La grande aventure française en Amérique du Nord aura étrangement commencé par le truchement d’un Italien. Giovanni da Verrazano, parti de Dieppe pour le compte de l’armateur Jean Ango à la recherche du fameux passage du nord-ouest, parcourt le premier les côtes américaines depuis la Caroline du Nord jusqu’à l’Hudson en 1524, côtes qu’il baptise Nova Gallia (Nouvelle-France), et reconnaît le site de la future New York, qu’il nomme Terre d’Angoulême, en hommage au roi François Ier. Même s’il échoue dans son but premier, son expédition stimule d’autres ardeurs et, dix ans plus tard, c’est Jacques Cartier qui reconnaît les côtes de l’actuel Nouveau-Brunswick et de la Gaspésie, où il se lie avec des Indiens dont certains l’accompagnent en France. Plusieurs expéditions successives lui permettent de découvrir l’embouchure du Saint-Laurent et, en octobre 1535, d’atteindre un petit village indien, Hochelaga, où se bâtira Montréal. Le Canada était né, nom donné par Jacques Cartier lui-même au pays, et signifiant tout simplement village dans une langue indienne.
Mais hélas, la terre ne se révèle pas être l’eldorado du Nord que le roi de France espérait : les minerais et pierres que Cartier a rapportés ne valent rien. L’entreprise est mise en sommeil pour 70 ans.
Car il faut attendre 1604, soit bien longtemps après les expéditions espagnoles et portugaises dans le sud et le centre du continent, pour que les Français prennent conscience de la réelle importance des terres nouvellement découvertes. C’est un noble de Royan, Pierre Dugua de Monts, par ailleurs huguenot, qui relance des expéditions. Nommé par le roi Henri IV, dont il est un ancien compagnon d’armes, « lieutenant général du pays de la Cadie » (Acadie ou Arcadie est le nom qu’aurait donné Verrazano à cette partie du Canada), il crée une petite colonie dans la baie française, après avoir contourné l’actuelle Nouvelle-Ecosse. Des artisans de différents corps de métier, quelques gentilshommes, un aumônier catholique et un pasteur, et enfin le jeune géographe Samuel Champlain. Après quelques difficultés, la petite colonie commence à se développer, toutefois, les aléas de la politique métropolitaine viennent briser net son élan : alors que les jésuites se plaignent de ce que ce soit des huguenots qui la dirigent, les grands marchands de l’Atlantique soutenus par Sully se plaignent au roi de ce que cela vient briser leur commerce. La petite troupe est rembarquée. Qu’à cela ne tienne, Samuel de Champlain (qui a jouté la particule) se rend sur les rives du Saint-Laurent où il fonde Québec.
Pour l’Acadie, il faudra attendre Richelieu et la fondation de la compagnie des Cent-Associés, pour qu’elle soit reprise aux Anglais de haute lutte en 1632. C’est alors que commence son peuplement réel. Frontière sud du Canada français, elle est régulièrement l’objet d’attaques anglaises et d’étonnants capitaines héroïques s’illustrent dans sa défense. Tel le baron de Saint-Castin, allié des Indiens abénaquis, dont il épouse la fille du grand chef, et qui, en sus de mener des actions de guérilla contre les Anglais de Boston, créera une sorte de culture métisse franco-indienne.
Las ! les Anglais finissent par vaincre et rattachent, au traité d’Utrecht (1713), l’Acadie à leurs colonies, alors que le roi Louis XIV est prêt de mourir. Étrange colonie libre et indomptable, l’Acadie n’aura jamais dû que très peu à la métropole, se débrouillant par ses propres moyens, et multipliant très rapidement sa population, à l’origine fort chétive. Mais le pire est à venir : en 1753, l’Angleterre, qui s’y connaît en nettoyage ethnique, décide de se débarrasser de cette turbulente population française. Malgré l’aide de leurs amis Micmacs, les Acadiens ne peuvent longtemps résister. Ils sont entassés dans des bateaux, à fond de cale, et déportés qui vers la Virginie, qui vers la Caroline, qui même vers l’Angleterre. C’est le Grand Dérangement.
L’ŒUVRE DE CHAMPLAIN AU QUÉBEC
Mais l’établissement français au Canada est loin d’être terminé. Puisqu’entre-temps, plus au nord, on l’a vu, Samuel de Champlain a fondé la ville de Québec. C’est en 1608 que ce village nommé Stadacona et dont les anciens habitants iroquois ont disparu, sans doute décimés par les maladies européennes, s’impose à lui comme un lieu stratégique. Proche de Tadoussac, le poste de traite qui sert de débouché au trafic de fourrures de la rivière Saguenay, il permet de gagner aussi le bassin du Saint-Laurent. Huit hommes seulement survivent au premier hiver. Mais l’élan est donné et, en 1617, la première famille de colons vient s’y installer. On commerce avec les Hurons, échange de haches, de quincaillerie, de couvertures contre les fourrures et les peaux de castor. Les familles fondatrices du Québec, dont les noms se répandront partout, Hébert, Joncquet, Couillard, etc., s’installent et développent leur agriculture propre, avec des semences apportées d’Europe.
Champlain met en place la première diplomatie française dans le Nouveau Monde : il noue des alliances pérennes avec les Algonquins, les Montagnais, les Hurons, contre leur ennemi commun et juré, les Iroquois. Et surtout il explore et dresse des cartes : jusqu’à ce qui deviendra le lac Champlain, dans l’actuel État du Vermont aux États-Unis, jusqu’aux lacs Ontario et Huron, plus à l’ouest. Sa politique de peuplement commence à payer : des familles de paysans venues principalement de l’ouest de la France reçoivent un « fief » qu’elles doivent défricher et pour lesquelles, en théorie, elles doivent une redevance à leur « seigneur ». Mais les liens sociaux sont très lâches dans la Nouvelle-France. Deux villes sont édifiées le long du Saint-Laurent, Trois-Rivières et Montréal. De ces terres mises en culture tout au long du fleuve se dégage une impression de prospérité. Les missionnaires récollets et jésuites surtout, débarquent et entreprennent d’évangéliser les « Sauvages ». Champlain déclare au chef des Algonquins : « Nos garçons se marieront avec vos filles, et nous ne ferons plus qu’un peuple. »
Néanmoins, la menace iroquoise se précise et la traite de fourrure elle-même en est perturbée. Le jeune Louis XIV décide d’une expédition militaire pour protéger sa colonie : les mille deux cents hommes du régiment Carignan-Salières sont dépêchés et, en 1667, ramènent la Confédération iroquoise à la raison. Une paix est signée avec les différentes tribus, la Pax Gallica. De plus des militaires français s’installent sur place après leur démobilisation, faisant grandir la communauté locale. Cependant, le déséquilibre entre les sexes est de plus en plus patent. Louis XIV envoie alors ses « filles du Roy », orphelines de toutes classes sociales placées sous sa protection, pour qu’elles soient mariées outre-Atlantique. Comme à son habitude, il développe l’administration et la structure autour de trois hommes, le gouverneur général, l’intendant et l’évêque. C’est l’époque des trappeurs et coureurs des bois, des grandes expéditions comme celle de Cavalier de La Salle et du père Marquette qui reconnaissent la moitié du continent en descendant les grands fleuves, « en canot sur les chemins d’eau du Roy », jusqu’à la Louisiane et la Nouvelle-Orléans.
Le 4 août 1701, c’est la Grande Paix de Montréal, signée par le gouverneur Callières, qui met définitivement fin aux guerres franco-iroquoises. C’est une période de prospérité sans précédent pour la colonie du Canada français. En 1742, sous l’impulsion du gouverneur Pierre Gaultier, l’influence de la colonie s’étend jusqu’aux Lac Winnipeg et les explorateurs poussent jusqu’aux Montagnes Rocheuses, au-delà des Grandes Plaines.
Mais la guerre couvait avec les possessions anglaises voisines. En 1754, les tensions relatives au contrôle de la vallée de l’Ohio prirent un tournant décisif lors de l’affaire Jumonville qui opposa les forces canadiennes à la colonie de Virginie dans la région du fort Duquesne – site de l’actuelle ville de Pittsburgh. Le monopole de la traite des fourrures étant convoité par les compagnies britanniques, la vallée du Saint-Laurent et les territoires de Nouvelle-France devenaient également une cible idéale pour leur entreprise. Le lieutenant général des armées Louis-Joseph de Montcalm débarque en Nouvelle-France avec 3000 hommes en renfort pour défendre la colonie.
D’abord suite de victoires françaises, le conflit, qui devient une partie de la guerre de Sept Ans opposant Français et Anglais partout dans le monde, va tourner à leur désavantage. En 1758, sur l’île Royale, le général britannique James Wolfe assiège et prend la forteresse de Louisbourg, commandant ainsi l’accès au golfe du Saint-Laurent par le détroit de Cabot. Puis, ayant bloqué Québec pendant près de trois mois depuis l’île d’Orléans, ses troupes remportent la bataille des Plaines d’Abraham le 13 septembre 1759. Cinq jours plus tard, le lieutenant du roi et seigneur de Ramezay conclut les Articles de capitulation de Québec. Au printemps 1760, le chevalier de Lévis – grossi d’une nouvelle unité en provenance de Ville-Marie – force les Britanniques à se retrancher dans Québec, lors de la bataille de Sainte-Foy. Néanmoins, ces derniers, augmentés de troupes supplémentaires, dominent les renforts de la dernière chance à la bataille de la Ristigouche. Puis, après la défaite de Trois-Rivières, le gouverneur Vaudreuil signe les Articles de capitulation de Montréal le 8 septembre 1760.
Ainsi prenait fin la belle aventure française au Canada. Mais si elle prenait fin, c’était seulement du point de vue de la métropole. Car attachés à leurs traditions, à leur langue, à leur foi, et soutenus par des prêtres dynamiques, les Québécois allaient résister plus de deux siècles et demi à l’assimilation aux mœurs anglo-saxonnes.
Jacques de Guillebon
Pour aller plus loin, cf. de Christophe Tardieu, La dette de Louis XV. Le Québec, la France et de Gaulle, Cerf, 2017, 368 pages, 20 €. Très intéressante histoire du Québec, avec notamment l’analyse de la préparation du voyage du général de Gaulle au Québec en 1967.
Balises
1763 – Traité de Paris : la France cède à l’Angleterre l’Acadie, le Canada, Terre-Neuve, le Cap Breton et toute la contrée s’étendant sur la rive gauche du Mississippi.
1774 – Acte de Québec par lequel les Anglais reconnaissent la spécificité des Canadiens français, s’assurant ainsi leur loyalisme durant la guerre d’indépendance américaine.
1791 – Partage du pays en deux provinces : le Haut-Canada (Ontario) anglais et le Bas-Canada (Québec) français.
1837-1838 – Rébellions dans les deux provinces pour un gouvernement représentatif et responsable, enfin accordé en 1848.
1867 – Création de la Confédération canadienne, indépendance en tant que « Dominion », donc avec un statut toujours colonial (le Québec est l’une des provinces). C’est graduellement que le Canada se libéra de la tutelle anglaise
1931 – Le statut de Westminster abolit les derniers liens coloniaux avec la Grande-Bretagne.
© LA NEF n°297 Novembre 2018