Emmanuel Macron © Kremlin.ru-Commons.wikimedia.org

Emmanuel Macron et la laïcité

Le discours d’Emmanuel Macron aux Bernardins, le 9 avril, est assurément un événement historique. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire ce que ses prédécesseurs ont pu dire sur l’Église catholique. Aucun n’était allé aussi loin dans la compréhension et même l’admiration du rôle historique et actuel joué par les catholiques. Même les discours déjà novateurs de Nicolas Sarkozy au Latran, le 20 décembre 2007, et à l’Élysée, le 12 septembre 2008, avec sa notion de « laïcité positive », n’allaient pas aussi loin.

Le tollé des laïcistes montre combien le président Macron a touché un point sensible. Ils lui ont particulièrement reproché cette phrase au début de son intervention : « Le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et… il nous importe à vous comme à moi de le réparer. » Le Président visait là particulièrement la façon indigne dont M. Hollande – dont il a pourtant été le fidèle ministre – avait méprisé les nombreux chrétiens de la Manif pour tous.

UN HOMMAGE APPUYÉ AUX CATHOLIQUES

Son hommage aux catholiques, à leurs engagements auprès des plus fragiles dans la société (pauvres, migrants, handicapés…), et dont « la France a été fortifiée », a été appuyé, argumenté, touchant même. Il a aussi rendu honneur aux préoccupations légitimes des catholiques, notamment en matière éthique, préoccupations qui n’ont rien de catégorielles et d’intéressées, loin des revendications d’une corporation défendant ses propres intérêts, mais soucis universels en vue du bien commun. Enfin, l’Église apporte encore du sens et de l’absolu dans un matérialisme ambiant sans horizon où souvent l’économie importe seule, « elle doit être un de ces points fixes dont notre humanité a besoin au creux de ce monde devenu oscillant, un de ces repères qui ne cèdent pas à l’humeur des temps ». « Ce qui grève notre pays, a-t-il dit encore, c’est le relativisme ; c’est même le nihilisme. » C’est pourquoi la France, la politique ont besoin de l’engagement des catholiques, a-t-il martelé, de leur participation aux débats publics et d’y être « intempestifs ». Mais, précise-t-il, la voix de l’Église ne peut être « injonctive », elle ne peut être que « questionnante ».

Et, après avoir souhaité que chacun puisse croire à une religion ou à une philosophie de son choix, il en arrive à définir la laïcité : « Mon rôle est de m’assurer qu’il [le citoyen] ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer. »

Certes, beaucoup ont remarqué que ce séduisant discours, finalement, ne l’engageait concrètement pas beaucoup et qu’il pouvait être une façon habile de neutraliser l’opposition des catholiques aux futures lois bioéthiques (légaliseront-elles la PMA pour tous ?). Peut-être est-ce le cas, mais ne peut-on, a priori, prêter au Président un minimum de sincérité en la matière ? Et si cela n’était que calcul politique, ne serait-ce pas un bien grand risque que de mécontenter ainsi sa gauche et tous les laïcistes avec un discours qu’ils ne sont pas prêts d’oublier ? Il est vrai qu’Emmanuel Macron nous a habitués à compartimenter ses interventions en les adaptant au public auquel il s’adresse, sachant bien le prendre dans le sens du poil – il ferait demain l’éloge de la franc-maçonnerie avec la même aisance. Mais était-il obligé alors d’aller si loin ? Un propos beaucoup plus circonstanciel aurait suffi à cette fin.

DEUX GRAVES FAIBLESSES

Bref, prenons ce discours des Bernardins pour ce qu’il est, sans chercher à le minimiser, et examinons ce qui en est le cœur, à savoir sa définition de la laïcité évoquée plus haut. En effet, c’est à ce niveau-là que se pose à vrai dire le seul véritable problème, comme c’était déjà le cas avec les allocutions de Nicolas Sarkozy sur ce thème. L’ancien et l’actuel présidents fustigent les méfaits du « relativisme » sans voir que la laïcité dont ils se réclament ne peut que l’alimenter. Si toutes les religions, toutes les croyances sont légitimes et estimables, et doivent pouvoir s’exprimer également dans la République, laquelle n’est là que pour organiser le libre exercice de ces croyances, alors l’État, « neutre » en la matière, ne peut être que relativiste. La vérité est que l’on devrait oser dire : toutes les croyances sont légitimes, dans la mesure où elles respectent nos valeurs fondamentales ou, pour parler plus objectivement, ne heurtent pas la loi morale naturelle. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’islam, qui place la femme en position de subordination de l’homme, est, sur cet aspect, en contravention avec les valeurs fondamentales qui ont façonné notre civilisation.

Et cela met en lumière un autre problème de fond du discours d’Emmanuel Macron : sa vision de la laïcité qui appelle à « respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République » ; appel inacceptable et de nature totalitaire – niant la liberté de conscience – dans un régime qui ne reconnaît aucune loi au-dessus de celle que les hommes se donnent eux-mêmes. Benoît XVI avait bien vu où le bât blesse, en répondant à Nicolas Sarkozy le 12 septembre 2008, lorsqu’il disait qu’il fallait « prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société », consensus fondé sur la loi naturelle et indispensable en démocratie pour éviter relativisme et tyrannie d’une majorité.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°303 Mai 2018