Macron, le nouveau Bonaparte

«Je veux le pouvoir. Je veux le pouvoir fort », écrivait le jeune Balzac, qui ne l’obtint certes pas, mais se délivra de cette obsession dans des personnages de roman, qui, depuis, constituent le fond de notre imaginaire français en matière d’ambition politique. Emmanuel Macron est certainement un Balzac qui a réussi : les législatives, envoyant à l’Assemblée 350 députés d’un parti qui, il y a deux ans, n’existait pas, et qui, sans honte, a été baptisé des initiales de son fondateur, le prouvent et achèvent le tour de force du prestidigitateur. Car ces députés, il y a six mois non plus, n’existaient pas eux-mêmes : godillots tirés de la « société civile », leur absence d’arrière-plan politique empêchera durablement qu’ils se constituent éventuellement en force rétive aux ukases présidentiels. Le Premier ministre, venu de la droite juppéo-orléaniste, se trouve de même en position de faiblesse, qui a dû en sus remanier profondément au bout d’un moins son premier gouvernement. Que dire d’un François Bayrou qui croyait l’heure de gloire arrivée et se retrouve le bec dans l’eau, ayant à son actif la défaite et le déshonneur ?
Macron, dont l’on ignore encore quel bien commun il imagine, a retenu la leçon d’Hugues Capet : il se défait bien vite de ces ducs qui l’ont fait roi. Il a procédé ainsi avec les forces économico-médiatiques qui l’ont propulsé au-devant de la scène. Il procède encore ainsi avec les éventuels concurrents politiques qui pourraient l’entourer. Le phénomène de cour atteint autour de lui des proportions frappantes. Saurait-on le lui reprocher ? Son cynisme correspond parfaitement à la fonction présidentielle telle que le général de Gaulle l’a lui-même imaginée, dès lors que par les lois de 1962 sur l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État, il est allé lui-même contre l’esprit de sa première constitution de 1958.
Notre nouveau Bonaparte, à qui ne manquent que les faits d’armes et certaine virilité, s’est coulé sans effort sur un trône dont les ors correspondaient exactement à sa présomption. Avec d’autant plus de facilité qu’il ne pouvait être contesté que par des médiocres, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Passons pudiquement sur le cas de Mme Le Pen dont l’incompétence publique a si durablement affaibli le camp que c’est miracle qu’elle vienne siéger avec sept députés au Palais Bourbon. Non, l’étonnement doit surtout à la pauvreté intellectuelle et politique des mi-opposants mi-collabos qui font la grande majorité des anciennes gauches et des anciennes droites. Le sort du Modem a été lié dès le début à celui de LREM, et il n’y a rien à attendre de ses élus qui ne prétendent à aucune personnalité propre. Mais à gauche, l’ancien Premier ministre Manuel Valls, malgré toutes les humiliations, souhaite créer un groupe d’appoint pour la majorité présidentielle. Quand chez LR-UDI, les partisans de la politique macronienne se sont sans vergogne rebaptisés « constructifs ».
Plusieurs phénomènes sont fascinants à observer : on voit très exactement comment se met historiquement en place un régime de collaboration, même si ici il n’y aucun rapport pour les conséquences avec Vichy. Mais le pouvoir attire le pouvoir, et tous ces députés et hommes politiques ne sont finalement que le reflet mimétique d’Emmanuel Macron, en beaucoup plus petit. Il aime le pouvoir, et lui seul, ils font de même, petits chiens ramassant les miettes de leur maître sous la table. Et surtout, on n’en entend aucun, même parmi ceux qui refusent de se rendre à ses sortilèges, proposer rien de grand, de neuf, d’exaltant. C’est l’immense chance de Macron : il aligne les évidences, qui en tant que telles sont souvent vraies, et l’on crie au miracle, au génie, seulement parce que plus personne n’avait osé les prononcer. Que ce soit en politique internationale, où il se défait des néo-conservateurs, ou en matière d’éducation, où son ministre Blanquer rappelle sagement les fondamentaux, rien que de très logique, et si ce qui est dit est fait, on saura s’en réjouir.
De Bonaparte, il a l’éminent pragmatisme, c’est-à-dire l’opportunisme. Mais il lui manque pourtant le peuple, celui-là même qui n’est pas allé voter. Il lui manque la ferveur populaire, celle des oubliés qui cherchent à recouvrer leur identité. Pour devenir de Gaulle, il lui manque la vision générale, anthropologique, et l’inscription dans l’histoire de France, dont il a peu de lecture. La France deviendra peut-être demain une grande entreprise sous la houlette de ce PDG nouvelle manière, mais c’est alors qu’elle aura définitivement perdu son âme.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°294 Juillet-août 2017