Lectures Janvier 2024

L’AVENIR DU LIBAN
SAMIR GEAGEA
Entretiens avec Maya Khadra, Éditions du Bien commun, 2023, 98 pages, 17 €

« Un homme de foi et de raison ». Tels sont les mots choisis par la journaliste d’origine libanaise, Maya Khadra, pour permettre à ses lecteurs de découvrir la personnalité de Samir Geagea, dont les options politiques ont profondément marqué certains épisodes cruciaux de l’histoire contemporaine du pays du Cèdre, victime à la fois d’ingérences étrangères et de déchirements internes, situation souvent incomprise en France.
C’est à ce parcours que l’auteur consacre utilement les deux premiers chapitres de son livre, en reprenant les souvenirs et confidences recueillis de Geagea : son enracinement dans l’histoire et la culture maronites, son imprégnation de lectures philosophiques et d’exemples de saints (connaissances acquises pendant onze années d’un emprisonnement injuste qui s’achèvera par le vote parlementaire de l’amnistie), son engagement dans la résistance à l’occupation syrienne et aux empiètements palestiniens, son aptitude à relever les défis et à refuser tout compromis, en particulier avec le Hezbollah, la milice chiite pro-iranienne rivale de l’armée nationale. Également chef du parti des Forces libanaises, bloc numériquement le plus important au Parlement, Geagea émet ensuite ses réflexions sur les maux endémiques qui affectent son pays ainsi que les solutions pouvant l’aider à retrouver son unité et sa stabilité politique.
L’ouvrage est complété par un dialogue réaliste et stimulant entre le militant libanais et François-Xavier Bellamy, député du Parti populaire européen. Tous deux se rejoignent sur les maux qui affectent l’Europe (perte de la morale, consumérisme, pacifisme, déconstruction politique) et insistent opportunément sur la distinction à opérer entre optimisme et espérance.

Annie Laurent

À LA SEPTIEME FOIS, LES MURAILLES TOMBÈRENT
HENRI GUAINO
Éditions du Rocher, 2023, 376 pages, 22,90 €

En 376 pages, Henri Guaino dresse un constat cinglant de notre époque. La dégradation de notre société s’étend dans tous les domaines. En effet, sous couvert de vouloir gérer l’État comme une entreprise, nos gouvernants n’ont retenu que la gestion par la réduction des coûts. Moralité, cela n’a eu comme effet que le délabrement de l’école, des systèmes de soins (fermeture du nombre de lits d’hôpitaux, ce qui a entraîné l’obligation d’hospitalisation d’enfants atteints de la bronchiolite à des kilomètres de leur lieu d’habitation), la baisse de notre capacité militaire… Rien n’a été fait afin d’empêcher la désindustrialisation de notre pays. Son constat s’étend au-delà de nos frontières. L’auteur qui fut l’un des artisans de la campagne du « non » à Maastricht rappelle les contre-vérités qui, à l’époque, étaient présentées comme des vérités : l’Union européenne devait entraîner plus de prospérité, plus de sécurité et plus d’indépendance. Inutile de faire la démonstration que c’est l’inverse qui s’est produit. Autre contre-vérité : l’Union européenne a empêché la guerre en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; il serait plus juste d’affirmer que c’est la paix qui a permis la construction européenne.
À l’heure de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, Henri Guaino rappelle qu’à chaque conflit ressurgit la hantise de l’esprit munichois. L’auteur suggère de s’en affranchir et conseille de développer l’esprit de discernement. Dans certains cas, il est plus pertinent de ne pas faire la guerre, comme la non-intervention de la France en Irak en 2003.
A lire et à relire le chapitre « Cassandre est maudite ». Henri Guaino démontre que si nous avions écouté plus tôt Démosthène, Bainville, Churchill, de Gaulle, et Keynes, le cours de l’histoire aurait changé.
Le titre de l’ouvrage fait référence à l’épitre aux Hébreux : « C’est par la foi que les Murailles de Jéricho sont tombées après que le peuple en avait fait le tour pendant sept jours » (He 11, 30). Et si nous étions au soir du sixième jour ?

Patrick Boykin

STATISTIQUEMENT CORRECT
SAMI BIASONI
Cerf, 2023, 264 pages, 20 €

La société contemporaine et tout particulièrement les décideurs, adore les statistiques. Il devient impossible de participer à un débat sur un sujet de société sans faire appel à elles. Mais attention à l’illusion de l’objectivité qu’elles procurent. Ce livre décortique et analyse tous les pièges à éviter si on veut exploiter honnêtement les statistiques : différence fondamentale entre les mesures naturelles basées sur un consensus scientifique universel, et les mesures conventuelles qui sont des abstractions construites par l’enquêteur ; choix de la base de référence à partir de laquelle travailler ; problème de l’énonciation jamais neutre d’une question d’un sondage, etc. Les chapitres traitant de la mesure du chômage et de l’inégalité des salaires hommes / femmes sont particulièrement éclairants sur le fait que l’exploitation des statistiques à des fins partisanes peut aller jusqu’à la pure manipulation. Certains pièges posés par les statistiques sont bien analysés par l’auteur, comme la confusion fréquente entre corrélation et causalité (saviez-vous que la consommation de margarine aux États-Unis est corrélée avec le taux de divorce ?). Enfin, un certain nombre de biais cognitifs faussent notre jugement de manière inconsciente, dès que nous voulons exploiter les données statistiques. Bref, un ouvrage vraiment utile pour que nous ayons un regard critique sur l’exploitation des études statistiques.

Bruno Massy

SAINT PIE X
RENÉ BAZIN
Préface du cardinal Robert Sarah, Via Romana, 2023, 194 pages, 20 €

C’est par une heureuse initiative que la première biographie du saint pape Pie X, écrite par l’académicien René Bazin (1853-1932) en 1928, est aujourd’hui rééditée. Depuis sa naissance en Vénétie (1835), les étapes de la vie de Guiseppe (Joseph) Sarto, fils d’un paysan et d’une couturière très pieux, l’ont conduit du sacerdoce paroissial au siège de Pierre qu’il occupa de 1903 à 1914. L’heure était alors aux ruptures entre l’Église et l’État, contexte qui l’accompagna jusqu’à sa mort, notamment à partir de sa nomination comme patriarche de Venise où il arriva après avoir accompli une importante œuvre de redressement du diocèse de Mantoue dont il fut l’évêque.
À Venise, il dut subir près de trois ans d’humiliation pour obtenir l’exequatur gouvernemental l’autorisant à exercer sa nouvelle mission. Le programme énoncé dans sa première lettre pastorale témoigne de cette situation douloureuse mais aussi de sa détermination. « Il faut combattre le crime capital de l’âge moderne, qui prétend sacrilègement substituer l’homme à Dieu ; apporter la lumière des préceptes et des conseils évangéliques et celles des œuvres de l’Église […], pacifier la terre et peupler le ciel. » Surpris par son élection comme successeur de Léon XIII, charge qu’il accepta « comme une croix », Pie X n’en œuvra pas moins à « tout restaurer dans le Christ » (titre de sa première encyclique). Profondément troublé par le développement des mesures antireligieuses en France, ce pays qui « était au nombre de ses tendresses chrétiennes », il écrivit au président Loubet (1903), sans pouvoir empêcher la loi de séparation et la dénonciation du Concordat (1905), décisions qu’il condamna par l’encyclique Vehementer (1906).
Dans d’autres domaines, les Actes pontificaux qu’il a légués à l’Église témoignent de sa constance : encyclique Pascendi contre le modernisme ; motu proprio valorisant la musique sacrée et le chant grégorien, puis sur l’Action populaire chrétienne (il y dénonce les « monstruosités modernes ») ; élaboration du Code de Droit canonique ; promotion de la communion fréquente et précoce ; exhortations au clergé catholique, qu’il encourage à une vie commune, puis aux catholiques du monde entier, à quelques jours du début de la Grande Guerre dont il pressentait l’imminence. À travers sa description des traits de Pie X, René Bazin montre aussi combien il sut se faire aimer de ses fidèles : « Avant tout, il était un ami de Dieu, une âme sans aucun orgueil, toute souple, dès lors entre les mains de la grâce divine. »
Dans sa belle préface, le cardinal Robert Sarah met l’accent sur l’actualité de ce pontife canonisé en 1954 par Pie XII, ce qui confère à la lecture de cet ouvrage, complété par d’utiles annexes, un réel intérêt pour notre temps.

Annie Laurent

LES MENSONGES DE L’ÉGALITÉ
Ce mal qui ronge la France et l’Occident
JEAN-LOUIS HAROUEL
L’Artilleur, 2023, 248 pages, 20 €

Inscrite dans la devise française entre la liberté et la fraternité, l’égalité semble indétrônable. Elle est érigée en reine des débats, des politiques, des décisions sociales, acclamée par tous et partout recherchée. En classe, dans les familles, au sein du couple, entre les riches et les pauvres, l’égalité s’impose comme le critère moral par excellence. « L’inégalité, c’est le mal. L’égalité, c’est le bien », résume l’auteur. Terme aujourd’hui galvaudé, que signifie-t-il en réalité ? 
Avec audace, J.-L. Harouel entreprend de répondre à cette interrogation. Sans langue de bois, il dénonce avec fermeté « l’actuelle passion de l’Occident pour l’égalité ». Son érudition nous bouscule tant les références sont nombreuses et les raisonnements implacables. Des philosophes grecs aux dernières publications d’économistes en passant par Victor Hugo, l’auteur nous pousse à prendre du recul. Il invite le lecteur à réfléchir en se dégageant de « la religion du wokisme et du droit-de-l’hommisme ». Si ces termes peuvent étonner, ils illustrent bien la vigueur du propos. Il n’y a pas de place à la demi-mesure quand il s’agit d’avertir sur les méfaits de l’égalité sur les consciences et les sociétés. Mensonges et incohérences sont démasqués.
Page après page, nous découvrons un autre visage de l’égalité. Présentée comme la panacée dans les discours ambiants, elle est en réalité « une pulsion de mort », d’après l’auteur. L’exemple frappant qu’il donne est celui de l’instauration du régime communiste en URSS. Son objectif était l’égalité absolue pour tous. Or, cette idéologie a provoqué la mort de millions de personnes, un grand appauvrissement de la population et l’anéantissement d’une culture séculaire. Sous couvert d’égalité sont créées de plus grandes inégalités. Aussi, J.-L. Harouel interpelle son lecteur sur les conséquences réelles de la mise en place d’une égalité stricte et déraisonnable. Si le propos est parfois grave, il dresse en creux l’éloge de la civilisation occidentale pour son admirable fécondité artistique, intellectuelle et technique qui doit beaucoup aux inégalités. Voilà le renversement opéré par l’auteur qui déjoue la bien-pensance pour porter un regard neuf sur notre société.

Anne-Catherine Jovanovic

AMÉRIQUE DU NORD
De Bluefish à Sitting Bull
25 000 av. notre ère-XIXe siècle
JEAN-MICHEL SALLMANN
Belin, coll. Mondes anciens, 2023, 400 pages, 41 €

Le présent volume, consacré à l’histoire des peuples amérindiens situés au nord du Mexique, possède toutes les qualités propres aux autres volumes de la collection : cartographie soignée, illustrations particulièrement bien choisies, lisibilité du texte destiné à un large public. On y apprend que les peuples amérindiens avaient développé à certains endroits une agriculture et une urbanisation précoce : 1000 ans av. J.-C., la ville de Cahokia dans l’Illinois comptait 15 000 habitants ! Les trois quarts de l’ouvrage sont consacrés aux conséquences pour les cultures amérindiennes de l’arrivée des Européens. On y montre qu’entre le paternalisme brutal des Espagnols et le racisme assumé des Anglo-Saxons et tout particulièrement des Américains ; les Français du Canada, de la Louisiane et de la vallée du Mississipi furent certainement ceux des Européens qui respectèrent le mieux les peuples et les cultures indigènes. L’auteur se montre dans l’ensemble très sévère pour les prédicateurs protestants et les ordres religieux catholiques qui, à l’exception notable des jésuites, obligèrent les Amérindiens convertis au christianisme à abandonner leur culture d’origine. Certains épisodes méconnus ne sont pas oubliés, comme la malheureuse tentative française de colonisation de la Floride. D’autres sont à méditer, comme la déportation scandaleuse des Cherokees, malgré un effort remarquable de ces derniers pour accueillir le meilleur de la civilisation européenne (filatures de coton, scieries, forges, journal publié en anglais et cherokee, constitution écrite).

Bruno Massy

LES TROIS JOURS QUI ONT FAIT TOMBER LA FRANCE
FRANÇOIS GATINEAU
L’Artilleur, 2023, 314 pages, 20 €

Par souci de synthèse, les historiens oublient parfois certains épisodes clés qui nous permettraient de résoudre de nombreuses énigmes historiques. Les 11, 12 et 13 juin 1940, le gouvernement français est retranché dans les châteaux de la Loire, depuis son départ de Paris le 10 juin jusqu’à son arrivée à Bordeaux le 16. Beaucoup d’événements s’y déroulent : les deux conseils suprêmes franco-anglais avec Winston Churchill et les deux conseils des ministres de Cangé et de Tours. Le président du Conseil, Paul Reynaud, persuadé au départ qu’il faut continuer la guerre coûte que coûte, se laisse convaincre par le commandant en chef de l’armée française, Maxime Weygand, et par le maréchal Pétain d’un cessez-le-feu. Le général de Gaulle croît être soutenu par Paul Reynaud pour son projet militaire du « réduit breton » qui aurait permis la poursuite de la bataille de France et continué la guerre depuis l’empire. En vain. Dans les coulisses du pouvoir, le choix de la capitulation finit par l’emporter.
François Gatineau convainc dans un premier temps par la qualité du récit qu’il aborde par cercle temporel concentrique. À partir d’un même événement, il élargit à chaque chapitre le point de vue en revenant plus en amont. La première partie concerne le strict déroulé des trois jours. Puis il prend du recul en évoquant l’ensemble de la « drôle de guerre », en dressant un tableau politico-militaire des années 1930, enfin, en s’intéressant à la biographie des personnages. Cette méthode favorise l’analyse historique sans délaisser le récit.
Weygand et Pétain sont vilipendés au cours de l’histoire, uniquement intéressés par une capitulation rapide qui les porterait au pouvoir. L’auteur semble là emporté par des préjugés. Car la capitulation chez Pétain est aussi le fruit d’une conviction : celle d’une patrie française qui ne peut perdre son territoire métropolitain sous peine de se détruire. Bien que cela soit faux – de Gaulle l’a prouvé avec la France libre –, le maréchal est, à cet âge, porté par d’autres convictions que l’appétit du pouvoir.

Pierre Mayrant

POURQUOI LA DÉMOCRATIE A BESOIN DE LA RELIGION
HARTMUT ROSA

La Découverte, 2023, 76 pages, 15 €

« La révolution, c’est comme une bicyclette. Quand elle n’avance pas, elle tombe ! », faisait dire à la fois à Eddy Merckx et Che Guevara Louis de Funès, alias Victor Pivert dans le délirant Rabbi Jacob. Sans doute Hartmut Rosa pourrait-il reprendre cette citation lorsqu’il évoque notre société, qui est, selon lui, « tenue » d’accélérer en permanence pour obtenir un statu quo social et économique. Comme le résume Charles Taylor dans la préface de ce petit livre (tiré d’une conférence lors d’une rencontre diocésaine en Allemagne), « nos sociétés industrielles ne peuvent conserver leur stabilité qu’en croissant à un rythme toujours plus rapide ».
Dans cette grande accélération, l’Église, dit Rosa, a « un rôle réellement important à jouer pour cette société », car elle est en quelque sorte un « réservoir d’alternatives » à la morosité contemporaine. « Mon idée fondamentale est qu’il manque [à la société] la capacité d’écouter avec son cœur, sur le plan politique comme sur beaucoup d’autres plans. » Le sociologue reprend à son compte la prière du roi Salomon : « Donne-moi un cœur qui écoute. » Il ne s’agit pas d’écouter à la mode des grands débats macroniens, mais bien d’être prêt à se laisser transformer par ce que l’autre a à nous dire, et, finalement, s’ouvrir à une nouvelle vision du monde, un peu comme lorsqu’une lecture nous bouleverse et nous fait envisager les choses d’une manière à la fois nouvelle et inattendue.
C’est pour cela que, selon le sociologue, « la religion » (terme qui, dans ce petit ouvrage, désigne très précisément l’Église catholique) est indispensable à la démocratie. Car elle propose fondamentalement une relation avec Dieu, qui est à la fois un appel et une écoute. De cette relation découle « un type de relation au monde » qui fait de la religion « une force » : « elle dispose d’un réservoir d’idées et d’un arsenal de rituels, avec ses chants, ses gestes, ses espaces, ses traditions et ses pratiques appropriés, qui permettent de sentir et de donner du sens à ce que veut dire être appelé, se laisser transformer… » Bref, sans religion, la société sera toujours amputée de la capacité de s’intéresser gratuitement à l’autre, ce qui la rend invivable.
Un bref petit ouvrage enlevé, et surtout très stimulant, facile à lire malgré le jargon sociologique parfois pesant.

Théophane Leroux

LA CRÉATION CONTINUÉE
Science, philosophie, théologie
FABIEN REVOLCerf, 2023, 144 pages, 19 €

Le livre traite d’un thème passionnant. Il s’agit d’articuler l’acte créateur et éternel de Dieu avec l’apparition, dans le temps, de nouveautés en général et d’espèces en particulier. Le projet de l’auteur, aux confins de la philosophie, de la science et de la réflexion écologique la plus contemporaine, essaye de construire une théologie qui rende compte de l’évolution, du dynamisme du vivant et de l’étroite collaboration entre le Créateur et les créatures pour faire surgir la nouveauté. Cette question est notamment abordée par le pape François dans le paragraphe 80 de l’encyclique Laudato Si : « L’Esprit de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du sein même des choses, quelque chose de nouveau puisse surgir. »
L’auteur réalise d’abord l’enquête historique sur le concept de « création continuée ». D’abord chez saint Thomas d’Aquin, qui n’utilise pas formellement l’expression, chez les scolastiques, chez René Descartes et ses disciples, puis avec Charles Darwin, Henri Bergson, le P. Teillard de Chardin et Claude Tresmontant.
La solution proposée par l’auteur vient à la fin du livre. Elle est inspirée de Jean Scot Erigène, dans le sillage de saint Augustin, et propose un modèle de causes primordiales données par le Créateur à une création qui devient autonome pour actualiser, en temps et en heure, les différentes configurations possibles de ces mêmes causes primordiales. Cette solution insiste surtout sur le dialogue entre l’Esprit de Dieu et les créatures et entre les créatures elles-mêmes. De ces relations multiples et continues émerge, progressivement, la nouveauté dans la création.
Ce livre, très érudit, fait appel à de nombreuses références et dresse un état de la question très fouillé ; mais, étant le résumé d’une thèse de doctorat, qu’on imagine nourrissante, les pistes de solutions ne sont expliquées que sommairement et nous restons un peu sur notre faim.

Père Etienne Masquelier 

SALAZAR
JEAN-PAUL BESSEVia Romana, 2023, 216 pages, 20 €

Il vivait à l’écart, et en ascète, dans une retraite studieuse. Créateur de l’Estado Novo, qui permit au Portugal de sortir d’une folle gabegie, d’un invraisemblable chaos où l’avait plongé, en 1910, la proclamation de la République. Comment, demandera-t-on, s’y prit-il ? Eh bien, en répondant d’abord à l’appel des militaires, devenus depuis 1926 maîtres du pouvoir. Lesquels vont faire, en 1928, de ce professeur d’économie politique à l’université de Coïmbre un ministre des Finances si entendu, si sûr de lui, que dès 1932 le gouvernement tout entier, redevenu civil, passait sous sa conduite. Et qu’une Constitution ad hoc, promulguée l’année suivante, fondait pour plusieurs décennies cet Estado Novo, attaché de manière irréductible à Dieu, à la Patrie – donc aussi aux valeurs essentielles de la famille et du travail (celui-ci en tant que droit et en tant qu’obligation, inséré dans une structure corporative). Néanmoins, chez le très catholique Salazar, se maintiendra toujours le souci des justes indépendances de l’autorité publique devant la hiérarchie religieuse, prisonnière ladite hiérarchie, de certaine tendance irréaliste (stimulée par Rome) qui la portait presque, quand s’établirent les normes du régime naissant, à vouloir absorber l’ordre temporel dans le spirituel. Car l’Estado Novo, s’il va donner amplement à l’Église « soutien et sympathie », désirait aussi bien garantir leur liberté de croyance et de culte aux Portugais non membres de ce bercail.
Un président du Conseil inamovible. Une mystique impériale (exaltée de toutes les façons, entre autres par une statuaire commémorative où se distingua le superbe monument des Découvertes érigé en 1960 à Belém sur les bords du Tage) confondue avec la mission civilisatrice et colonisatrice de la nation portugaise – étendue outre-mer des archipels de Madère et des Açores jusqu’à Timor et Macao et Goa, prestigieux comptoir lusitanien envahi, ce dernier, par l’armée indienne au mois de décembre 1961. Surtout à l’Afrique (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau…), charge de plus en plus lourde, cependant, au long des années soixante et, désormais, facteur d’isolement diplomatique. D’ailleurs, le règne du Doutor s’acheminait vers son terme. Victime en 1968 d’un hématome cérébral l’ayant privé de son poste de commandement, et mort octogénaire le 27 juillet 1970, il ne laissait rien, ni propriétés ni fortune. Inhumé, après la cérémonie des obsèques, dans le petit cimetière de son village natal, on sait que le buste ajouté plus tard à sa pierre tombale sera profané et brisé.
Nous n’avons pu dire que bien peu. Mais voilà ce livre, qui s’ajoute à une bibliographie assez importante et mérite d’être lu.

Michel Toda 

NE VOUS INQUIÉTEZ DE RIEN
MAX LUCADO 
Éditions Clé, 2023, 288 pages, 18,90 €

Près de 14 % des Français ont consommé en 2015 au moins une fois un anxiolytique ; deuxième rang en Europe derrière l’Espagne. Les guerres en Ukraine et en Israël, les flux migratoires, l’inflation… L’inquiétude et l’angoisse vous empêchent-elles de dormir ? Au rebours de ce qui se fait en librairie en matière de développement personnel, ce livre du protestant Max Lucado met le lecteur sous perfusion de Bible afin de vivre la confiance au quotidien. Pas de recette pour mieux respirer, mais plutôt une invitation à faire appel à Dieu pour retrouver la paix. Foin de développement personnel souvent autocentré, cet ouvrage préfère la vie de foi appliquée : « moins de soucis, plus de foi » ! Évidemment, la lecture de cet auteur américain n’a pas d’effet magique. Il ne remplace pas les médicaments pour ceux qui en ont besoin, mais il a l’avantage de redonner une orientation salvatrice qui demande ensuite une attention quotidienne, une façon de voir qui devrait être celle de tous les chrétiens.

Léonard Petitpierre

© LA NEF n° 365 Janvier 2024