Le pape François n’est pas toujours très facile à suivre. Pour le comprendre, il faut saisir son souci omniprésent de l’évangélisation.
Cela fait un peu plus de trois ans que le pape François a été élu sur le siège de Pierre et si sa popularité reste élevée, il n’en demeure pas moins pour beaucoup une énigme, ne serait-ce que parce que le « religieux » est devenu largement incompréhensible pour la plupart des journalistes des grands médias, mais aussi parce que les « vaticanistes » patentés eux-mêmes peinent à cerner les objectifs réels de ce pape inclassable. La plupart des commentateurs expliquent néanmoins sa popularité par sa simplicité, la proximité qu’il manifeste avec les personnes de toutes conditions et jusqu’aux plus pauvres. Je ne sais si c’est là toute l’explication, mais qu’importe, nous n’allons quand même pas nous plaindre de la popularité du Souverain Pontife : tant mieux si celle-ci contribue à mieux faire connaître et aimer la figure du Christ dont il est le doux vicaire ici-bas.
Il est réjouissant de constater que cette popularité n’est ébranlée par aucune des « gaffes » du pape qui obligent le Père Lombardi à d’incessants communiqués rectificatifs. Alors que les médias ne passaient rien à Benoît XVI dont le verbe était pourtant d’une précision d’horloger – ça devait leur passer au-dessus de la tête –, ces derniers ne cessent de s’amuser des « petites phrases » de François (souvent prononcées dans les avions) qu’il sait habilement faire aller dans le sens du vent dominant : depuis son « Qui suis-je pour juger ? » à propos des personnes homosexuelles jusqu’à son immixtion dans la campagne américaine avec sa prise à partie de Donald Trump à propos des murs, en passant par l’histoire des lapins, rien ne semble le déstabiliser.
Des moyens pauvres
Certes, on peut se demander si un pape est bien à sa place en répondant à des conférences de presse dans un avion, si sa fonction n’exige pas un peu plus de recul. Mais ce qui est intéressant en l’occurrence, c’est qu’alors que de toutes parts on entend que les autorités ecclésiales devraient s’entourer de pros de la « com », le pape, lui, reste ce qu’il est – ce qui explique peut-être précisément son succès, puisqu’il s’affranchit de cette médiation artificielle et aseptisante qu’est la « communication » ! Le pape nous montre que si l’Église veut être fidèle à son divin maître, elle ne peut l’être qu’en employant des moyens pauvres – comme si le Christ pouvait ne plus être un signe de contradiction moyennant une « com » adaptée !
Au reste, l’un des aspects forts du message de François est son insistance à désigner le mal que représente la recherche insatiable de profits toujours plus grands par des puissances d’argent toujours plus concentrées quand, dans le même temps, la pauvreté augmente et que stagnent les classes moyennes. Un tel discours est facilement compréhensible aux oreilles modernes et il est heureux que le pape contribue à éveiller les consciences sur un tel thème, même si ses contradicteurs imbéciles le traitent de « socialiste » ou de « communiste » !
Le souci des âmes
Le cœur du souci de François, n’est cependant pas là ; il est spirituel et on le perçoit sans peine tout au long de son exhortation Amoris Laetitia : ce pape est avant tout un pasteur soucieux du salut des âmes ; son obsession est de les amener à Jésus-Christ, d’où sa volonté de concentrer l’annonce sur l’urgence du kérygme, quitte à mettre au second plan certaines questions morales. Son zèle est tel, qu’il est parfois quelque peu maladroit, voire apparemment injuste ou désinvolte. Quand, par exemple, il oppose les chrétiens trop attachés à la doctrine à ceux plus ouverts à la miséricorde, comme si c’était forcément l’un ou l’autre ! Quand il réserve ses critiques les plus acerbes aux membres de la Curie : certes, sa réforme est sans doute nécessaire et l’on attend ce que François pourra faire, mais il serait profondément injuste, au prétexte de quelques brebis galeuses, de faire passer l’ensemble de ses membres pour d’ambitieux arrivistes quand on y dénombre en réalité une somme de dévouements admirables. Il est vrai que François est jésuite et sa vision des choses est parfois quelque peu binaire. Il est au reste étonnant de constater qu’aucun média ne relève sa propension à évoquer le diable ni son caractère très autoritaire – points qui soulèvent habituellement une vive réprobation !
Quand François a une idée en tête, il est difficile de la lui enlever, et il sait l’imposer même à son entourage hostile. Dans l’affaire du synode sur la famille, c’est bien lui qui a voulu mettre en avant la question des divorcés remariés en donnant la parole au cardinal Kasper au Consistoire de février 2014. « Je suis fils de l’Église », avait-il prévenu pour dire qu’il ne voulait pas changer la doctrine de l’indissolubilité du mariage ; mais ne voulant pas renoncer non plus à une avancée « pastorale » envers ces personnes, il nous laisse une exhortation ambiguë sur cette question, avec un chapitre 8 qui semble surtout s’adresser à des confesseurs, et où s’articulent obscurément pour le profane les plans objectif et subjectif, le for externe et le for interne.
Même approche volontariste dans l’affaire des « migrants » : une chose est de prôner un accueil généreux et l’amour des personnes – François est là indubitablement dans son rôle –, autre chose est d’en appeler à l’abolition des frontières et à l’entrée sans limite dans l’Union européenne – n’est-ce pas la négation du politique et du bien commun ? Nous ne sommes pas face à quelques réfugiés isolés, mais confrontés à une vague migratoire sans précédent qui plonge les peuples européens dans une légitime anxiété dont nos élites ne se soucient guère.
François n’est pas toujours très facile à suivre, avouons-le, mais nul doute que le fil directeur de tout son pontificat est l’évangélisation. Avec son charisme propre, il suit là les traces de ses prédécesseurs…
Christophe Geffroy
© LA NEF n°281 Mai 2016