Ce que la COP21 occulte

En polarisant toute l’attention sur le climat et donc sur le problème des gaz à effet de serre, on occulte tout lien entre cette prolifération et nos systèmes économiques qui exigent croissance et consommation toujours en hausse pour fonctionner normalement.

Le réchauffement climatique est un sujet qui déchaîne les passions, suscite paradoxalement des positions d’autant plus nettes et tranchées que les questions sont complexes et techniques, le plus souvent hors de portée du commun des mortels. Reconnaissons que lorsque l’on n’est pas un spécialiste et que l’on essaie d’examiner ce sujet sans a priori, il est extrêmement ardu de faire la part des choses entre des arguments contradictoires difficiles à vérifier soi-même. Et l’ahurissant battage médiatique qui nous a écrasés à propos de la COP21 – un « accord historique » auquel personne ne comprend rien et qui apparaît surtout comme une formidable opération de « com » politique – n’est pas de nature à aider à un juste discernement, tant on ne peut échapper à l’impression désagréable que l’on nous prend vraiment pour des imbéciles, avec un scénario catastrophe bien rôdé – c’est toujours la « dernière chance » – heureusement conclu par l’happy end espéré – ouf, la planète est sauvée !

On nous prend pour des imbéciles, ou plutôt pour de petits enfants incapables de comprendre les enjeux, quand on joue sur le catastrophisme pour faire peur et remuer les foules. Quand on nous vend une contrainte apocalyptique – ne pas dépasser 2° C – comme une donnée scientifique absolue, alors qu’elle est le résultat de modélisations mathématiques dont tout scientifique sait qu’elles comprennent une part d’erreur et d’incertitude – et l’on ose nous affirmer très sérieusement que l’accord permettra même de ne pas dépasser 1,5° C ! Pourquoi ne pas expliquer simplement qu’il s’agit d’hypothèses vraisemblables ? Pense-t-on vraiment que les peuples ne sont pas capables de le comprendre ? C’est précisément en quittant le vrai terrain scientifique, qui ne peut qu’annoncer une tendance plus ou moins probable, que l’on donne l’impression de défendre une idéologie, favorisant ainsi d’inévitables contestations – de ceux que l’on a dénommés « climato-sceptiques » dont tous les arguments, au reste, ne sont pas sans intérêt.

Ces derniers se sont attachés à montrer que le réchauffement climatique n’était pas dû à l’activité de l’homme : on est là typiquement dans le débat inaccessible au non-spécialiste. Certes, l’immense majorité des scientifiques que l’on entend plaident pour la responsabilité humaine, en raison de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, mais j’admets que ce n’est pas là un argument péremptoire, les médias étant eux-mêmes d’un parti pris avéré (1). Admettons par hypothèse qu’il y ait une incertitude sur l’origine du réchauffement, celui-ci n’en demeure pas moins un fait aux répercussions indéniables.

Au demeurant, les climato-sceptiques ne peuvent ignorer qu’il demeure toujours un doute sérieux – celui-ci jouant dans les deux sens, le débat scientifique est assez vigoureux pour en témoigner – quant à la véracité de leurs propres théories exonérant l’homme de toute responsabilité dans le réchauffement. Dès lors, le doute ne peut jouer qu’en faveur du principe de précaution, eu égard aux conséquences d’un tel phénomène.

Le principe de précaution s’applique ici d’une façon d’autant plus pressante que le réchauffement climatique est loin d’être le seul problème écologique qui menace la planète – et c’est une autre faiblesse des grandes réunions comme la COP21 de polariser l’attention sur ce seul aspect, alors que l’écosystème forme un tout. Dès lors, que veulent prouver les climato-sceptiques en niant l’origine humaine du réchauffement et en se moquant du souci écologique ? Que l’homme ne contribue en rien au saccage de la planète ? Que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que l’on peut continuer, exactement comme avant, à extraire à tout va et à consommer toujours plus comme si de rien n’était ? La pollution des mégalopoles comme Pékin, la fonte des glaces, la chute brutale de la biodiversité, notamment la forte diminution des réserves halieutiques, l’agriculture intensive à base d’OGM, la déforestation massive, le manque d’eau, etc., sont-ce là des problèmes secondaires qui ne concernent pas notre avenir et qui ne méritent donc pas que l’on s’y penche pour leur trouver des solutions ?

Ce qui est gênant chez nombre de climato-sceptiques n’est pas la contestation de la responsabilité humaine du réchauffement – qui pourrait n’être après tout qu’un débat scientifique –, mais leur indifférence aux questions écologiques comme si elles n’étaient globalement pas fondées et n’étaient posées que pour alimenter des rentes de situation et empêcher le marché, libéré de toute entrave, de faire son travail. La forte convergence entre ces derniers et le libéralisme économique pourrait-il n’être qu’un hasard ? Sans doute est-ce là le cœur du problème : le « climato-scepticisme » n’est que le masque du libéralisme pour maintenir son idéologie et attaquer sur son propre terrain l’écologie en essayant de la discréditer, en faisant croire, au travers de travaux largement financés par le lobby pétrolier, qu’elle invente des menaces qui n’existent pas ! Ce faisant, les libéraux-climato-sceptiques refusent toute remise en cause de nos modèles économiques qui, tels quels, les satisfont, la question du rapport de l’homme à son environnement ne les concernant pas davantage.

Or, le problème majeur que la COP21 a totalement occulté est qu’il est vain de prétendre baisser notre consommation d’énergie tout en recherchant à maintenir des rythmes de croissance économique effrénés. La croissance a besoin d’énergie, c’est une réalité absolument incontournable. On peut certes s’engager vers des énergies « propres », mais aujourd’hui nous n’en connaissons aucune qui ait le faible coût des énergies fossiles conventionnelles. L’impressionnante croissance des pays industrialisés aux XIXe-XXe siècles a été rendue possible grâce à une énergie fossile dont le coût augmentait moins vite que les revenus, une énergie donc de moins en moins chère : or, sauf découverte technique aujourd’hui inconnue, ce temps sera un jour achevé par épuisement des réserves, tandis que les énergies fossiles non conventionnelles (gaz de schiste, sables bitumineux…) et la plupart des énergies renouvelables (sauf l’hydraulique) ont un taux de retour énergétique très inférieur au pétrole, au gaz ou au charbon. Faire croire que tout peut continuer comme avant moyennant des efforts sur les gaz à effet de serre est donc un mensonge et la COP21 y contribue largement. On ne peut échapper, à moyen terme, à la question de la remise en cause de nos modes de vie énergivores appuyés sur une croissance soutenue et une consommation sans cesse en expansion.

Néanmoins cette contrainte des limites qui s’impose à nous, n’est-elle pas une chance qui nous est offerte pour réfléchir à frais nouveaux sur des modes de vie plus simples, moins stressants, plus fraternels et solidaires – et aussi à repenser la démocratie, plus directe, en lui redonnant un contenu qu’elle a perdu ? Il ne faut pas se leurrer : ces changements obligeront, dans nos pays développés, à des sacrifices en termes de niveau de vie, par exemple payer la nourriture plus chère, revenir cependant à des circuits de production et de distribution plus courts peut permettre l’accès à des produits certes moins nombreux mais de meilleure qualité. Entre ceux qui ne veulent rien changer et certains écologistes qui rêvent de nous construire un monde dirigiste à la soviétique où tout le monde sera prié de vivre en ville et sans auto dans des logements collectifs, il y a heureusement d’autres voies : l’honnêteté oblige d’ailleurs à reconnaître que le monde vers lequel nous nous dirigeons est encore extrêmement flou et dépend de nombre de paramètres que nous ne maîtrisons pas toujours… et c’est peut-être mieux ainsi.

Christophe Geffroy

(1) Selon des scientifiques consultés, si l’on prend les véritables revues scientifiques à comité de lecture, le rapport serait écrasant en faveur de la responsabilité humaine dans le réchauffement. Le GIEC donne le rapport de 97 % contre 3 %, chiffre peut-être orienté mais qui n’en donne pas moins une tendance indéniable.

LA NEF n°277 janvier 2016