La bonne nouvelle de ce mois de juin est, on le sait, tombée au matin de la Saint Jean, cette fête qui est à l’opposé de Noël dans le calendrier chrétien, jour où la lumière culmine dans l’hémisphère nord, jour surtout qui sonne le glas du monde ancien, comme Jean-Baptiste achevait la première partie de la révélation : donc, ce jour-ci, les Britanniques se sont réveillés, et ils étaient libres.
Libres de nouveau en cette Saint Jean qui, si l’on en croyait Nigel Farage, le chef de file du Brexit, devrait devenir fête nationale du Royaume-Uni, ou du moins l’équivalent de cette saint Crépin, lorsque Henry V d’Angleterre défit les Français à Azincourt, victoire elle encore – même si la défaite fut belle de notre côté aussi – de petits hommes libres contre les dominants, et que Shakespeare célébra ainsi : « We few, we happy few, we band of brothers. »
En effet, aujourd’hui et à nouveau, c’est une bande de libres Anglais, guéris de la bureaucratie bruxelloise, revenus du multiculturalisme et de l’immigration de masse, vaccinés contre le marché commun, qui ont choisi de recouvrer leur souveraineté. Certes, de nos jours on ne fait plus cela dans le sang – en tout cas, pas encore. Mais la menace que coule ce « sang des pauvres » qu’est l’or, ou l’argent des banquiers, des financiers, des bourses, joue encore et pèse comme une épée de Damoclès. En effet, que dit-on aux peuples ? Bougez ne serait-ce que le petit doigt et l’on ferme les vannes, et la monnaie s’écroule, et les investissements désertent. Ce sont les peurs sur quoi nos maîtres non élus ont joué, refaisant en quelque sorte ce serment des aristocrates athéniens, que Chantal Delsol aime à citer pour rappeler ce qui nous guette : « Je jure de nuire au peuple par tous les moyens. » Mais peur vaine devant la décision glorieuse des Britanniques.
En réalité, ce libre choix du peuple anglais laisse augurer du meilleur : que cette Europe-ci explose enfin, non pour que renaissent les conflits et les disputes, mais pour qu’enfin une vraie confédération de peuples souverains puisse se créer. Une confédération où les exécutifs et les parlements ne soient plus liés par des traités qui les dépouillent, mais par des traités justes, nécessaires, signés si et seulement s’il le faut, selon ce sempiternel principe de subsidiarité dont l’on rebat tant les oreilles pour nous faire oublier qu’on ne l’applique jamais. On nous fait craindre la fin des projets européens : mais c’est ne pas se souvenir que les projets qui ont abouti et fonctionné, comme Airbus, sont nés lors que l’Europe de Maastricht n’existait pas, preuve s’il en était besoin que la coopération bi ou multilatérale n’a nul besoin de la Bruxelles technocratique pour exister.
Bien au contraire, d’ailleurs. Et les Anglais ont mille fois raison de recouvrer aussi la maîtrise de leurs frontières, quand l’Europe n’a fait que les détruire sans les remplacer. Brexit ici, murs de protection en Europe centrale et de l’est : décidément, peuples et gouvernements n’en finissent plus de souffleter les petits maîtres qui nous ont si longtemps humiliés.
Si la France était encore une démocratie normale, on attendrait que son gouvernement lui propose un vote équivalent, qui serait comme la réparation de l’attentat à la souveraineté populaire que fut le traité de Lisbonne. Mais ce serait trop rêver que d’attendre que François Hollande ou Manuel Valls, cet aveugle et ce paralytique, osent voir la réalité en face et s’y frotter. Non, ils la nieront jusqu’au bout et vanteront plus d’Europe, c’est-à-dire aujourd’hui plus d’Allemagne, puisqu’il est patent que le pays d’Angela Merkel nous dépouillera décidément jusqu’au bout, non d’ailleurs que ce soit de sa faute, elle joue sa partition, mais que nous-mêmes ayons décidé d’abandonner tout courage et toute espérance.
L’une des leçons que nous pouvons d’ores et déjà tirer de cet adieu anglais à la fausse Europe, c’est que nos élections à venir, si décisives pour l’avenir du pays, se joueront notamment sur la question de la souveraineté. Les fans de Bruxelles sortiront leur artillerie, appelant à refuser les peurs et le repli sur soi. Gageons que le peuple français, d’une façon ou d’une autre, leur infligera à son tour le camouflet qu’ils méritent, et reprendra aussi sa liberté.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°283 Juilet-août 2016