Chacun sait qu’en France un mariage civil doit normalement précéder un mariage religieux. Mais, contrairement à la pensée répandue, il n’est pas interdit dans tous les cas de se marier religieusement avant de se marier civilement. Le droit actuel est plus subtil depuis exactement 30 ans. C’est l’article 433-21 du Code Pénal, entré en vigueur en 1994, qui régit cette obligation :
« Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
La subtilité est dans le « de manière habituelle » qui fait appel au délit d’habitude caractérisé dès la seconde occurrence. En clair : un ministre d’un culte peut tout à fait marier une unique fois sans mariage civil préalable.
Il est à noter que les peines complémentaires pouvant également sanctionner un « ministre d’un culte » pour ce délit d’habitude sont les suivantes (art. 433-22) :
- Interdiction des droits civiques, civils et de famille (durée maximum de 5 ans cf. art. 131-26),
- Interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle (sic) ou sociale (durée maximum de 5 ans cf. art. 131-27),
- Affichage et/ou diffusion de la décision prononcée (à la charge du condamné, durée maximale de 2 mois, cf. art. 131-35).
Un « ministre d’un culte » de nationalité étrangère coupable de ce délit d’habitude peut également, depuis 2021, être interdit du territoire français, et même à titre définitif (art. 433-21-2).
Que dit l’Eglise catholique du mariage civil ?
On entend parfois que, pour un couple catholique qui passe à la mairie avant l’église, le mariage précèderait dans le temps le sacrement. Au contraire, le Catéchisme de l’Eglise Catholique affirme que le mariage « a été élevé entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement ». Autrement dit, entre chrétiens, un mariage est un sacrement par le fait même de se marier.
Si l’Eglise reconnait le mariage civil comme un mariage naturel pour les non-catholiques, elle affirme pour les catholiques que « seuls sont valides les mariages contractés devant » un prêtre ou un diacre (sauf dérogation). Canoniquement, s’il a lieu avant le mariage religieux, un mariage civil est un « mariage nul pour défaut de forme ». S’il a lieu après le mariage religieux, un mariage civil serait plutôt qualifié de renouvellement non canonique du consentement.
L’Église reconnaît cependant au pouvoir civil sa compétence pour les « effets purement civils » du mariage pour les catholiques, c’est-à-dire essentiellement les rapports matériels entre époux et les régimes matrimoniaux.
Un peu d’histoire
Le Concile de Trente affirme en 1563 par le décret Tametsi que la présence d’un prêtre est l’une des conditions indispensables pour contracter validement mariage, et souligne dans son catéchisme que le mariage a pour les catholiques un « double caractère » : c’est à la fois une union naturelle et un sacrement. La France se soumet à cette affirmation du Concile avec l’Ordonnance de Blois en 1579 qui interdit aux notaires de recevoir des consentements de mariage (art. 44).
Alors que la première distinction entre mariage civil et mariage religieux pour les non-catholiques date de l’Edit de tolérance de Versailles par Louis XVI en 1787, c’est en septembre 1791 que la constitution ne reconnait le mariage que comme contrat civil. En septembre de l’année suivante, le mariage civil est formellement institué et le divorce autorisé. A ce stade, malgré la persécution que subit le clergé, le mariage religieux n’est pas assujetti au mariage civil préalable. Le régime en place ne reconnait simplement pas le mariage religieux. Trois ans plus tôt, en 1789, avait été proclamée la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen déclarant dans son article 10 que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La loi considérait alors qu’il ne s’agissait pas d’un trouble à l’ordre public que d’être marié religieusement sans être marié civilement.
Il est parfois affirmé à tort que les décrets du 13 août 1793 (datant en réalité du 12 août) et du 7 vendémiaire An IV (29 septembre 1795) ont changé cet état de fait. Il n’en est rien.
Ce n’est qu’après la signature du Concordat de 1801, sous le Consulat, que la loi change en 1802 sur ce point et impose l’antériorité du mariage civil. De nombreux auteurs citent un arrêté du 21 janvier (1er pluviôse An X) qui interdit aux pasteurs protestants de célébrer religieusement le mariage avant le mariage civil. C’est le 8 avril (18 germinal), que le mariage religieux catholique est également conditionné au mariage civil préalable. En effet c’est l’article 54 des articles organiques, articles ajoutés sans l’accord de l’Eglise à la loi promulguant le Concordat, qui oblige les ecclésiastiques ne donner « la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l’officier civil ». Le 21 mai (1er prairial), un arrêté étend cette obligation aux rabbins. Cette obligation est transcrite dans le Code pénal de 1810 dans ses articles 199 (amende à la première désobéissance) et 200 (2 à 5 ans de prison en cas de première récidive, déportation pour la seconde récidive, déportation qui est changée en 1832 en 10 à 20 ans de détention criminelle). Le régime concordataire français de 1802 reconnaissant formellement les cultes (et salariant ses ministres), il aurait pourtant pu être considéré que les consentements religieux valaient mariage civil. C’est d’ailleurs le cas dans le régime concordataire italien actuel, et ce alors que l’Etat italien ne paie plus les salaires du clergé depuis 1986.
En réalité, c’est un motif religieux qui a prévalu pour imposer l’antériorité du mariage civil. On peut faire remonter l’origine de cette décision napoléonienne aux discussions du projet de Code civil du 1er septembre 1801 (14 fructidor An IX). C’est ce jour-là que les conseillers Portalis et Regnaud font accepter l’obligation d’antériorité du mariage civil à Bonaparte qui s’inquiétait de la bonne coïncidence des cérémonies des mariages civil et religieux. Le Conseiller d’Etat Portalis, qui deviendra Ministre des Cultes, présentera en 1802 cette obligation d’antériorité comme réconciliant l’Église et l’État puisque l’Église « béni[rai]t par un sacrement » le mariage contracté à la mairie. Il balayait du revers de la main les affirmations du Concile de Trente et de son décret Tametsi susmentionné. Cette vision gallicane du mariage chrétien trouve notamment ses racines dans les écrits du Chancelier de France Pontchartrain qui distingue en 1712 le contrat du sacrement, affirmant que le Prince a un « pouvoir direct sur le contrat », pouvant seul « en régler la nature et les conditions ». Pontchartrain était alors mu par un motif aujourd’hui désuet : permettre à l’Etat d’annuler des mariages conclus sans le consentement des parents des mariés, alors que Tametsi avait considéré ces mêmes mariages « véritables et valides ».
En 1905, c’est le grand écart lors de la « séparation de l’Eglise et de l’Etat ». La République, tout en déclarant désormais qu’elle « garantit le libre exercice des cultes » et « ne reconnaît (…) aucun culte », ne touche pas aux articles 199 et 200 du Code pénal (articles sanctionnant le non-respect de l’antériorité du mariage civil) qui restent tels quels. L’amendement des prêtres-députés Gayraud et Lamire pour la suppression de ces articles est rejeté au prétexte de l’ordre public.
En 1980, une proposition de loi d’Alain Madelin visant à abroger ces articles 199 et 200 du Code pénal n’est pas adoptée. A juste titre, le député argumentait notamment que le mariage religieux ne menace pas plus le mariage civil que ne le fait le concubinage. Il va sans dire que le concubinage a par ailleurs beaucoup augmenté depuis 1980.
C’est le 1er mars 1994 qu’entre en vigueur le nouveau Code pénal avec son article 433-21, remplaçant les féroces articles 199 et 200 de l’ancien Code pénal par le délit d’habitude qu’on connait actuellement. Le Garde des Sceaux Robert Badinter voulait pourtant faire table rase de cette obligation désuète, mais le parlement en décida autrement. La France avait pourtant ratifié en 1974 la Convention européenne des droits de l’homme, qui déclare dans son article 9 :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de (…) manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
En 2013, lors des débats de la loi du dit « mariage pour tous », des amendements sont déposés pour supprimer l’article 433-21 du Code pénal. Sans succès. En 2020, alors que les décisions gouvernementales liées au covid suspendent les mariages civils, conduisant à une suspension de fait des mariages religieux, aucune mesure n’est prise pour permettre à ces mariages religieux d’avoir lieu même en l’unique présence du ministre du culte, des mariés et de deux témoins lors d’une courte cérémonie dans un lieu privé.
Enfin, en 2021, l’article 83 de la « Loi séparatisme » double à un an la peine de prison destinée au « ministre d’un culte » habituellement réfractaire à l’antériorité du mariage civil. Le Conseil constitutionnel est saisi, mais personne ne tente de pointer l’atteinte à la Liberté de culte que contient cet article 83. Un amendement avait pourtant précédemment été déposé pour tenter de faire annuler cet article 433-21 du Code pénal, notamment par le député Charles de Courson dont il faut saluer l’action à ce sujet depuis de nombreuses années.
Il est à noter que, depuis 1905, les « ministres d’un culte » ont été particulièrement respectueux de la règle d’antériorité du mariage civil, à tel point que les condamnations comptent à priori moins de 10 occurrences : 1906 (deux cas), 1907, 1923, 1934, 1972, 2008, et 2011 (relaxé au bénéfice du doute en appel en 2013). Depuis le nouveau code pénal de 1994, les deux seules condamnations relevées concernent des imams. Les amnisties à la suite des élections présidentielles de la Ve République (jusqu’en 2002) ont par ailleurs souvent couvert ces délits ainsi que tout ou partie de leurs sanctions, à l’exception toutefois des récidives visées par l’article 200 de l’ancien Code pénal.
La France est isolée sur ce sujet au sein du monde occidental
De très nombreux pays reconnaissent des effets civils à au moins certains mariages religieux : Australie, Canada, Croatie, Espagne, Etats-Unis, Irlande, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Macédoine, Malte, Nouvelle Zélande, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, les 4 pays scandinaves, les 3 pays baltes.
D’autres encore ne donnent pas d’effets civil au mariage religieux, mais n’imposent pas non plus l’antériorité du mariage civil : Albanie à priori, Allemagne (obligation d’antériorité supprimée en 2007), Autriche (obligation d’antériorité jugée inconstitutionnelle en 1955), Serbie (obligation d’antériorité supprimée en 1994), et des pays de l’ex-URSS (Biélorussie, Moldavie, Russie, Ukraine) à priori.
Enfin, en queue de peloton figurent, avec la France (art. 433-21 du Code Pénal), ceux qui imposent l’antériorité du mariage civil : Belgique (art. 21 de la Constitution), Liechtenstein (art. 3 loi de 1973 sur le mariage), Luxembourg (art. 267 du Code Pénal), Pays-Bas (art. 449 du Code Pénal), Suisse (art. 97 du Code Civil), des pays de l’ex-Bloc de l’Est (Bulgarie, Hongrie, Roumanie), et des pays de l’ex-Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine, Monténégro à priori, Slovénie).
Une obligation bancale
Il est curieux de noter que les notions de « ministre d’un culte » et de « cérémonie religieuse » ne sont pas adaptées à toutes les religions. Comme le reconnaissait le Ministre de l’Intérieur lui-même en répondant à la question écrite du député Mourrut l’interrogeant sur le sujet en 2007, le mariage religieux musulman est un engagement privé entre deux personnes qui ne donne pas nécessairement lieu à célébration religieuse par un imam. Ainsi, de nombreux mariages religieux musulmans célébrés en France échappent à cette loi bancale. Ils sont estimés à 40 000 par an. Et il est surprenant que la « Loi séparatisme » de 2021, qui a pourtant retouché cet article 433-21 du Code pénal en alourdissant la sanction, n’ait pas corrigé son aspect bancal.
Sortir de l’impasse ?
S’il est souhaitable que le mariage à l’église puisse avoir des effets civils en France sans que les mariés doivent ré-échanger leur consentement à la mairie, cela reviendrait cependant à donner des fonctions d’officier d’Etat civil au ministre du culte, ce qui est difficilement envisageable dans le cadre actuel de la laïcité…
La situation française actuelle est bien différente de celle de 1905, et l’objectif de l’Etat concernant l’encadrement du mariage religieux est double. Il souhaite tout d’abord s’assurer que deux personnes qui vont se marier, même à travers un mariage religieux, le font pour de bonnes raisons. Le Code civil prévoit notamment que l’officier d’état civil puisse s’entretenir avec les époux pour vérifier par exemple qu’il ne s’agit pas d’un mariage blanc, ni forcé, ni de polygamie. C’est ce que qui pourrait être appelé l’autorisation administrative préalable, qui est couronnée par la validation du dossier et la confirmation de la date du mariage civil.
Par ailleurs, l’État souhaite éviter le développement de régimes maritaux privés qui puissent être déconnectés du cadre du mariage civil. Concrètement, cela ouvrirait la porte à certains cas de répudiation de femmes, ou bien à des situations très inégales de l’homme et de la femme vis-à-vis de la séparation. Ce sont principalement ces raisons qui poussent l’État français à coupler mariage civil et mariage religieux. Que des personnes mariées religieusement ne croient pas qu’elles soient mariées au regard de la loi civile est l’argument avancé pour justifier de l’obligation du mariage civil avant le religieux.
Une mesure simple pourrait permettre à ceux qui le veulent de pouvoir se marier religieusement avant le mariage civil tout en respectant les objectifs développés ci-dessus. Il s’agit du Certificat de Capacité à Mariage (CCM) déjà prévu dans le Code civil (art. 171-2) pour les mariages à l’étranger. En effet, la République Française pourrait permettre un mariage religieux si ce CCM est obtenu, c’est-à-dire une fois que l’étape susmentionnée d’autorisation administrative est validée. Au moment de la remise du CCM, il pourrait être éventuellement être exigé des futurs époux de valider par écrit qu’ils ont bien connaissance que seul l’engagement civil a des effets sur leur Etat civil. Que faire si le couple ne se mariait pas ensuite civilement ? On pourrait prévoir de les sanctionner, mais il conviendrait de vérifier précisément la constitutionnalité d’une telle mesure : pourquoi leur interdirait-on de se pacser ou bien de rester en concubinage avec ou sans contrat privé ? On peut considérer qu’il s’agirait d’une discrimination fondée sur la religion.
Si ce sujet n’est pas traité par le pouvoir législatif, il faudrait, pour que les choses changent, attendre qu’une ou plusieurs Questions prioritaires de constitutionnalité soient posées lors d’une procédure judiciaire contre un « ministre d’un culte » au titre de l’article 433-21 du Code pénal. Etant donné la rareté de ces procédures, il est à craindre que l’attente soit dans ce cas longue. Elle le serait encore plus si la procédure devait aller jusqu’en Cour européenne des droits de l’homme. La République Française pourrait tout à fait être condamnée pour cette obligation d’antériorité du mariage civil, qui est considérée, même parmi les plus éminents des juristes, comme contraire à la Liberté religieuse.
Edouard Castellan
Bibliographie :
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- Elsa Forey, Etat et Institutions religieuses, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, pp. 151-202.
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- Christophe Eoche-Duval, Faut-il dépénaliser les célébrations religieuses effectuées sans mariage civil ?, dans Recueil Dalloz 2012, p. 2615.
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- Delphine Loiseau, Covid 19 : Il est possible de se marier religieusement sans passer par la mairie, Centre européen pour le Droit et la justice (ECLJ), 2020.
- Anne-Sophie Millard-Laffitte, Le droit des couples à l’aune des rapports Eglise-Etat, thèse de doctorat en Droit, Paris, 2021.
- Dossier législatif de la Loi confortant le respect des principes de la République, 2020-2021.
- André Vitu et Maxime Brenaut, Célébration d’un mariage religieux sans mariage civil préalable, JCl. Pénal, Art. 433-21, Fasc. 20, 2022.
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