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Les mauvaises consciences de l’enseignement catholique

En écho aux débats sur les deux écoles réactivés à l’occasion des maladresses qui ont inauguré la prise de fonction de Mme Oudéa-Castéra, je voudrais donner quelques précisions sur le mal qui ronge l’enseignement catholique : le poison de la mauvaise conscience.

Mauvaise conscience de celui qui, étant dans l’école catholique – c’est-à-dire un lieu d’Eglise – en refuse la doctrine, et doit se livrer à de multiples contorsions, mentales et morales, pour vivre avec. On en arrive à des cas d’enseignants qui en viennent à haïr (j’ai pesé le mot : ce que je dis, je l’ai vu) les quelques familles qui choisissent encore l’enseignement catholique pour des questions de catholicité. Une haine traduction, finalement, de la haine de soi qui sourd de la discordance mortifère entre leurs convictions profondes et le milieu quotidien dans lequel ils évoluent.

Mauvaise conscience de celui qui cherche à surmonter ce dilemme intérieur en affirmant la nécessité de masquer autant que possible les références au religieux, ou bien en proposant des séances pastorales « inclusives » (sic), où est prêchée l’idée que A est égal à non-A, par esprit de fausse tolérance mais de vrai relativisme.

Mauvaise conscience aussi de celui qui préfère ignorer cette doctrine : l’indifférent. Il sait pourtant, au fond, que l’Église possède une spiritualité, une pensée, une anthropologie et une morale, enrichies à travers les siècles, mais il a préféré anesthésier sa conscience, et vit comme si tout cela n’existait pas.

Mauvaise conscience de celui qui a opté pour l’enseignement catholique pour échapper au système de mutations actuellement en vigueur dans l’enseignement public. Son engagement tient à ce seul fil: avoir davantage de liberté pour choisir le lieu où il travaille. Fil ténu, engagement famélique : il a privilégié le confort et sacrifié le sens. Pire : cette mauvaise conscience peut se doubler de celle que l’on éprouve quand on a opté pour l’enseignement catholique afin d’échapper aux «zones», aux «quartiers», d’autant plus cuisante quand celui qui a posé cette option a d’intimes convictions généreuses pour le démuni, pour l’étranger, qu’il voudrait aimer et qu’il a préféré fuir.

Mauvaise conscience du chrétien pour qui la part de la pensée sociale de l’Église qui dit l’option préférentielle pour les pauvres n’est pas lettre morte. Comment ne pourrait-il ressentir une tension entre cette option et cette école de la reproduction sociale, de l’entre-soi privilégié ? En outre, catholique fervent, il découvre que des établissements où il lui est donné d’enseigner, les plus catholiques sont aussi ceux qui attirent le plus de jeunes aisés, jeunes blasés – qui font peu de cas de la prière et des vertus.

Mauvaise conscience de celui qui prétend que son école est éloignée de tout élitisme. Il se rassure en trouvant toujours plus élitiste que soi. Alors, il pense aux écoles qui profitent du pouvoir de ne pas renouveler le contrat annuel avec les familles pour raccompagner à la sortie les plus faibles scolairement et se prévaloir de flatteuses statistiques ; celles-là seront toujours plus élitistes que celles-ci, qui gardent jusqu’au bout leurs élèves, mais qui eux-mêmes ont été triés au départ, au moment de la candidature ; ces dernières le sont davantage que celles qui n’ont pas le bonheur de disposer d’une liste d’attente, et qui inscrivent tous les candidats… mais même ici l’entrée correspond au passage par un tamis, celui de l’argent, et un tri a bien lieu, silencieux mais réel: celui des familles elles-mêmes, qui devant la porte à péage de l’école catholique, passent leur chemin.

On le voit, les mauvaises consciences dans l’enseignement catholique prennent leur source dans les les incohérences intérieures, et constituent un poison, lent et mortel ; on ne peut qu’inviter chacun (directeurs, professeurs, familles, élèves…) à trouver l’alignement salutaire entre ses convictions profondes et ses actes, ses paroles et le choix libre du milieu dans lequel il souhaite évoluer. C’est l’humble et loyal examen de conscience, dont nul ne saurait faire l’économie. Et dans cette partie de l’Église (comme dans les autres), un discours doctrinal explicite, structuré et clair est souhaitable ; je pense à l’écriture des projets éducatifs, à la formation des professeurs, voire aux livrets d’accueil des nouvelles familles… L’école catholique ne saurait exister pour de mauvaises raisons, et elle doit être fidèle à la seule qui soit valable : celle de mission chrétienne dans le monde.

Stéphane Morassut

© LA NEF, mis en ligne le 18 mars 2024, exclusivité internet