Stéphane Courtois © Bruno Klein

Lénine, l’inventeur du totalitarisme

Stéphane Courtois, historien, directeur de la revue Communisme, a dirigé Le Livre noir du communisme (1997), événement mondial traduit en 26 langues.

La Nef – Votre titre explicite bien ce que vous montrez dans votre livre, à savoir que Lénine est l’inventeur du totalitarisme : pourriez-vous nous dire en quoi principalement il est vraiment l’inventeur de ce système ?
Stéphane Courtois – Il a imaginé de s’emparer du pouvoir avec un parti de révolutionnaires professionnels pour appliquer une doctrine marxiste de suppression de la propriété privée et d’« abolition de la bourgeoisie ». Et le 7 novembre 1917, il est passé à l’acte et a établi ce premier régime communiste de l’histoire : un régime de dictature, dite « du prolétariat » – en réalité du Parti bolchevique – qui s’est emparé du monopole politique du parti unique, qui a imposé le monopole d’une idéologie utopique fantasmant la création d’une société sans classe et d’un « homme nouveau », et qui a accaparé l’ensemble des moyens de production et de distribution des biens matériels – un formidable moyen de pression sur la population.
Ce régime a surtout liquidé toute forme de démocratie et instauré la terreur de masse comme moyen de gouvernement, sans lequel il n’aurait pas tenu trois mois. Toutes ces caractéristiques sont celles du totalitarisme et se retrouvent, à des degrés plus ou moins intenses, dans l’Italie de Mussolini, mais surtout dans l’Allemagne de Hitler… sans oublier tous les autres régimes communistes, y compris aujourd’hui encore.

Votre biographie a le grand intérêt de s’arrêter sur la jeunesse de Lénine : en quoi celle-ci l’a-t-elle prédisposé à ce qu’il allait devenir ? Y a-t-il un « profil type » du chef totalitaire, commun à des hommes comme Lénine, Staline, Hitler ou Mao ?
Il y a chez tous ces hommes un hyper-narcissisme de leur personne qui s’imagine un destin mondial. Ils sont possédés d’une immense volonté de toute-puissance, étroitement liée à leur athéisme : le rejet de Dieu – ne serait-ce que de l’idée de Dieu – légitime à leurs yeux le dépassement de toutes les bornes, de la Loi, de la Morale, de la Vie même. Et chacun sait que quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites, en particulier dans la volonté de toute-puissance et donc dans le crime qui en assure la réalisation.

Comment en est-on arrivé à opposer le « bon » Lénine au « méchant » Staline ?
Cela a été le résultat d’une opération politique soigneusement montée par les dirigeants soviétiques. De 1924 à 1955, Staline a été assez malin pour associer étroitement la figure de Lénine à sa propre ascension politique. Mais après sa mort, ses héritiers ont compris que l’ampleur de ses crimes et de sa terreur était un handicap pour le régime et pour tout le mouvement communiste. Et en février 1956, Khrouchtchev a présenté son fameux « rapport secret » où il a déboulonné la figure de Staline, devenu le « méchant » – surtout parce qu’il avait réprimé quelques dirigeants communistes – et réinstallé au firmament la figure du fondateur, le « bon » Lénine. Mais l’ouverture des archives après l’implosion de l’URSS a montré que le fondateur n’avait pas été moins criminel que son lieutenant Staline, même si son pouvoir n’a duré que de 1917 à 1924 et celui du second de 1924 à 1953.

Estimez-vous que la parole est libre sur le communisme, que la vérité est enfin reconnue ? Ou que reste-t-il à faire pour que le communisme soit perçu pour ce qu’il a été et ce qu’il est encore, à savoir un système comparable au nazisme ?
La commémoration de 1917 en France, aussi bien par les médias que par le monde universitaire, marque au contraire une régression très nette par rapport à la publication en 1997 du Livre noir du communisme où notre collègue Nicolas Werth, dans son chapitre consacré au pouvoir bolchevique à partir du 7 novembre 1917, avait montré, archives en main, que c’est Lénine qui portait la responsabilité initiale de la dictature, de la guerre civile, de la terreur de masse, des premiers camps de concentration ancêtres du Goulag, des procès truqués, de l’expulsion des intellectuels indésirables et de l’extermination par la Tcheka – futur KGB – de tous les opposants. Or cette période de pouvoir et ces faits ont été, pour l’essentiel, systématiquement occultés aussi bien dans les hors-série publiés par Le Monde ou l’Express, que dans les colloques, expositions et documentaires. Pour l’extrême gauche, les communistes et une partie de la gauche, Lénine demeure une figure immaculée et sacrée !

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Stéphane Courtois, Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Perrin, 2017, 502 pages, 25 €.

© LA NEF n°298 Décembre 2017