Paul VI © Commons.wikimedia.org

Humanae vitae : un Magistère à défendre

Nous célébrerons en juillet prochain le cinquantenaire de l’un des documents pontificaux les plus mal compris : Humanae vitae (HV). Ce texte, qui prenait courageusement à contre-pied l’idéologie dominante, était en fait une initiative prophétique de Paul VI, tant la contraception allait avoir de répercussions fondamentales sur la sexualité et la famille, ce que personne, excepté le pape et quelques visionnaires comme Karol Wojtyla, n’avait entrevu.

En effet, la contraception a opéré un bouleversement sans précédent des comportements qui a radicalement changé l’approche de la sexualité : en déconnectant totalement cette dernière de la procréation, on a déconnecté du même coup sexualité et amour véritable – au sens de don de soi, d’engagement et de fidélité dans la durée (à vie) en vue de fonder une famille. La sexualité n’est plus alors la conséquence de l’amour (sa dimension unitive), elle répond désormais à l’appel du simple désir physique, fût-il passager et superficiel. Certes, il s’est toujours pratiqué une certaine distinction entre sexualité et procréation, mais cette distinction ne valait pas séparation en ce sens que la sexualité demeurait ouverte à la vie, même quand une naissance n’avait pas été souhaitée. Aujourd’hui, le lien sexualité-procréation est tellement rompu que l’avortement est là pour régler le « problème » de l’enfant non désiré après l’échec d’un moyen contraceptif.

DISSOCIATION SEXUALITÉ-PROCRÉATION

Or, les dissociations sexualité-procréation, puis sexualité-amour ont eu pour conséquence de déresponsabiliser les personnes et de banaliser la sexualité réduite à une simple fonction de plaisir qui, dès lors, se pratique avec n’importe quel « partenaire », même inconnu, souvent utilisé comme simple objet de jouissance – cela rejoint la « culture du déchet » que combat le pape François et dont l’égoïsme est le fondement. Mais les effets sont encore plus profonds. Ces dissociations n’ont pas seulement banalisé la sexualité hors mariage entre l’homme et la femme, elles ont aussi « légitimé » toutes sortes de pratiques sexuelles d’une part, notamment entre personnes de même sexe, et la procréation « technique » par PMA ou GPA d’autre part : ainsi l’enfant, devenu objet d’un « droit » pour les adultes, se fabrique (selon des critères eugéniques) et s’achète comme une vulgaire marchandise. On peut désormais avoir un bébé sans sexualité (PMA) et sans maternité (GPA).

Tout est lié, tout s’enchaîne logiquement et c’est en cela qu’HV est un texte prophétique : l’encyclique avait mis le doigt sur l’origine de l’engrenage dans lequel nous avons été happés. L’argumentation d’HV appuyée sur la loi naturelle était juste, mais appelait assurément un développement – d’où l’apport personnaliste précieux de saint Jean-Paul II dans sa « théologie du corps » et son encyclique Veritatis splendor (VS, 1993), texte essentiel à relire pour bien comprendre les enjeux actuels d’HV.

En effet, les mêmes arguments avancés contre HV, et définitivement démontés dans VS, ont été repris par ceux qui espéraient faire évoluer la doctrine de l’Église sur les « divorcés remariés » après la publication d’Amoris laetitia. Et l’on voit poindre à nouveau ces raisonnements à l’approche de l’anniversaire de l’encyclique de Paul VI. Or, VS rappelle trois points majeurs de toute bonne théologie morale : le lien de subordination indispensable de la liberté à l’égard de la vérité ; la bonne intention ou la fin juste visée par le sujet, pas plus que les circonstances légitimes ou les conséquences bienfaisantes, ne suffisent à rendre bon un acte dont l’objet est intrinsèquement mauvais ; en conséquence, la bonne conscience – sans se soucier de savoir si elle a cherché à se former correctement – ne peut décider de façon autonome du bien et du mal, ni s’auto-satisfaire. À partir de là, Jean-Paul II montre les erreurs du « conséquentialisme » et du « proportionnalisme » qui ont resurgi récemment : « Le premier entend définir les critères de la justesse d’un agir déterminé à partir du seul calcul des conséquences prévisibles de l’exécution d’un choix. Le second, qui pondère entre eux les valeurs de ces actes et les biens poursuivis, s’intéresse plutôt à la proportion qu’il reconnaît entre leurs effets bons et leurs effets mauvais, en vue du “plus grand bien” ou du “moindre mal” réellement possibles dans une situation particulière » (VS 75).

UNE « ÉVOLUTION INÉVITABLE » ?

Ceux qui, aujourd’hui, s’offusquent qu’un document comme Amoris laetitia soulève des questions parmi les chrétiens, jusque chez les cardinaux, ne se gênent guère pour contester frontalement HV ! Au regard des attaques subies par l’encyclique de Paul VI depuis 1968, les dubia de 2016 des quatre cardinaux apparaissent pourtant comme un modèle de déférence à l’égard du pape !

Mais il est surtout un type d’argument, ressassé à l’envi, auquel il ne faut pas céder : celui de « l’évolution inévitable » des mœurs qui rend la morale chrétienne inaccessible, laquelle doit donc être aménagée. Dans l’ordre moral, l’histoire montre que rien n’est jamais acquis définitivement, dans le bien comme dans le mal : il n’existe donc pas « d’évolution inévitable ». Et c’est avoir un grand mépris pour nos contemporains que de les juger incapables de s’élever moralement, comme si la grâce n’était pas là pour suppléer à notre faiblesse humaine. N’existe-t-il pas des couples épanouis qui vivent sereinement selon la loi naturelle et le Magistère de l’Église ? L’erreur est de croire qu’il peut être facile d’être chrétien et qu’il suffirait pour cela de s’aligner sur les exigences du monde présent, alors que nombreux sont ceux qui attendent de l’Église une parole forte de vérité, à contre-courant des fausses facilités de la culture ambiante.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°304 Juin 2018