportion significative d’enfants issus des quartiers populaires et de forte immigration, pour ne prendre que ceux qui veulent étudier dans le respect de l’établissement qui les accueille. C’est faisable mais il faut oser, à notre époque où l’on taxe d’élitisme toute forme d’exigence et de discipline (sauf en sport). Cela relancerait l’ascenseur social et accroîtrait la justice et la concorde. Cela permettrait de renouveler les élites nationales et de revivifier la méritocratie scolaire. D’aucuns trouveraient encore à dire que cela nuit aux plus mauvais en privant de la tête de classe les mauvais établissements publics. Mais ce serait un moindre mal.

Anne Coffinier

© LA NEF n° 362 Octobre 2024, mis en ligne le 29 janvier 2024