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L’oblature bénédictine

L’oblature est une très ancienne pratique dans l’ordre de saint Benoît : elle permet à des laïcs de s’affilier à un monastère et de se sanctifier en vivant selon l’esprit de la Règle de saint Benoît.

Notre monde est un monde de détresse. Jamais peut-être n’a-t-il eu tant besoin du message de saint Benoît. Tout le monde ne peut certes entrer au monastère. Ce n’est ni possible ni souhaitable. Mais d’autres formules existent. Parmi lesquelles l’Oblature bénédictine. Aux fidèles qui désirent mener une vie chrétienne plus fervente et qui recherchent pour cela un cadre et un appui, elle propose de vivre dans l’esprit de la Règle de saint Benoît sans changer de lieu ni d’activité. L’oblat bénédictin (qui peut être une oblate) est un chrétien qui s’attache à une famille monastique de son choix pour participer au fruit de ses prières et y puiser un surcroît de ferveur.
L’oblat désire « chercher vraiment Dieu ». Il veut répondre à l’appel de saint Benoît au Prologue de sa Règle : « Écoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’enseignement d’un si bon père et mets-le en pratique… »

Il y a une multitude de façons de répondre à un tel appel. Que vaut celle de l’oblature ? Elle se recommande d’une très longue histoire, qui assure sa fiabilité. Sa grande souplesse lui permet en outre de s’adapter aux circonstances les plus diverses.
Pour les oblats comme pour les moines, une seule Règle dont le génie universel n’est plus à prouver. Avec ses 73 courts chapitres précédés d’un prologue, ce petit livre simple et clair forme depuis quatorze siècles des générations de moines, de prêtres et de saints laïcs. Et à travers eux, il a réalisé une œuvre éducatrice et civilisatrice extraordinaire. Veut-on savoir le secret de cette réussite ? Pour Dom Gérard Calvet, fondateur de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, il tient en deux mots : sens de Dieu, sens de l’homme.

Sens de Dieu

« Dès les premiers mots de la Règle, l’homme est mis en présence de Dieu, invité à écouter, à obéir, et à craindre de déplaire à son Père et à son Seigneur. Le fleuve liturgique emporte toute sa vie et vient lui apprendre à marcher devant Dieu. » Qu’est-ce qui a pu motiver des millions de jeunes, souvent brillants et pleins d’avenir, à quitter le monde pour s’enterrer dans une vie de moine pauvre et cachée ? C’est la soif. La soif de n’être rien pour que Dieu soit tout, la lassitude de ce qui n’est pas éternel, le désir d’un face-à-face avec Dieu. « Avant d’être des académies de science et des carrefours de la civilisation, les monastères ont été des doigts silencieux dressés vers le ciel, le rappel obstiné et intraitable qu’il existe un autre monde de vérité et de beauté, dont celui-ci est l’annonce et qu’il préfigure » (Dom Gérard). L’office de louange est la plus pure expression de cette gratuité de l’amour. Parce que dans la louange l’âme s’oublie, et que le total oubli de soi représente le sommet de l’amour, sa suprême réussite. Voilà pour le sens de Dieu.

Sens de l’homme

Le monastère est encore éducateur parce qu’il est une famille. Peu à peu, l’âme en reçoit une empreinte et s’éduque aux vertus naturelles, à ne pas tricher avec l’être des choses, à bien travailler. « La charité s’y inscrit dans des coutumes, des rites, des signes de respect et de courtoisie. On a parlé d’une civilisation de la bonté instaurée par Cluny aux Xe-XIIe siècles. Et ce n’est pas seulement du fait des distributions de blé aux pauvres, mais parce qu’il régnait dans la célèbre abbaye une atmosphère de bonté douce et efficace, qui pacifiait les cœurs. L’hospitalité, vertu antique qui plonge ses racines dans les plus anciennes civilisations, ne cesse d’être en vigueur dans les monastères depuis quatorze siècles. C’est le Christ lui-même, dit saint Benoît, qui est adoré dans la personne des hôtes. Et le pardon ! Chaque jour le Père Abbé du monastère chante à haute voix le Pater, pour que les moines se rappellent qu’ils doivent se pardonner leurs offenses mutuelles, s’ils veulent que Dieu leur pardonne leurs fautes. » Voilà pour le sens de l’homme.
Saint Benoît a ainsi mis l’accent sur le travail accompli pour Dieu seul et l’amour désintéressé de la prière, mais aussi sur la lecture : plus de trois heures par jour y sont consacrées selon la Règle !

Qu’en est-il pour l’oblat ?

L’oblat est lui aussi invité à prendre sa part de la prière, du travail et de la lecture de la communauté. Il participe à la récitation de l’office divin, selon ses possibilités et s’unit de cœur à tout l’office du jour et de la nuit. Il accomplit aussi son propre travail pastoral ou professionnel en communion avec celui de ses frères moines. Enfin, il lit et médite chaque jour un passage de la Règle et accomplit une petite lecture spirituelle. Pour saint Benoît, cette lecture est divine (lectio divina) parce qu’elle porte sur des réalités divines et qu’elle est accomplie dans l’Esprit de Dieu.
Vie laborieuse dans l’esprit de la Règle, vie unie à Jésus dans la prière et la lecture, la vie de l’oblat est appelée à rayonner là où la providence a placé celui-ci, grâce à la vertu de discernement, cette souveraine souplesse entre les mains de Dieu, que saint Benoît appelle « la discrétion ».
On le comprend mieux après avoir énuméré ces quelques données : s’engager dans l’oblature, c’est accomplir une démarche sérieuse présupposant une mûre réflexion. L’oblature est un engagement considérable où Dieu lui-même est pris à témoin. Cette entrée dans une conversion intérieure ne peut donc se prendre qu’après la rencontre franche et ouverte avec le Père Maître des oblats. Lui seul peut proposer de franchir le seuil de cette « école du service du Seigneur ». Elle comporte trois étapes : une probation, un noviciat d’une année entière (après une prise d’habit symbolique) et enfin l’engagement définitif devant toute la communauté.
Face à une société qui sombre chaque jour davantage dans la barbarie matérialiste, les oblats viennent demander aux monastères le secret de l’harmonie perdue, et de la vie en société. « La vérité est une plante vivace : elle finit toujours par percer la carapace de terre qui la recouvre » (Dom Gérard).

par un moine du Barroux

  • Signalons sur ce sujet le bon livre de Christian Fénélon Mathieu, Écoute… tu parviendras. Histoire de l’Oblature de l’Ordre de Saint-Benoît, Saint-Léger Éditions, 2023, 500 pages, 26 €.

© LA NEF n° 366 Février 2024, mis en ligne le 27 mars 2024