Le cardinal Robert Sarah © La Nef

La question des traductions liturgiques

Les traductions liturgiques réalisées dans la foulée de Vatican II nécessitaient une révision complète. Jean-Paul II, via la Congrégation pour le Culte divin, en avait établi les normes dans une instruction très précise publiée en 2001 : Liturgiam authenticam. Seize ans plus tard, seul le missel de langue anglaise a vu sa nouvelle traduction approuvée et appliquée. Pour les autres langues, des blocages entre conférences épiscopales et Rome ont considérablement retardé l’aboutissement de ce travail. En France, après le lectionnaire, seule une nouvelle traduction du Notre Père entre en vigueur le 3 décembre (1).
Le pape François a souhaité accélérer les choses en donnant plus de responsabilités aux conférences épiscopales au détriment de la Congrégation pour le Culte divin. Le 28 octobre 2016, il procédait à un large renouvellement des membres de cette Congrégation où les analystes notaient que nombre des nouveaux membres n’étaient pas dans l’esprit de Benoît XVI, c’est-à-dire dans une herméneutique de continuité entre les deux formes du missel romain, si bien que le cardinal Sarah se retrouvait quelque peu isolé au sein de sa propre Congrégation. Quelques mois plus tard, fin décembre 2016, François nommait une commission au sujet des traductions dont le cardinal Sarah était exclu. Aucune information n’avait filtré sur le rôle exact de cette commission. On l’a appris à l’occasion du Motu proprio Magnum principium (MP) « sur la traduction des livres liturgiques » que François a signé le 3 septembre 2017 : elle avait en fait servi à préparer ce Motu proprio important pour lequel le cardinal Sarah n’a pas été impliqué malgré sa responsabilité en matière liturgique.
Ce texte modifie les § 2 et 3 du canon 838 du Code de Droit canonique. Dans l’ancien § 2 en particulier, il revenait au Siège apostolique, à propos des livres liturgiques, « de reconnaître leurs traductions en langue vernaculaire », formule qui devient dans la nouvelle version : « de revoir les adaptations approuvées en vertu du droit canon par la Conférence épiscopale ». Et le § 3 remplace la « reconnaissance » (recognitio) par la « confirmation » (confirmatio) du Siège apostolique. À vrai dire, tout cela n’est pas d’une clarté limpide et si l’on comprend que François veut donner plus de pouvoir aux Conférences épiscopales, on ne sait pas trop jusqu’où il veut aller.
Pour donner une juste interprétation de MP en continuité avec le magistère passé, le cardinal Sarah envoie le 1er octobre au pape un commentaire du Motu proprio qui est peu après publié sur quelques sites internet en Italie, et en France par L’Homme Nouveau. Son commentaire minimise la réforme de François en mettant sur le même plan la recognitio pour les « adaptations » et la confirmatio pour les « traductions », laissant à Rome non seulement le dernier mot, mais aussi la faculté de revoir en détail le travail réalisé par les Conférences épiscopales.
François a été visiblement très irrité par ce commentaire, puisqu’il a adressé le 15 octobre au cardinal Sarah une lettre le désavouant très sèchement, où il conteste radicalement l’interprétation de continuité du Cardinal. Il affirme que MP « ne soutient plus que les traductions doivent être conformes en tous points aux normes de Liturgiam authenticam, comme cela était fait par le passé ». Il distingue nettement confirmatio et recognitio, laquelle « indique seulement la vérification et la sauvegarde de la conformité au droit et à la communion de l’Église ». Et, chose jamais vue, François conclut que « constatant que la note “Commentaire” a été publiée sur certains sites internet, et attribuée à tort à votre personne, je vous demande s’il vous plaît de faire le nécessaire pour la divulgation de ma réponse sur ces sites ainsi que pour son envoi à toutes les Conférences épiscopales, aux membres et aux consulteurs de ce Dicastère ».

Christophe Geffroy

(1) La formule « Ne nous laisse pas entrer en tentation » est bien meilleure que la précédente, mais elle est critiquable dans le sens où la tentation est inhérente à notre nature et Dieu, sauf miracle permanent, ne veut pas l’empêcher en vue de notre bien, Jésus lui-même ayant été tenté au désert pour vaincre Satan et nous montrer comment lui résister. La demande légitime n’est donc pas de ne plus avoir de tentation, mais de ne pas y succomber, laquelle tentation étant un moyen de nous élever en la surmontant avec la grâce de Dieu.

© LA NEF n°298 Décembre 2017