Depuis des siècles, nos eucharisties ont été enracinées dans la théologie du Christ-époux et de l’Église-épouse. Choisir des servants d’autel parmi les garçons s’inscrit dans cette symbolique.
Dans les travaux préparatoires au récent synode, la question du sacerdoce ou du diaconat féminin a été soulevée. Comme en écho, dans les paroisses, la question des filles au service de l’autel fait couler beaucoup d’encre. Traditionnellement, les servants d’autel étaient des garçons mais, aujourd’hui, la pratique varie en fonction des paroisses : garçons uniquement, groupes mixtes indifférenciés ou groupes de servantes de l’assemblée distincts des servants d’autel. Les arguments sont assez bien connus, mais il me semble que nous n’insistons pas assez sur l’aspect sponsal – c’est-à-dire d’épousailles ou d’amour – de nos célébrations eucharistiques. Le pape François lui-même souligne la dimension d’amour de la messe dans sa lettre apostolique Desiderio desideravi de juin 2022.
Le repas des noces de l’Agneau
Dans la nouvelle traduction en français du missel, la formule de l’Agnus Dei, qui n’était que « le repas du Seigneur », devient « le repas des noces de l’Agneau ». Cette expression ramassée évoque les trois dimensions les plus importantes d’une célébration eucharistique : dimension communautaire (le repas), sacrificielle (l’agneau) et sponsale (les noces). En effet, nous ne pouvons réduire l’Eucharistie à la seule communion horizontale du repas partagé, ou, au contraire, à la seule dimension verticale du sacrifice. Mais, en outre, nous ne devons pas oublier la dimension sponsale, et, osons le mot, amoureuse de la messe. La célébration eucharistique est un acte d’amour où Dieu se donne entièrement. La liturgie doit signifier de manière sacramentelle tout l’amour du Christ pour nous.
L’époux et l’épouse
L’Église a choisi de n’ordonner que des hommes. Nous savons pourquoi : le Christ est un homme, il a délibérément choisi douze hommes (bien qu’il ait été très entouré de femmes également et n’ait jamais été contraint par des convenances sociales) et les apôtres eux-mêmes ont choisi des hommes comme successeurs. « L’Église se reconnaît liée par ce choix du Seigneur lui-même » (1). Il faut pourtant redire que cette option fondamentale remonte à l’Ancien Testament où Dieu, qui se présente comme père de chaque membre du peuple, se présente également comme époux du peuple épouse. Il nous suffit d’évoquer les textes prophétiques comme le chapitre 16 d’Ezéchiel où Israël est personnifié en jeune femme, les épousailles de Dieu et du peuple au désert chez Osée (Os 2, 16s), ou encore le chant du bien aimé dans le Cantique des Cantiques. Plus tard, saint Paul parlera d’une Église épouse d’un Christ époux en comparant l’union Christ-Église au mariage (Ep 5, 31-32).
Si nos eucharisties signifient le sacrifice du Christ en croix pour nous ainsi que la joie conviviale du festin, elles doivent continuer de signifier le dialogue et l’union amoureuse de Dieu et de son peuple. Si nous vivons dans une société très troublée sur ce sujet, le paradigme de la relation amoureuse demeure la rencontre et l’union de l’homme et de la femme, dans l’altérité et la complémentarité. La messe devra continuer de faire dialoguer puis se rencontrer deux pôles, masculin et féminin.
Le rôle dévolu au prêtre est de signifier sacramentellement le Christ-époux qui aime son épouse. Le pape François souhaite que le ministre soit humblement mais réellement au service de cet amour. « Le prêtre lui-même devrait être submergé par ce désir de communion que le Seigneur a envers chacun. C’est comme s’il était placé au milieu entre le cœur brûlant de l’amour de Jésus et le cœur de chaque croyant, objet de son amour. Présider l’Eucharistie, c’est être plongé dans la fournaise de l’amour de Dieu » (2).
Des garçons proches de l’autel
Il est certain que, par leur grande proximité, les servants d’autel participent un peu du mystère des prêtres. Pendant des siècles, ils furent naturellement choisis parmi les garçons. Nous connaissons les arguments pour conserver ce choix traditionnel.
Le premier, et le moins important, est le souci pédagogique de garder des activités non-mixtes, car souvent le groupe mixte finira par être délaissé par les garçons, qui éprouvent, à cet âge-là, le besoin d’avoir « leur » activité à eux.
Le deuxième, crucial, concerne la pastorale des vocations. En effet, la proximité avec les prêtres et le mystère eucharistique a fait et continuera de faire grandir le désir d’être prêtre. À cet égard, le rôle spécial et spécifique joué par les servants dans la messe dite de saint Pie V me paraît déterminant pour les vocations. Jadis, tout prêtre avait besoin d’au moins un servant pour dire la messe, ce dernier répondait au prêtre dans un rôle à la fois important et nécessaire. Le servant rentrait plus encore que maintenant dans l’intimité de la célébration eucharistique.
Le troisième argument est donc l’objet de cet article. En étant davantage du côté du prêtre, les servants participent également au mystère du Christ-époux. Ainsi, conserver des ministres mais aussi des servants masculins est plus à même de signifier la dimension sponsale.
Un chœur incomplet
Remarquons d’abord que l’assemblée du peuple, qui est l’épouse, n’est pas exclusivement composée de femmes. Nous sommes, bien sûr, dans le registre de l’analogie. Il ne demeure pas moins qu’un chœur d’église exclusivement masculin signifie bien le pôle de l’époux. Cet époux est, comme Adam avant de recevoir Ève (Gn 2, 20), incomplet, insatisfait, en attente de l’union. Cette rencontre et cette union se produisent symboliquement – et analogiquement – quand le prêtre, accompagné des servants, vient dans l’assemblée pour la communion. Au contraire, un chœur mixte serait, lui, complet, auto-suffisant, et moins tendu vers l’assemblée épouse et en attente de communion.
Concluons donc. Depuis des siècles, consciemment ou non, nos eucharisties ont été enracinées dans la théologie du Christ-époux et de l’Eglise-épouse. Les garçons servants d’autel et aussi les groupes bien distincts de servantes de l’assemblée s’inscrivent dans cette lignée, contrairement aux groupes mixtes indifférenciés. Redécouvrir et percevoir à nouveau la messe comme un acte d’amour, dans lequel Jésus se donne à nous, me semble très précieux pour l’évangélisation. Si chaque pratiquant se sentait réellement aimé et rejoint par la tendresse divine chaque dimanche et si nous allions à la messe comme à un rendez-vous amoureux, nos assemblées seraient probablement plus profondément joyeuses et moins clairsemées.
Abbé Etienne Masquelier
(1) Catéchisme de l’Église catholique, n. 1577.
(2) Desideri desideravi 57.
© LA NEF n° 365 Janvier 2024, mis en ligne le 29 avril 2024