En avril, le gouvernement présentera un projet de loi sur la fin de vie incluant une légalisation de « l’aide à mourir ». On ne peut limiter le débat à son aspect médical, sans risquer de passer à côté de questions de fond. Cet article tente de donner quelques éléments critiques sur un tel projet pour notre société. Il interroge notamment le sens de l’expression « mourir en paix », se demande si l’euthanasie permet justement une mort en paix, et examine l’exemple révélateur des moines.
Il ne faut pas confondre le RIP gravé sur les tombes américaines et l’expression « mourir en paix ». RIP (Rest In Peace, repose en paix) évoque l’espérance croyante d’un repos dans la mort tandis que la seconde expression indique l’état intérieur de celui qui s’apprête à mourir. Cette paix au crépuscule de la vie naît, non pas de la perspective de mourir, mais, au contraire, d’un regard en arrière, du sentiment que ce qui devait être vécu l’a été. Aussi bien, il est possible de mourir en paix comme de ne pas mourir en paix.
Utiliser la mort biologique pour avoir la paix est donc une confusion qui ne pardonne pas puisqu’au terme nous sommes morts. Se donner la mort, dont le désir naît d’une révolte face à l’insupportabilité de la souffrance, ne peut pas apporter la paix. Si l’on répond à ce désir révolté, le terme n’est pas la paix mais la mort. Ce n’est jamais apaisant de choisir la mort. Au moment de mourir, la douleur ne nous a pas quittés et la paix ne nous a pas gagnés, nous ne faisons en définitive que l’espérer.
Lorsqu’une société veut laisser les gens qui ne sont pas en paix choisir de mourir, elle choisit, en réalité, de les laisser mourir sans paix, si bien que toute la société est impliquée lorsque quelqu’un choisit de mourir. Défendre et promouvoir une « aide à mourir » au nom « du respect de la volonté individuelle du patient » [refrain du projet de loi de 2021], c’est en réalité enfermer la personne humaine dans l’illusion d’une autonomie radicale qui, comme nous allons le voir, ne peut jamais être synonyme de liberté véritable.
L’illusion de l’autonomie radicale
Parce que la souffrance est toujours personnelle, elle isole bien souvent du reste du monde. La loi Leonetti de 2016 veut répondre à ce problème. C’est cet isolement qui est le plus dégradant et fait croire que, dans la dépendance, la dignité propre est atteinte. Même si on est bien entouré par sa famille et ses proches, on se sent de trop ou pas à sa place, on se sent seul et incompris. La souffrance morale qui naît de telles situations est peut-être la plus impitoyable car elle fait croire que nous ne sommes rien. Lorsqu’au nom d’un respect mal compris du mourant, nous acquiesçons à sa volonté de mettre fin à ses jours et que nous l’y aidons, nous l’enfermons en réalité dans la pire des souffrances : la solitude du choix. Rappelons que la solitude dans les décisions a toujours conduit nos histoires personnelles et communautaires dans le mur de l’autoritarisme et de la déraison. Et, en dépit des pires souffrances physiques et morales, il faut encore se faire violence pour choisir seul de mourir. Choisir « l’aide à mourir » est un acte violent contre soi, contre l’autre, contre la société.
Proclamer que respecter le mourant c’est, avant tout, respecter son choix est faux ; pire, c’est un mensonge. En réalité, respecter le mourant est plutôt vouloir pour lui le bien, et toujours lui dire la vérité : le malade a du prix pour la société, il en a pour les soignants, il en a pour moi.
Deux logiques s’opposent
Quand j’écris ces quelques lignes, je suis dans une abbaye. Il est difficile d’imaginer un moine demander une aide pour mourir plus vite. Pourtant, le moine malade ou âgé souffre autant que les autres. Alors pourquoi ne demande-t-il pas l’euthanasie ? Est-ce simplement parce qu’il croit en la sacralité de la vie ? Mais lorsque l’on souffre le martyre, ce n’est pas une idée qui nous sauve. Pour ce moine, c’est bien plutôt, me semble-t-il, la certitude que sa vie ne lui appartient plus complètement. Cette vie a été donnée, pas seulement à Dieu (même si nous n’y croyons pas), mais aussi à une communauté d’hommes qui l’a acceptée et qui continue de l’accompagner dans la souffrance et dans la mort.
Deux logiques ont donc construit deux cités. La cité moderne où l’autonomisation radicale de l’individu l’enferme dans une souffrance humaine sans précédent, dans laquelle le choix de mourir va bientôt s’imposer à lui seul. La cité du don où l’être humain comprend qu’il ne peut s’épanouir lui-même et trouver sa vraie liberté qu’en la recherchant avec d’autres et où « mourir en paix » est possible parce que donner sa vie sans la reprendre est possible.
Gregoire Quillet
© LA NEF n° 368 Avril 2024