Retour à la barbarie

Depuis les attentats islamistes de Paris, en janvier et novembre 2015, une peur nouvelle est née : celle de la barbarie violente des islamistes qui n’est plus lointaine mais bel et bien en nos murs, barbarie d’un monde passé, cruel et violent, que l’on voulait croire révolue à jamais. Nos postmodernes, traumatisés par l’horreur des deux guerres mondiales, véritables suicides de l’Europe, pensaient clore enfin l’histoire après la chute de l’Union Soviétique – l’« Empire du mal ». La démocratie libérale, appuyée sur le marché mondial libre de toute entrave, n’avait plus guère de concurrent idéologique, elle était le modèle insurpassable et incontesté, elle allait donc vite conquérir la planète entière pour ouvrir une période de paix totale et définitive.

Hélas ! les guerres américaines au Proche-Orient ont réveillé l’orgueil islamiste et suscité un terrorisme d’une ampleur nouvelle qui nous laisse désarmés, tant nous n’imaginons plus que l’on puisse se sacrifier pour une cause à caractère religieux. La conception moderne de la laïcité a chassé toute transcendance de nos sociétés et même les démocraties occidentales les plus ouvertes à la religion ont atteint un degré de sécularisation et de matérialisme sans précédent qui conduit de fait à considérer le facteur religieux comme marginal.

L’utopie de la « fin de l’histoire » a cependant oublié le besoin d’enracinement des hommes dans un terroir, une culture, une religion ; une résistance imprévue est apparue au « modèle idéal » du tout marché qui enrichit plus particulièrement une petite caste mondiale, laquelle contrôle les démocraties transformées en médiacraties ploutocratiques.

Le terrorisme islamiste, néanmoins, n’est fort qu’en raison de notre faiblesse, de notre lâcheté et de l’incohérence de nos politiques intérieure et extérieure. Certes, je ne dis pas qu’il existe des solutions aisées à mettre en œuvre, mais les problèmes sont au moins identifiables si l’on veut bien ne pas se voiler la face. Les Américains avec leurs supplétifs européens sont largement responsables du chaos qui touche le Proche-Orient depuis les deux guerres absurdes contre l’Irak. Et, à cause du pétrole, nous fermons les yeux sur le soutien de l’Arabie Séoudite et du Qatar au terrorisme sunnite ! Quant à l’islamisme français et européen, il ne s’est développé que par une immigration pléthorique volontairement incontrôlée ; submergés par le nombre et ayant perdu le sens de ce que nous sommes au point de ne plus nous aimer, nous avons renoncé à toute assimilation et laissé se développer un communautarisme musulman revendicatif qui met en danger l’unité même de la nation. La situation est tragique, mais un peu de lucidité, de courage et de volonté politique peuvent renverser la tendance.

Si cette barbarie islamiste commence à être prise en compte, au moins dans les débats, il n’en va pas de même d’une autre forme de barbarie, infiniment plus sournoise et tout aussi dangereuse, une petite minorité en étant le fer de lance tandis que la plupart de nos contemporains n’en ont même pas conscience. Il s’agit du prométhéisme de l’homme moderne émancipé de toute limite, prométhéisme qui travaille à la fabrication d’un homme nouveau, maître du sens et de la vie, prélude à tous les totalitarismes. Deux livres remarquables illustrent cette inquiétante dérive. Chantal Delsol, dans La haine du monde (1), montre comment cette petite minorité pousse à l’émancipation totale de l’homme par l’effacement de toutes les limites – transcendante, naturelle, morale, culturelle –, au détriment de son enracinement qui est devenu le mal absolu. Le nivellement généralisé que l’on observe, au nom de l’idéologie égalitaire, relativise tout afin de permettre l’émergence des seules formes acceptées – la théorie du genre, par exemple, ou la norme homosexuelle –, toute critique étant notamment éliminée par la dérision. La seule borne au Tout est possible demeure la technique, laquelle, via le Progrès, permettra demain ce qui n’est pas encore réalisable aujourd’hui.

L’autre ouvrage est celui de Jean-Marie Le Méné, Les premières victimes du transhumanisme (2). C’est ici un développement effrayant d’un cas très concret : comment, au nom de « l’homme parfait » revendiqué par le transhumanisme, la médecine en est arrivée à ne même pas chercher à guérir le malade, mais tout simplement à l’éliminer avec un objectif de 100 % de réussite ! Malgré les précédents de sinistre mémoire, on a ainsi mis en place un eugénisme qui ne se cache plus. Et Jean-Marie Le Méné montre que le moteur de cette évolution est la soif insatiable de profits de multinationales sans foi ni loi.

Le prométhéisme moderne est une utopie mortifère dont les liens avec l’Argent et l’idéologie des « marchés libres et sans entraves » – toujours le rejet des limites – ne doivent rien au hasard, c’est un autre point fort de ces deux essais que de le mettre en lumière.

(1) Cerf, 2016, 240 pages, 19 €.

(2) Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 174 pages, 19,50 €.

Nous reviendrons plus en détail ultérieurement sur ces deux essais importants.

LA NEF n°279 Mars 2016