La Nef – Votre livre affronte le sujet du wokisme, et il entend « en chroniquer la riposte » : cette riposte a donc bien lieu dans le monde anglo-saxon ?
Sylvie Perez – Aux États-Unis, le wokisme est à son apogée au début des années 2010. C’est alors que s’élabore une riposte organisée. Elle est l’œuvre de gens de tous horizons, attachés à un monde commun, horrifiés de le voir vandalisé à la faveur de la déconstruction. En fait, il y a trois temps dans cette contre-offensive. Le wokisme est un mouvement complexe qui regroupe transgenrisme, antiracisme, néoféminisme, décolonialisme. Il a d’abord fallu l’identifier, puis en comprendre les ressorts pour enfin le combattre.
Ce mouvement anti-woke a-t-il des figures de proue ? Est-il centralisé ou diffus ?
Il y a les pionniers. Jordan Peterson, psychothérapeute canadien, est un des premiers à entrer dans l’arène. En 2016, tandis qu’une loi canadienne est en préparation, qui veut interdire la discrimination contre « les personnes transgenres ou de genre indéfini, c’est-à-dire ni homme ni femme ou les deux à la fois », Peterson réagit : bâtir des lois sur des notions subjectives comme le spectre de genre lui semble dangereux. Ce propos de bon sens lui vaut l’hallali. Mais il ne va pas céder et s’attachera à montrer que, sous des dehors « inclusifs », le wokisme est une attaque en règle contre la liberté d’expression. Jordan Peterson va faire des conférences dans le monde entier. Son livre 12 règles pour une vie, traduit en 50 langues, s’est vendu à plus de trois millions d’exemplaires.
Christopher Rufo, dont on parle beaucoup ces temps-ci car c’est lui qui a relayé les accusations de plagiat contre la présidente d’Harvard, s’affaire à déloger le wokisme des institutions américaines. Avec succès.
Par ailleurs, des cénacles ont émergé en 2020, après les manifestations monstres orchestrées par Black Lives Matter. Don’t Divide Us (Ne nous divisez pas) au Royaume-Uni ou FAIR (Foundation Against Intolerance and Racism) aux USA : ces organisations refusent de mettre la race au cœur du débat public.
Face au transgenrisme, les associations Transgender Trend (GB) et 4th Wave Now (USA) aident les parents désemparés devant la contagion de cette idéologie chez les jeunes.
Et puis bien sûr, il y a les groupes de défense de la liberté académique, celle-ci étant essentielle à la vitalité de nos sociétés. J’évoque tout cela dans mon livre.
En quoi s’opposer aux wokes exige-t-il du courage ? Comment expliquez-vous que, malgré les risques encourus, tant de dissidents au wokisme se lèvent ?
J. K. Rowling, auteur d’Harry Potter, pour avoir affirmé qu’être une femme n’est pas une question de ressenti mais une affaire biologique, est l’objet de calomnies de la part d’activistes transgenres qui la menacent de viol et de meurtre. La cancel culture est cruelle. Mais de plus en plus de dissidents s’expriment, alertés par le caractère doucement totalitaire du wokisme. Quand on s’en prend à votre inconscient (on soumet des salariés à des stages de rééducation pour les débarrasser de leurs « préjugés inconscients »), quand la propagande transgenre s’insinue à l’école, difficile de laisser faire. Le courage individuel, qui consiste à refuser de répéter des choses auxquelles on ne croit pas, est le meilleur rempart contre le wokisme.
Grâce à ces ripostes, assiste-t-on dans le monde anglo-saxon à une inversion du rapport de force ? Le wokisme bat-il un peu en retraite ?
La Cour Suprême des USA a pris une décision historique en juin 2023 en interdisant la discrimination positive à l’entrée des universités. Cet arrêt contribuera à démonétiser le « régime diversitaire ». On observe également de plus en plus d’actions en justice diligentées par les « détransitionneurs », ces jeunes adultes qui regrettent d’avoir entrepris traitements hormonaux et chirurgicaux de changement de sexe et se retournent contre leurs médecins.
Êtes-vous optimiste sur les ressources que possède la France pour se défendre à son tour contre la diffusion du wokisme ?
L’Observatoire du Décolonialisme regroupe une centaine d’universitaires français et produit un travail formidable d’analyse du wokisme et de sa riposte. L’Observatoire de la petite sirène, collectif franco-belge de professionnels de l’enfance (médecins, chercheurs, enseignants) privilégie une approche de la dysphorie de genre selon le principe primum non nocere (avant tout ne pas nuire). Le réseau Parents Vigilants s’oppose à l’intrusion de l’idéologie à l’école. Qui eût cru qu’un manuel de biologie pour les Secondes parlerait de « sexe assigné à la naissance », reproduisant mot pour mot le jargon woke selon lequel le sexe n’est pas « observé » mais « assigné », donc susceptible d’être changé à l’envi…
Propos recueillis par Élisabeth Geffroy
Sylvie Perez est journaliste, elle a publié plusieurs essais, romans et livres d’entretiens, et traduit de l’anglais l’œuvre théâtrale d’Agatha Christie.
- Sylvie Perez, En finir avec le wokisme. Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, Cerf, 2023, 366 pages, 24,50 €.
© LA NEF n° 366 Février 2024