La Mante religieuse

Nous sommes en 2014. Toute l’Église de France est occupée par les bourgeois. Toute ? Non. Natalie Saracco résiste seule, encore et toujours à l’envahisseur. Sa Mante religieuse qui sort au cinéma le 4 juin, et qui a déjà rempli des salles dans tout le pays au cours d’avant-premières parfois houleuses, devrait recueillir auprès du public le succès qu’elle mérite.

Ce succès, que nous souhaitons fort, sera d’abord celui d’une femme qui, la foi chevillée au corps et décuplée par cette rencontre du Christ qu’elle fit il y a six ans au bord de la mort, a réussi avec seulement l’aide de ses petits bras et de son audace qui déplace les montagnes à convaincre « les grands patrons cathos » de financer son film.
Natalie Saracco, sans aide du CNC, ni des régions, ni d’une chaîne de télé – les grands pourvoyeurs de subsides cinématographiques aujourd’hui en France – sera parvenue à trouver presque deux millions d’euros. Un tour de force inédit.

Mais surtout ce succès devra être celui de la puissance de son propos, de ce geste inspiré par lequel elle ouvre des portes, les défonce à coups de pied même, non pour sa jouissance personnelle ou sa gloire propre, mais pour faire couler des torrents de grâce sur l’époque. « Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce », disait l’autre. La Mante religieuse, en mettant en scène ce long débat intellectuel, spirituel et sentimental qui dresse l’un près de l’autre, l’un contre l’autre et finalement l’un pour l’autre une jeune femme branchée et parfaitement dégénérée et un prêtre séduisant malgré lui, non seulement prend à bras-le-corps une vérité éternelle de la condition humaine, mais l’actualise avec grand talent et nous rappelle encore ceci que disait un autre, Bernanos pour changer, que « ce qui est bien dans l’Église, c’est qu’on est entre pécheurs ».

Un regard superficiel et méfiant d’emblée sur l’œuvre pourrait conduire à y voir une perverse méditation sur la tentation presbytérale : c’est tout le contraire. Face à cette semi-possédée qui lui court après, le curé mis en scène témoigne au-delà de ses faiblesses toutes humaines et néanmoins surmontées, de l’œuvre de la grâce, non pas seulement pour sa personne propre mais pour la néophyte qui se travestissant parfois sous des traits diaboliques n’en conserve pas moins cette âme que son Créateur cherche à sauver en l’aimant.
Natalie Saracco ne prétend pas à égaler Tarkovski ou Bresson, et d’ailleurs personne ne le lui demande, et, soyons sexiste, assume tout à fait sa part d’hystérie et de sentimentalisme. Mais le reprochera-t-on à Thérèse de Lisieux ou à Marguerite-Marie Alacoque ? Il n’y a pas lieu ici de s’en défier, au contraire d’en faire son miel. Et de sortir intimement blessé de ce film, parce que c’est par là aussi qu’Il nous guérit.
J.G.