Romaric Sangars © Benjamin de Diesbach

Les nouvelles de Dieu sont assez bonnes

Les nouvelles de Dieu sont assez bonnes, contrairement à ce qu’écrivait ce cher Philippe Muray, en 2005, dans son magnifique texte « Dieu merci ». Romaric Sangars, pamphlétaire remarqué pour ses assauts à-propos contre feu Jean d’Ormesson, mais surtout romancier prometteur (Les Verticaux, 2016), en assène une preuve neuve. Conversion, qui paraît en ce mois de janvier (Léo Scheer), est à la fois tout simplement ce que dit son titre, un retour à Dieu, mais aussi la traversée de l’époque récente par une génération, et c’est par là que ce livre vaut beaucoup plus que la seule confession d’une foi dans le Dieu trinitaire et catholique – ce qui est déjà beaucoup en soi : vaut beaucoup plus, disons-nous, du point de vue de l’art, du roman et de la sociologie du temps.
Quarante ans aujourd’hui, « au milieu du chemin de notre vie », Sangars a entamé vers vingt ans son chemin vers l’Église. Chanteur de métal extrême dans son adolescence durant les années 90 et fervent lecteur et admirateur d’écrivains postromantiques et décadentistes – souvent retournés à la foi, comme Villiers de l’Isle-Adam, Baudelaire ou Huysmans –, il consacre sa prime jeunesse aux quêtes ésotériques, comme invocations d’esprits ou d’aïeux décédés, et nourrit un grand amour pour une jeune fille grenobloise, sa ville de naissance. C’est notamment sans voile que sa plume, tel un autre saint Augustin, raconte la fin tragique de cette passion qui le précipitant dans Paris, capitale de la douleur, et dans une perte générale de l’axe de sa vie, amorce son inquiétude spirituelle. « Je suis un catholique romain du IIIe millénaire, de la secte de Jésus », lit-il à peine débarqué sur un mur de la grande ville. Un graffiti comme mille autres mais qui l’ébranle souterrainement. La suite est une trajectoire courbe dont les lacets se resserrent cependant de plus en plus autour de la figure du Christ et de son Église. C’est en 2007 que, confirmé dans Notre-Dame, il estime sa conversion achevée.

NOTRE ÉPOQUE AUSCULTÉE
Au-delà du cas, passionnant, de l’auteur-narrateur, c’est l’époque elle-même, dans son matérialisme glacé, dans son art saccagé, dans son divertissement néant, qui est remise entière en perspective ainsi que les moyens, radicaux, d’y survivre. Héritier par la bande de l’écrivain de science-fiction Maurice G. Dantec, ce « catholique du futur » qui réveilla la France au début des années 2000 avec son journal intime publié sous le titre de Théâtre des opérations, Romaric Sangars décrit charnellement le vague-à-l’âme d’une génération mondialisée qui, après la chute du mur et du bloc communiste, après la fin apparente de toutes les utopies, et avant le retour des « guerres de religion » entamées par le 11 septembre, est déjà consciente qu’il ne peut y avoir de fin de l’histoire, sauf à croire que l’homme va disparaître, et d’abord son âme ; consciente du besoin permanent d’héroïsme et du désir constant d’arrières-mondes supérieurs ; consciente d’être appelée à une autre destinée.
Malmenée par l’asservissement volontaire, par ce divertissement porté à un point indu par l’époque qui, dit l’auteur, semble y avoir consacré toutes ses forces, elle aura recherché, désespérément dans ses débuts, puis rassérénée, un point de fuite, une sortie. « Seule la littérature mystique convient encore à notre immense fatigue », écrivait un siècle auparavant Remy de Gourmont. La sentence est toujours vraie : après cent ans de totalitarismes et de massacres, d’aspirations délirantes, comme le communisme et le fascisme, l’humanité de l’époque moderne n’aura guère évolué. Seul un Dieu peut encore la sauver. Et Romaric Sangars, comme nombre de sa génération, semble un Drieu la Rochelle que n’aurait pas guidé le fascisme jusqu’au suicide, mais que la foi, librement choisie, aurait réellement augmenté.

Jacques de Guillebon

Romaric Sangars, Conversion, Léo Scheer, 2018 (à paraître le 3 janvier), 182 pages, 18 €.

© LA NEF n°299 Janvier 2018