La décision du Conseil d’État, saisi par Reporters sans frontières, obligeant l’Arcom à fixer de nouvelles règles pour assurer le respect du « pluralisme » dans les médias audio-visuels, a fait quelque bruit depuis la mi-février. Visant explicitement CNews, les juges demandent que la mesure du temps de parole sur une antenne ne se limite plus aux seuls politiques appartenant à tel ou tel parti, mais soit généralisée à l’ensemble des participants d’un plateau, animateurs, journalistes, chroniqueurs, invités… Un large tollé s’en est suivi et beaucoup ont réagi pour montrer l’absurdité d’une telle décision et plus encore les dangers de « fichage » qu’elle comportait. Car s’il est facile de voir à quel camp appartient un politique affilié à un parti, il est pour le moins délicat d’assigner une case politique à des informateurs ou commentateurs qui ne se reconnaissent dans aucun parti. Et la précision de l’Arcom affirmant qu’« il n’y aura pas de catalogage des journalistes et invités », mais qu’« il s’agira d’une appréciation globale sur l’ensemble des programmes diffusés » n’est guère rassurante dans son principe.
Un paysage médiatique uniforme
Certes, si nous étions dans un monde idéal, nous pourrions presque nous réjouir de cette décision en nous disant qu’elle permettra enfin un plus grand pluralisme dans la plupart des médias audio-visuels totalement gagnés à l’idéologie dominante, « diversitaire » sur le plan politique et « déconstructiviste » sur le plan anthropologique et sociétal. Car le fait massif dans le paysage audiovisuel français n’est pas que la petite chaîne CNews soit une télévision de droite – ce qu’elle est en effet, sans se cacher –, mais que quasiment toutes les autres chaînes penchent à gauche en communiant à la même idéologie tout en se prétendant équilibrées. La réalité est que CNews, malgré un fonctionnement que l’on peut critiquer, apporte une note de pluralisme dans un paysage audiovisuel massivement uniforme. On y débat sur des thèmes et avec des invités que l’on trouve rarement ailleurs. Cette chaîne rompt ainsi le consensus politiquement correct qui nous gouverne et c’est cela qui est insupportable à la bien-pensance qui voit son monopole mis en danger, d’où l’incroyable saisie du Conseil d’État par Reporters sans frontières qui en dit long sur le sectarisme d’une certaine gauche et son penchant totalitaire.
Si les autres chaînes n’étaient pas aussi partisanes, CNews n’aurait jamais connu un tel succès. Ce succès révèle un besoin, il est en quelque sorte la preuve de l’absence de pluralisme des autres médias, car personne n’oblige les Français à regarder CNews.
Trois conclusions
Tirons trois conclusions de cette affaire.
D’abord, on constate une fois de plus que ce sont des juges – le Conseil d’État – qui s’arrogent une décision éminemment politique qui devrait relever, en démocratie, de la représentation nationale. Cela fait beaucoup, en un mois, après le retoquage de la loi immigration par le Conseil constitutionnel et la dissimulation, le temps du vote du Parlement, du rapport de la Cour des comptes sur le coût de l’immigration.
Ensuite, CNews est le révélateur du décalage profond qui existe entre les médias audiovisuels et les Français : ces médias ne sont pas représentatifs du peuple et de la diversité des opinions, c’est là que réside le véritable problème. Un seul exemple pour illustrer ce propos : lors du référendum sur la constitution européenne en 2005, les radios et télévisions militaient ouvertement pour le « oui » et c’est le « non » qui l’a emporté à près de 55 % des suffrages.
Enfin, on a accusé CNews de contribuer à la fracture de la société entre deux France qui n’auraient plus rien en commun, qui ne se comprendraient plus, ne se parleraient plus, ne s’aimeraient plus, pire même se détesteraient. Ce risque est gravissime et bien réel, hélas ! Les raisons en sont multiples, mais elles tiennent particulièrement à la concomitance de deux réalités : l’effacement de la morale chrétienne, d’une part, a miné la base de la société et fait disparaître le consensus sur le Bien nécessaire à toute politique visant le Bien commun ; la primauté conférée aux droits individuels qui se multiplient veut répondre à tous les désirs, émancipés de toute référence à la loi morale naturelle, faisant ainsi disparaître les limites qui bridaient l’hybris de l’homme. L’immigration massive, d’autre part, a installé sur le territoire des communautés musulmanes dont certaines vivent en sécession selon leurs propres lois. Ces deux phénomènes ont généré de profondes fractures.
Mais il ne faut pas inverser les effets et les causes. CNews n’a pas créé cette situation, elle n’existe que parce qu’on l’a laissée advenir, par idéologie ou lâcheté, en étouffant la parole de ceux qui la dénonçaient. La responsabilité en incombe aux gouvernants qui, depuis quarante ans, ont refusé d’agir pour éviter cette fracture, trop heureux du consensus médiatique interdisant de nommer le problème et excluant du système toute voix discordante.
Christophe Geffroy
© LA NEF n° 367 Mars 2024