La Révolution française demeure un moment clé de notre histoire, source toujours de controverses et divisions. Retour sur ces événements historiques.
À la veille de la Révolution française, la France est un pays prospère. Avec quelque 28 millions d’habitants, c’est un des pays les plus peuplés d’Europe. Ses colonies donnent lieu à un commerce « triangulaire » rentable. Dans le royaume, les manufactures – textile, métallurgie, produits de luxe, etc. – se développent. L’agriculture, qui occupe la plus grande partie de la population, reste néanmoins fragile : il n’y a plus de famine, la petite propriété a beaucoup progressé (40 % des terres du royaume) mais les rendements sont aléatoires et les droits féodaux, quoique devenus insignifiants, sont jugés archaïques et vexatoires.
La monarchie n’est remise en cause par presque personne, même si les « Philosophes » ont commencé à en saper les fondements. Montesquieu a réclamé la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Voltaire, antichrétien, a dénoncé l’emprise de la religion sur le système monarchique et sur la société. Rousseau a plaidé pour l’instauration d’un « contrat social » qui ait son fondement dans la « volonté générale ». Les thèses des Philosophes et de l’Encyclopédie ont été relayées par les « sociétés de pensée » (loges maçonniques, académies de province, cabinets de lecture, sociétés savantes) qui se sont multipliées dans le royaume tout au long du XVIIIe siècle. En ce sens on peut dire qu’une révolution intellectuelle a précédé la révolution politique. Mais il serait vain de voir la Révolution française comme le simple aboutissement d’un « complot maçonnique ». En 1789, la franc-maçonnerie est bien implantée en France : près d’un millier de loges, réparties en deux obédiences. Elles sont fréquentées par des membres de la noblesse et de la bourgeoisie, et quelques ecclésiastiques. « L’idéologie égalitaire de la franc-maçonnerie contribua largement à la désagrégation de la discipline dans l’armée, où les loges étaient particulièrement nombreuses. Les théories de religion naturelle empruntées aux philosophes du siècle des Lumières contribuèrent aussi à la politique anticléricale de la Révolution » (1). Néanmoins, il n’y eut pas de plan prémédité pour abolir la monarchie. Même si le duc Philippe d’Orléans fut Grand Maître du Grand Orient de France depuis 1771 et eut un rôle important entre 1789 et 1791, il a servi d’abord ses propres intérêts, ambitionnant de remplacer son cousin dans une monarchie transformée.
De l’Assemblée des notables à l’Assemblée nationale
Ce sont la dégradation des finances du royaume et, paradoxalement, les tentatives de réforme qui vont être à l’origine des événements de 1789.
Dans les dernières années du règne de Louis XV et le début du règne de Louis XVI, diverses velléités réformatrices, financières et administratives, n’ont pu aboutir à cause d’oppositions inflexibles, notamment celle du parlement de Paris. Louis XVI décide de réunir une Assemblée des notables pour faire adopter les réformes nécessaires. L’assemblée, réunie en février 1787, les refusa et certaines voix, dont celle de La Fayette, commencèrent à réclamer la convocation des états généraux. Les trois ordres de la nation (noblesse, clergé, tiers état) n’avaient pas été réunis depuis 1614. Les états généraux se tinrent à Versailles à partir du 5 mai 1789. Pendant les premières semaines, ils ne s’occupèrent que de questions de procédure. Des regroupements par affinité commencèrent à se former (les « clubs »). Des députés du tiers, soutenus par quelques députés du clergé, demandaient que les ordres ne siègent pas séparément et que les votes se fassent non par ordre mais par tête. Le 17 juin, les représentants du tiers se proclament « assemblée nationale ». On peut dater de ce jour le début véritable de la Révolution. On passe d’une institution traditionnelle, les états généraux, uniquement consultative, à une nouvelle institution, qui entend exercer son pouvoir face au monarque.
Louis XVI essaya en vain de s’opposer à cette évolution. Le 20 juin, les députés du tiers, grossis d’une fraction du clergé, décidèrent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution au royaume : c’est le célèbre « Serment de la salle du Jeu de Paume ». Le roi céda quelques jours plus tard et invita « son fidèle clergé et à sa fidèle noblesse » à se réunir au tiers état. Le 7 juillet les trois ordres ainsi réunis prennent officiellement le nom d’Assemblée nationale constituante : les députés affirment représenter la nation tout entière et s’attribuent le pouvoir de rédiger une Constitution qui fixera, notamment, les pouvoirs du roi.
Une révolution idéologique
Les assauts donnés à la prison de l’Abbaye le 30 juin, puis à l’Hôtel des Invalides et à la Bastille le 14 juillet, révèlent une violence et une manipulation des foules qui ne cesseront pas. Ces journées révolutionnaires montrent aussi de nombreux refus d’obéissance dans certaines troupes chargées de maintenir l’ordre. Inversement, la création de la Garde nationale, sans l’accord du roi, va créer à Paris et dans toutes les villes de province, une force armée « patriotique » qui sera souvent une milice politique. Dès l’été 1789, plusieurs princes du sang, ainsi que le comte d’Artois, frère du roi, préfèrent s’exiler. Cette émigration ne cessera de croître au fur et à mesure que les violences se multiplient dans tout le pays.
La Constituante vote de nombreuses lois qui bouleversent les institutions et la société. Par une série de décrets, votés du 5 au 11 août 1789, elle abolit les droits féodaux et les privilèges, déclare l’égalité devant l’impôt et la suppression des dîmes (les impôts dus au clergé). Le 26 août suivant est adopté le texte d’une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fondée sur les principes de l’égalité et de la liberté. Elle affirme aussi que la souveraineté réside dans la Nation et que la loi est l’expression de la « volonté générale ». Le pape Pie VI condamnera cette « liberté absolue » et ce « droit chimérique contraire aux droits du Créateur ».
La disparition des 52 provinces et leur remplacement par 83 départements au découpage assez artificiel (9 décembre 1789) précèdent la confiscation des biens du clergé, décrétés « biens nationaux » et dont la vente, par le biais des assignats, était censée rembourser les dettes de l’État. Cette nouvelle atteinte à l’Église sera suivie d’un autre décret, en date du 13 février 1790, qui, au nom de la défense de la liberté, interdira les vœux monastiques et supprimera les ordres religieux réguliers. Le 12 juillet 1790, la Constitution civile du clergé est adoptée. Sans que le Saint-Siège ait été consulté, l’Assemblée réduit le nombre de diocèses, décide que les évêques, désormais élus, comme les curés, par une assemblée locale, ne seront plus nommés par le roi, ni ne recevront plus du pape l’investiture canonique. Les ecclésiastiques, devenus « fonctionnaires publics », devront prêter un serment de « fidélité à la nation, à la loi et au roi ». Ceux qui ne prêteront pas serment seront déclarés « réfractaires » et ne pourront plus avoir en charge une paroisse ou un diocèse. Un peu plus de la moitié des prêtres seront « jureurs » et sept évêques seulement. Des dizaines d’évêques seront nommés pour remplacer les « non-jureurs » et consacrés sans l’accord du Saint-Siège. En 1791, le pape condamnera la Constitution civile du clergé et le schisme qui en résulte.
Vers la Terreur
Le roi qui a tenté de fuir avec sa famille est arrêté le 20 juin 1791 à Varennes et ramené à Paris. Il sera contraint, en septembre suivant, d’approuver la Constitution enfin rédigée : une Assemblée nationale détiendra seule le pouvoir législatif, le roi ne pouvant plus qu’opposer un veto suspensif aux lois votées. Les élections de septembre entraînent l’irruption de 136 députés jacobins (sur 745 députés) qui aspirent à instaurer une république. La guerre déclarée à François II, roi de Bohême et de Hongrie, le 20 avril 1792, entraîne la France dans des conflits armés qui dureront vingt-trois ans, hormis quelques courtes interruptions.
Les « journées révolutionnaires » qui se succèdent à l’été 1792 culminent dans l’arrestation du roi, le 10 août. L’élection d’une nouvelle assemblée, la Convention, se fait dans un contexte de terreur : quelque 1300 prisonniers politiques et des prêtres réfractaires sont massacrés à Paris. L’abolition de la royauté est proclamée par la Convention lors de sa première réunion, le 21 septembre 1792. Le procès puis l’exécution du roi (le 21 janvier 1793), les persécutions contre le clergé réfractaire et la levée en masse pour défendre « la République en danger », provoquent en mars 1793 l’insurrection de la Vendée.
La Convention elle-même se déchire. Les Girondins, décentralisateurs, s’opposent aux Montagnards, appuyés par les sections parisiennes. En juin 1793, l’arrestation des chefs girondins suscite dans plusieurs villes des troubles fédéralistes. Les Jacobins instaurent un régime de terreur qui s’appuie sur le Tribunal révolutionnaire, le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale. Fédéralistes, Vendéens et Chouans, prêtres non-jureurs ou simples « suspects » sont, par dizaines de milliers, les victimes d’une politique définie par Robespierre : assurer par « la vertu et la terreur […] le despotisme de la liberté contre la tyrannie ».
L’entreprise de déchristianisation se traduit non seulement par la proscription des prêtres réfractaires, mais aussi par l’adoption d’un « calendrier révolutionnaire », la pratique des cérémonies de « déprêtrisation », la célébration d’un culte de la Raison à Notre-Dame de Paris le 10 novembre 1793 et d’une fête de l’Être suprême le 8 juin 1794. Mais les factions jacobines s’éliminent les unes après les autres et le 9 thermidor (27 juillet 1794), Robespierre et ses soutiens sont arrêtés et exécutés le lendemain. C’est la fin de la Terreur mais pas de la Révolution.
La courte période thermidorienne qui s’ouvre (28 juillet 1794-27 octobre 1795) voit la réintégration des Girondins, la fin du Tribunal révolutionnaire, la signature de traités de paix avec les Vendéens et les Chouans et l’élaboration d’une nouvelle Constitution républicaine qui instaure un pouvoir exécutif collégial (le Directoire) et le bicamérisme législatif (Conseil des Cinq-Cents et Conseil des Anciens). Une tentative d’insurrection royaliste à Paris (13 vendémiaire an II) est sévèrement réprimée, notamment par le jeune général Bonaparte. Le Directoire (27 octobre 1795-11 novembre 1799) n’aura jamais de majorité stable et devra affronter à la fois les armées coalisées, ses opposants royalistes et les néo-jacobins. Ce Directoire n’est pas un régime modéré : il multiplie les déportations en Guyane d’opposants politiques et de prêtres non-jureurs et promeut un nouveau culte, la théophilanthropie, pour se substituer au christianisme (quinze églises lui seront attribuées à Paris et d’autres en province). En politique étrangère, il poursuit les guerres révolutionnaires visant à créer des « républiques-sœurs » dans toute l’Europe.
Le général Bonaparte, victorieux en Italie (1796-1797), se voit confier, en mai 1798, le commandement d’une expédition en Égypte pour intimider l’Empire ottoman. Lorsqu’il revient en France, la crise politique le fait apparaître à certains comme un « sauveur ». Les 18 et 19 brumaire (9-10 novembre 1799), un coup d’État met fin au Directoire et aussi à la Révolution. Napoléon Bonaparte, premier des trois consuls provisoires, se présente comme « un citoyen dévoué à la République » qui veut consolider les conquêtes de la Révolution : « la liberté, l’égalité, la propriété ».
Yves Chiron
(1) J. Tulard, J.-F. Fayard et A. Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française, Bouquins, 1987, p. 831.
© LA NEF n° 327 Juillet-Août 2020, mis en ligne le 16 février 2024