Au matin de Pâques, grande est la joie de Marie, qui a vraisemblablement été la première à bénéficier d’une apparition de Jésus, car elle sait que la souffrance de son Fils n’a pas été vaine.
En ce temps pascal et en ce mois de Marie, nous pouvons contempler le mystère de sa joie à la résurrection de son Fils. Les Évangiles ne nous renseignent guère à ce sujet ; il n’y est pas question d’une apparition de Jésus à sa Mère. Mais nous savons bien que tout n’est pas contenu dans les Évangiles qui n’ont jamais prétendu être exhaustifs. Saint Paul, par exemple, affirme que Jésus ressuscité apparut à plus de cinq cents disciples à la fois (cf. 1 Co, 15, 6), ce dont les évangélistes ne parlent pas !
Au matin de Pâques, Marie ne faisait pas partie du cortège des saintes femmes qui se rendaient au tombeau (cf. Mc 24, 1). Or, ces saintes femmes représentaient le dernier carré des fidèles ; elles étaient, en effet, présentes au pied de la croix avec la Vierge Marie. C’est d’ailleurs un choix du Seigneur d’avoir voulu d’abord apparaître à ces saintes femmes. Il y a là un indice de ce que le Seigneur avait déjà gratifié sa Mère d’une apparition, sinon Marie aurait selon toute probabilité fait partie de ce cortège. Nous sommes enclins à penser, avec une tradition pieuse de l’Église et avec la conviction forte de saint Jean-Paul II (1), que Marie fut en effet la première à bénéficier d’une apparition de son Fils. Avec les yeux de la foi, nous pouvons entrevoir cette apparition de Jésus ressuscité, au matin de Pâques, à sa sainte Mère.
Si nous considérons l’ensemble des apparitions dont nous parlent les évangélistes, Jésus ne s’est pas laissé spontanément reconnaître pour deux raisons :
– La première est une raison objective : l’état du Christ ressuscité est sensiblement différent des traits naturels qui étaient les siens pendant sa vie mortelle. La résurrection ne constitue pas un retour à la vie d’avant, mais une entrée irréversible dans la gloire de Dieu, gloire qui déjà irradie l’humanité du Christ ressuscité et qui, comme lors de la transfiguration, rend son visage « autre » (cf. Lc 9, 29).
– Les évangélistes signalent cependant une autre raison, rédhibitoire pourrait-on dire, qui, elle, est une raison subjective, du côté des disciples : c’est leur incrédulité ! « Hommes sans intelligence, lents à croire ce qu’ont dit les prophètes » (cf. Lc 24, 16-25). Cette incrédulité constituait comme des écailles qui les empêchaient de reconnaître Jésus. Alors, Jésus s’est adapté à l’incrédulité ou au déficit de foi des disciples auxquels il est apparu.
Il convenait que Thomas, homme concret et charnel, palpât les plaies glorieuses du Ressuscité (cf. Jn 20, 27). Aux pèlerins d’Emmaüs, versés dans les saintes Écritures, il convenait que Jésus leur expliquât précisément le sens des Écritures qui convergeaient vers le mystère pascal. Aux apôtres, qui craignaient de voir un fantôme, il convenait que Jésus se révélât à travers des signes tangibles, comme le fait de manger avec eux (Jn 21, 4-14). Et, à Marie-Madeleine qui était aimante, il convenait qu’il se fît reconnaître par ce qu’il avait de plus intime en lui, son inflexion vocale qui permit à Marie d’identifier le bon Pasteur (cf. Jn 20, 16).
Pour ces raisons, nous pouvons penser de Marie que, n’ayant jamais failli dans sa foi – elle se tenait debout près de la croix : sa foi n’avait jamais vacillé ni chancelé –, elle put reconnaître Jésus sans la médiation d’aucun signe. Il lui suffisait que son fils ait dit qu’il ressusciterait – sicut dixit – pour qu’elle le crût. Et comment le reconnut-elle de fait sinon par son instinct maternel qui lui désigna de manière infaillible Jésus ressuscité d’entre les morts ? Ce sont ses entrailles qui reconnurent la chair de sa chair ! Marie, la première fidèle, a ainsi été la première à être gratifiée d’une apparition du Seigneur ressuscité.
La tradition ecclésiale, notamment liturgique, a admis une annonciation angélique adressée à Marie à la résurrection de son Fils. Cela nous a donné le Regina caeli que nous chantons pendant tout le temps pascal : « Reine du ciel réjouissez-vous ! » « Réjouissez-vous », ce sont les mêmes termes que ceux de l’ange Gabriel à l’Annonciation : « Je vous salue » ou, en grec, « Réjouissez-vous ! ». « Reine du ciel réjouissez-vous car celui que vous avez mérité de porter, est ressuscité. » Voilà un raccourci saisissant. En temps pascal, la liturgie abolit le temps intermédiaire entre l’Incarnation et la Résurrection. Jésus, sorti des entrailles de sa sainte Mère, se trouve à l’état de Ressuscité. Pourquoi abolir cette dimension de la Passion puisque c’est par la Passion que nous arrivons à la Résurrection ?
Saint Jean, dans son Évangile, rapporte les paroles de Jésus qui expliquent cette abolition, cette mise entre parenthèses de la souffrance : « votre tristesse se changera en joie » (Jn 17, 20-22). Et Jésus d’évoquer le cas de la femme enceinte sur le point de mettre au monde son enfant : quand son enfant est né, elle oublie alors les douleurs de l’accouchement dans la joie qu’un homme soit mis au monde. Voilà pourquoi la liturgie a oublié la dimension de la souffrance. La joie de Marie au matin de Pâques est par conséquent la joie d’une mère qui met au monde son enfant. Qui plus est, comme cette joie est passée par la souffrance, il s’agit d’une conversion, d’un changement, si j’ose dire d’une « transsubstantiation » de la souffrance en joie ! Nous comprenons alors quelle est la raison profonde de la joie de Marie. C’est que la souffrance de son Fils, la souffrance de sa compassion, n’a pas été vaine. C’est une souffrance féconde, génératrice de vie. Elle nous a engendrés à la grâce dans les douleurs de sa compassion. Alors oui, réjouissons-nous pendant tout ce temps pascal avec la Reine du ciel ! Alléluia !
Abbé Christian Gouyaud
(1) Audience générale du 21 mai 1997.
© LA NEF n°292 Mai 2017