Dans un livre passionnant, Guillaume Cuchet explique l’effondrement du catholicisme en France à partir des années 60. Présentation.
Le livre de G. Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien (1), a déjà fait beaucoup parler de lui. Il est vrai qu’il mérite d’alimenter un débat jusque-là très largement occulté dans l’Église, tant le concile Vatican II est longtemps demeuré un objet intouchable, fermé à toutes critiques, lesquelles ne pouvaient provenir que de milieux « intégristes », dont il ne valait même pas la peine d’examiner le bienfondé. Pourtant, cet ouvrage intelligent n’apporte aucune révélation (sinon de nombreux chiffres significatifs), la grande nouveauté est dans le fait que, loin d’être méprisée et ignorée, son analyse est entendue et discutée, ce qui est un progrès indéniable.
Quelle est, précisément, la thèse de l’auteur ? La voici résumée : « Ce krach [la crise des années 60] s’est produit à la faveur de Vatican II, avant Mai 68 et la publication en juillet de la même année de la fameuse encyclique Humanae vitae de Paul VI sur la contraception, traditionnellement invoqués pour l’expliquer. Non que ces deux événements n’aient pas eu d’importance : ils ont amplifié la vague, mais ils ne l’ont pas créée. Vatican II semble avoir été en définitive cette réforme (probablement nécessaire) qui a déclenché la révolution qu’elle prétendait éviter, comme jadis les états généraux dans la France de la fin du XVIIIe siècle » (p. 271).
Pour étayer son analyse, G. Cuchet part de la fameuse « carte Boulard » qui proposait une radiographie précise du catholicisme français jusqu’au seuil des années 60, radiographie qui concluait à une certaine stabilité. À cette époque, 94 % d’une génération étaient baptisées et la pratique dominicale était de 25 %. Or, les années 60 vont marquer une rupture radicale avec un effondrement particulièrement visible en termes de pratique religieuse, de vocations, mais aussi de confession, indices indubitables d’une grave crise. Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à 30 % de baptisés et à une pratique dominicale inférieure à 2 %.
L’intérêt de l’ouvrage de G. Cuchet est de ne jamais céder à la facilité pour expliquer cet effondrement. À cet égard, il renvoie dos à dos les conciliaristes béats et les traditionalistes : les premiers, à l’occasion du Concile, vantaient un « nouveau printemps de l’Église » et ont systématiquement refusé d’établir tout lien entre Vatican II et la crise, elle-même largement niée ; les seconds ont fait du Concile l’alpha et l’oméga de la crise, responsable de tous les maux, en refusant de comprendre le contexte général et la nécessité des réformes.
G. Cuchet explique l’ampleur de cette crise par la simultanéité de deux mutations, l’une religieuse, l’autre socio-culturelle. Il cite plusieurs transformations sociales importantes, notamment : « la fin des réserves rurales du catholicisme » (p. 158) qui se produit en cette période avec l’urbanisation et l’exode rural ; et « une moindre vitalité démographique des familles catholiques » (p. 162), phénomène important trop peu analysé. Quant à la mutation religieuse, il insiste sur le fait que Vatican II a été perçu, « un peu malgré lui », comme une « sortie de la culture de la pratique obligatoire » avec l’effacement de la notion de péché mortel « qui a eu des effets proprement révolutionnaires sur le niveau de la pratique » (p. 171). Dans ce contexte, l’auteur montre « le rôle de fait générateur de la crise joué par le décrochage des jeunes » (ibid.). Il montre également combien le silence des prêtres sur les fins dernières a modifié la conception du salut qui semblait désormais acquis pour tous.
G. Cuchet fournit une masse d’éléments difficilement contestables et présentés avec grande objectivité qui font de son livre une référence incontournable sur le sujet. Il ne s’arrête cependant quasiment pas sur la volonté de rupture avec le passé qui a prédominé chez nombre de chrétiens de l’époque, volonté qui se recommandait d’un « esprit du concile » dont Benoît XVI a montré tous les méfaits. Si Vatican II, comme l’expose l’auteur, a bien contribué à l’effondrement observé dans les années 60 et postérieures, il l’a fait plus en raison de l’état d’esprit qu’il a suscité dans le contexte d’optimisme de l’époque qu’en raison des textes qu’il a promulgués. Lesquels ont réalisé une mise à jour indispensable sans laquelle l’effondrement eut sans doute été plus grand encore et, surtout, sans laquelle le renouveau initié par Jean-Paul II eut été impossible.
Christophe Geffroy
(1) Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement, Seuil, 2018, 290 pages, 21 €.
© LA NEF n°303 Mai 2018