Mettons entre parenthèses le survol de l’Europe déchirée par les migrations, la sécession, et une fragilité politique dont l’Italie donne une nouvelle illustration – nous y reviendrons. Un autre fait a surgi, qui mérite ex abrupto quelques commentaires tant sont scandaleux ceux qu’il suscite chez les médias bon teint : la démission du « mauvais » Jacob Zuma, Président de la République d’Afrique du Sud, et son remplacement par le « vertueux » Ramaphosa, où nos bons penseurs et mauvais journaleux voient en chœur un signe de santé de la démocratie sud-africaine. Quelle santé ?
Comme son successeur, Zuma arriva au pouvoir, en 2008, par un coup d’État interne à l’ANC parti de libération nationale, membre de l’lnternationale socialiste, devenu dans les faits parti unique où tout se fait et se défait : il s’agissait alors de se débarrasser de Thabo Mbeki, dont le bilan moins que médiocre aboutit à de violentes manifestations populaires contre les migrants du Zimbabwe, du Congo, du Nigéria : il y eut une centaine de morts lors d’épouvantables chasses aux étrangers, phénomène devenu récurrent, combiné aux non moins récurrentes chasses aux blancs – « un blanc, une balle » reste le slogan des radicaux de la « libération »…
BILAN CATASTROPHIQUE DE JACOB ZUMA
Las ! Jacob Zuma, qui devait revenir à l’idéal si pur de l’ANC, de « la nation arc-en-ciel » et autres billevesées relayées par toutes les gauches d’Europe, laisse le pays dans un état plus catastrophique encore : ce Zoulou, massivement soutenu par les siens, était de surcroît lié au gang indien Gupta, repère d’affairistes chevronnés qui, par lui, obtinrent un droit de regard sur la plupart des nominations officielles, plaçant leurs affidés à tous les postes clef et réduisant l’État à un nid de gangsters. C’est ainsi que la fière ANC, au pouvoir depuis 1994, coula ce qui fut longtemps, de loin, la première puissance du continent, dotée d’équipements, d’industries, de centres de recherches de premier plan.
Depuis 20 ans, les nouveaux maîtres tirent de l’acquis autant de dividendes que possible sans se soucier d’investir, de sorte que les industries dépérissent, victimes de la concurrence chinoise ou indienne, de l’incroyable incurie des entreprises publiques, au point que les coupures de courant se multiplient et que même ce fer de lance de l’activité économique que furent longtemps les industries minières périclite – elles ont perdu la moitié de leurs emplois. Tandis que le chômage atteint près de 40 % des actifs, un habitant sur trois vit d’aides sociales et, surtout, le revenu des plus démunis est inférieur de 50 % à celui qu’il fut du temps de l’apartheid – dont l’« héritage négatif » sert toujours d’excuse aux maîtres de l’ANC, ce qui n’empêche pas Julius Malema, figure révolutionnaire du cru, de conclure : « La situation est pire que sous l’apartheid. »
Seul secteur dynamique, malgré des sols ingrats, l’agriculture : c’est le point fort des Boers (« paysans »), premiers colons hollandais, mais aussi huguenots allemands ou français que, voici un siècle, les Anglais repoussèrent par la guerre dans l’intérieur des terres ou dans la montagne. Une première loi organisant leur expropriation fut votée en 1998 (sous Mandela), dont l’application s’accompagna de violences anti-blancs telles qu’elles les poussèrent soit à fuir, soit à s’organiser en milices. On estime à plus d’un millier les assassinats de fermiers blancs, ce qui n’empêcha pas le Président Zuma de faire voter en 2016 une loi transformant expropriations en spoliations. « Je confirme que la terre doit retourner au peuple », déclara-t-il alors, oubliant que, pour la majorité des composantes ancestrales dudit peuple, cultiver la terre est indigne. Le pays, autrefois grand exportateur de produits alimentaires, en importe désormais.
UN NOUVEAU PRÉSIDENT
On voit mal ce que pourra changer à ce système le nouveau président Cyril Ramaphosa, syndicaliste devenu colossalement riche en vendant son « expertise syndicale » aux grands patrons en échange de parts dans les conseils de sociétés minières blanches. Les médias français en font un sauveur, imaginant que ce protégé de Mandela reviendra aux sources des années de libération. C’est oublier que les vices du système mafieux ont été mis en place au cours desdites années, sous le couvert du vertueux Mandela, personnage sans doute pondéré mais si faible qu’il ferma les yeux sur les turpides de son entourage, fidèles du premier jour et autres courtisans sans scrupule (et sans formation), qu’il laissa gouverner, comme il refusa longtemps de se séparer de sa femme Winnie – laquelle fut, en 2003, reconnue coupable de 43 accusations de fraudes, de 25 accusations de vols, puis de nouveau condamnée pour avoir assisté à des séances de tortures sur des jeunes, présumés indicateurs, qu’elle avait fait enlever par sa garde personnelle.
Qu’importe à nos « journalistes », dont l’existentialisme forcené, qui est hélas celui du regard que presque tout occidental pose sur le monde, interdit de voir l’évidence : nul être, nul peuple ne se change et celui qui sort de son modèle, et quelquefois de sa tradition se noie dans d’infinis désordres – cause du naufrage de toute société multiculturelle, à quoi auraient dû songer d’ailleurs les premiers Boers…
Paul-Marie Coûteaux
© LA NEF n°301 Mars 2018