Plus de quatre mois après le référendum approuvant la sortie de la Grande-Bretagne de « l’Union européenne », les déclarations de la Première Ministre britannique permettent d’en esquisser les conséquences, longtemps demeurées incertaines en raison des habituelles entourloupes de la nomenklatura atlantico-bruxelloise, si rompue à l’art de contourner les référendums. Mme May semblant conserver son cap, on peut tenir pour assuré que, selon ses termes « Brexit is Brexit » : mesurons donc l’importance de ce fait qui, quand il sera accompli (dans deux à trois ans, Mme May ne se pressant pas, et à juste titre), pourrait bien être « historique », mot dont on abuse mais qui serait cette fois fondé.
On a évoqué ici l’effet immédiat sur l’équilibre européen et surtout atlantique, les États-Unis perdant le contrôle sur un allié par lequel, en ricochet, ils contrôlent en bonne part l’UE (La Nef, juillet-août 2016) ; mais les conséquences à long terme sont plus décisives encore si, comme plusieurs signes l’annoncent déjà, ce retrait permet à la Grande-Bretagne, larguant les étroites amarres bruxelloises qui n’étaient pas dans sa nature, de renouer avec sa grande politique maritime, c’est-à-dire mondiale, et de donner à son économie et à sa personnalité propre un nouvel élan : tandis que les rouages de l’Europe à la sauce UE sont manifestement grippés et que les dissidences se multiplient (les pays de l’Est s’entraînent à désobéir à Bruxelles, plusieurs sondages montrent que la tentation de sortir de l’UE serait sans doute majoritaire dans au moins deux pays, les Pays-Bas et la France, peut-être aussi le Danemark, la Suède et la Finlande), un « hard Brexit » réussi pourrait disqualifier définitivement l’UE.
Non pas seulement que cette réussite aurait sur les peuples un effet libérateur, leur permettant de quitter une entreprise qui eut longtemps les atours de l’irrépressible progrès et l’allure d’une nécessité qu’il paraissait impensable de contrarier (sentiment qui fut très fort en Allemagne notamment, mais aussi en Italie ou en Espagne) ; surtout, à un niveau géopolitique que les stratèges n’envisagent encore qu’en secret, le départ de la Grande-Bretagne et probablement des Pays-Bas pourrait réorienter les nations européennes vers des coopérations continentales, incluant la Russie, ce qui détournerait notre continent du prisme atlantique qui sut certes arbitrer ses conflits internes au XXe siècle, mais l’entraîna aussi dans une vassalité qui ne laisse de l’affaiblir, au point qu’elle devient le « continent malade » de la planète.
LA FORCE DES NATIONS
Il est d’usage de fixer le début du XXe siècle à la Grande Guerre, 14-18 ouvrant le long suicide de l’Europe, plus particulièrement cette année 1917 qui vit à la fois le premier débarquement de soldats américains sur le vieux continent et la Révolution bolchevique, c’est dire une cruelle coupure de notre continent que l’hostilité américaine à la Russie perpétue sans fin, mais aussi la mutinerie de « poilus », la naissance du pacifisme et la tentation de sortir de l’histoire. Peut-être datera-t-on le début d’un nouveau siècle de ce jour de 2016 où un vote britannique renversa ce qui fut tout du long, depuis 1917, la matrice intellectuelle de son prédécesseur, ce fameux « dépassement des nations » faisant le fond des trois impérialismes par lesquels il fut labouré de part en part, le soviétique, l’allemand et l’américain.
En réaffirmant la force insubmersible des nations, déjà apparue après la chute du communisme et dont on peut penser, mondialisation aidant, qu’elle s’imposera contre les chimériques constructions supranationales, le peuple britannique confirme de façon éclatante les vues de celui qu’il accueillit jadis à Londres, le Général de Gaulle, pour qui les grandes nations, la sienne comme les autres, ne pouvaient mourir : telle pourrait être, une fois déliées les vieilles fixations idéologiques, la réalité du siècle nouveau, sa promesse, mais aussi son risque : une fois de plus, tout dépend de ce que nous allons faire…
Paul-Marie Coûteaux
© LA NEF n°286 Novembre 2016