Parfois paraissent des livres qui dérangent, au sujet des migrations et de l’immigration. C’est le cas du récent essai de Stephen Smith, livre où l’auteur affronte sans tabous ni langue de bois la réalité de ce que sont les migrations, tout particulièrement à propos de l’Afrique.
La Ruée vers l’Europe dérange. L’essai trace un drame migratoire qui, malgré les apparences, n’a pas encore vraiment commencé. Stephen Smith est un spécialiste reconnu de l’Afrique, il y a vécu en tant que journaliste pour Libération, puis Le Monde. Il a donc tous les brevets attendus par les médias bien-pensants pour autoriser quelqu’un à ouvrir la bouche sur le sujet. D’autant plus qu’il ajoute à son expertise ses expériences comme analyste pour l’ONU et de professeur universitaire en Études Africaines. Une voix autorisée qui, se basant sur des données factuelles, propose une analyse lançant l’alerte sur la manière dont l’Europe va disparaître du fait du phénomène migratoire africain, lui-même lié à l’extrême jeunesse démographique de ce continent, voilà qui n’est pas banal.
LA FOLIE DÉMOGRAPHIQUE
Que dit l’auteur de La Ruée vers l’Europe, titre fort réaliste au regard de la crise migratoire que nous vivons depuis 2015 ? L’Afrique, c’est plus d’un milliard d’habitants en 2018, et ce sera plus de deux milliards avant 2050. Et sans doute quatre milliards à la fin du XXIe siècle. Dans ces conditions, la récente crise migratoire apparaît pour ce qu’elle est : une prémisse. D’autant qu’en 2050, la population africaine sera composée à 50 % de moins de 25 ans, une jeunesse qui est déjà majoritaire en Afrique noire subsaharienne. Pendant ce temps, l’Europe vieillit, et poursuivra ce vieillissement si aucune politique familiale digne de ce nom n’est mise en œuvre : au mitan de ce siècle, l’Europe ne pèsera plus que pour 7 % de la population mondiale, et 33 % de ses habitants auront plus de 65 ans. Stephen Smith décrit ce qui va se produire : un déferlement de la jeunesse africaine sur le continent européen. D’autant que cette jeunesse est occidentalisée, possédant téléphone mobile et accès à internet, voyant un reste du monde qu’elle rêve de venir habiter ; cette même jeunesse ne répond plus aux caractéristiques anciennes de l’Afrique traditionnelle, où le respect des aînés était une valeur. Les jeunes d’Afrique, nous dit Smith, ne se préoccupent plus de leurs vieux, du moins plus assez pour les prendre en charge localement.
UN CHOC MIGRATOIRE INÉVITABLE ?
Les élites officielles de l’Union Européenne de l’Ouest (il en va autrement dans les pays de l’Est) ont acté que les destins de l’Afrique et de l’Europe seraient liés. Il en va de même de l’ONU et de son rapport sur les « migrations de remplacement » (2007), auquel Smith fait référence, selon lequel l’avenir du continent européen passerait par l’accueil massif de migrants. Ce rapport se veut conseil, et c’est ainsi qu’il a été reçu à Berlin comme à Paris, d’où les actuelles politiques migratoires. Avec le recul, plus personne ne doute que le mantra répété à satiété, en 2015 et 2016, selon lequel les migrants seraient en majorité des réfugiés fuyant des guerres tient plus de la fake news d’État que de l’information objective. Bien sûr, nombre de migrants sont venus de pays en guerre ; la majorité, cependant, correspond à un choix politique intégré comme une nécessité par les gouvernements de l’Union Européenne de l’Ouest. Ce volontarisme se voit aussi dans les médias. Ainsi, dans Le Monde du 8 février 2018, évoquant le livre de Smith, Alain Frachon écrit « qu’une partie essentielle du destin de l’Europe se joue avec l’Afrique, que nous le voulions ou non ». Autrement dit, devant l’explosion démographique africaine, l’Europe n’aurait d’autre choix que d’accepter son « destin », qui serait de devenir « africaine ». Le Monde, mais aussi La Croix en son numéro spécial « Penser l’immigration » du 21 février 2018, voit dans le développement de sociétés multiculturelles se substituant aux racines de l’Europe une sorte d’avenir radieux.
VERS L’AFRICANISATION DE L’EUROPE ?
Ce que décrit Smith évoque le grand roman de Jean Raspail, Le camp des Saints, auquel l’auteur de La Ruée vers l’Europe fait aussi référence. Ce que le journaliste et essayiste Alexandre Devecchio questionnait ainsi dans le Figaro Magazine du 16 février 2018 : « “Et si Raspail n’était ni un prophète ni un romancier visionnaire, mais simplement un implacable historien de notre futur ?”, s’interrogeait Jean Cau au moment de la parution du Camp des Saints. Écrit en 1972, alors que le problème de l’immigration n’existait pas, ce roman décrivait l’invasion de l’Europe par des millions de “miséreux” venus du tiers-monde et ses conséquences sur la civilisation occidentale. Quatre décennies plus tard, la réalité semble rejoindre la fiction. »
Actuellement, le Conseil Européen et la Commission Européenne réclament plus de migrations issues de l’Afrique, et donc concrètement une africanisation de l’Europe. Sans pour autant indiquer ce fait : la très grande majorité des migrants est de religion musulmane. Il s’agit donc de promouvoir à la fois une transformation ethnique et une transformation religieuse du continent européen, autrement dit d’en changer l’identité.
LE VIEUX RÊVE DES UTOPIES MATÉRIALISTES RECYCLÉ
On le voit : le vieux rêve des utopies matérialistes de l’homme nouveau entièrement façonné par les mains de l’idéologie politique n’est pas mort. Il était sorti par la porte, le revoilà par la fenêtre, au nom de prétendus impératifs démographiques, humanistes, économiques et moraux. Si l’Europe résiste à l’idéologie de la diversité culturelle, elle lui sera imposée par la démographie.
L’essai de Stephen Smith aborde sans tabous l’ensemble de ces questions, à partir de la réalité de l’Afrique d’aujourd’hui, et imagine plusieurs scénarios possibles, du plus optimiste au plus pessimiste. De son point de vue, et contrairement à l’utopie mondialiste hors sol, le moins grave n’est en cette affaire pas certain du tout. C’est pourquoi, lors de son émission L’esprit de l’escalier du 11 mars 2018, le philosophe Alain Finkielkraut peut s’interroger : « Qui donc est europhobe ? Celui qui ne supporte pas de voir disparaître la civilisation européenne ou celui qui ne la voit même pas agoniser, obnubilé qu’il est par les droits de l’homme, les valeurs universelles et l’anti-élitisme. » Finkielkraut met ici le doigt sur la réalité : les politiques migratoires de l’Union Européenne, menées au nom de l’idéologie diversitaire de la mondialisation, sont en effet politiques de tiers-mondialisation et de disparition de ce que fut l’Europe, ce territoire avancé de la civilisation des mœurs (Norbert Élias) à l’échelle de la planète. N’y allant pas avec le dos de la cuillère, le philosophe laisse entendre combien ces politiques sont nivellement par le bas.
IL MANQUE QUELQUE CHOSE
Le livre de Smith est un appel à regarder la réalité de l’Afrique à venir en face, et à penser les politiques migratoires et notre rapport à ce continent en fonction de cette réalité, dont l’actuelle amélioration du niveau de vie, « prospérité » nouvelle qui, paradoxalement, pousse à plus de migrations, les personnes concernées ayant alors les moyens de partir. Il ne met cependant pas en doute « l’inéluctabilité » de ces migrations, tout en montrant combien elles vont déstabiliser l’Europe, voire le monde. Il est pourtant évident que réfléchir à d’autres chemins est possible. Mais cela exigerait de se poser de vraies questions, taboues quant à elles : pourquoi une telle démographie ? Quel rôle rétrograde joue l’islam dans ce processus ? En quoi ce même islam utilise-t-il cette bombe migratoire comme stratégie de conquête ? Pourquoi les sociétés africaines, 60 ans après leurs indépendances, ne sont-elles toujours pas parvenues à réellement se développer ni à créer du Commun ? Quelle responsabilité incombe aux élites africaines, véritable oligarchie pompant les richesses de ce continent ? Comment se fait-il que l’eau potable ne parvienne toujours pas dans les foyers urbains ? En quoi les discours postcoloniaux à la mode chez nos intellectuels de gauche sont-ils complices du déracinement à l’œuvre ? De quoi les soutiens de l’idéologie diversitaire, favorables aux migrations, se rendent-ils complices quand ces migrations se déroulent de manière inhumaine ? Plus simplement : à qui profite le drame qui se profile ?
Matthieu Baumier
Stephen Smith, La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le vieux continent, Grasset, 2018, 266 pages, 19,50 €.
© LA NEF n°302 Avril 2018