L’étrange association More in common, qui se définit elle-même, sans rire, juré craché, comme « une nouvelle initiative internationale, présente en France, qui a pour ambition d’immuniser nos sociétés contre la tentation du repli identitaire, social et culturel », a publié récemment un rapport sur la perception des « migrations » par les catholiques français. Il en ressortirait, selon elle, qu’encadrant deux groupes de catholiques assez indéfinis, les « libéraux » (24 %) et ceux en « insécurité culturelle » (22 %), se trouveraient d’un côté les « multiculturalistes » (21 %), ouverts bien évidemment à tout et à tous les vents ; de l’autre deux autres groupes, les « nationalistes » (15 %) et les « nationalistes sécularisés » (18 %) qui, bien entendu, sont crispés et refusent le doux bruit du déversoir africain dans leur pays.
Notons d’abord que la méthodologie est étrange qui ne fait le départ entre croyants et catholiques culturels que du côté droit, de manière à couper en deux ce qui autrement constituerait un bloc de 33 % à peu près, ce qui en ferait la plus grosse minorité. Bloc à quoi l’on pourrait aisément ajouter les catholiques « en insécurité culturelle » dont on peut imaginer qu’ils ne sont guère friands de nouveaux « migrants » dont la présence risque de perturber leur mode d’existence. Cette étude ne brille donc pas par son honnêteté intellectuelle. Et pour cause, si l’on lit attentivement les buts que se donne motu proprio cet organisme : « Deux axes structurent nos actions : forger un imaginaire partagé résolument optimiste, un nouveau “récit du nous” qui redonne le goût de l’évidence à ce qui nous unit. » Et : « Donner l’occasion à des gens différents de partager des expériences festives et pleines de sens, pour que ce “récit du nous” soit concrètement vécu. »
Non, non, je vous arrête tout de suite, ce n’est pas Philippe Muray revenu d’entre les morts qui aurait rédigé cette invraisemblable notice. Mais, sérieusement, cette histoire de « migrants », mot dont on ne sait toujours pas précisément ce qu’il désigne, puisque le pape François nous a expliqué que les missionnaires étaient les premiers migrants – cela doit donc désigner toute personne qui décide de changer de pays – cette idéologie du migrant, si les conséquences n’en étaient si tragiques, tournerait à la farce. On a l’impression que tous les moyens sont bons pour nous faire accepter ce que nous ne voulons pas : un jour, le pape décide que cela comblera « l’hiver démographique européen » ; le lendemain, on nous vante la force de travail ; le troisième jour, il s’agit d’accueillir de pauvres familles abandonnées ou massacrées ; ensuite, l’enrichissement est forcément culturel ; puis cela a toujours existé ; enfin, c’est une situation neuve et tragique. Le migrant est selon les besoins un génie en devenir qui vient charitablement nous enseigner et nous sauver ; un pauvre hère sur quoi le fatum s’est abattu ; l’héritier d’une immense tradition civilisationnelle ; le triste rejeton d’un continent méchamment pillé. Bref, il est tout et tous.
Le risque de disparaître
On ne se souvient pas qu’à l’époque de la décolonisation, quelqu’un ait argué de la construction du récit du nous et des expériences festives qui eussent pu conduire à conserver la situation telle qu’elle était, c’est-à-dire l’Europe dominant le monde. Non, au contraire, alors, le migrant qu’était le colon ou l’administrateur colonial devait immédiatement rentrer chez lui et cesser son appropriation culturelle.
Pourtant, l’Europe a presque tout donné au monde, le mal avec le bien, le remède avec son poison, et réciproquement. Nous l’assumons devant l’histoire. Mais, sincèrement, on a du mal à voir ce que le migrant, principalement africain, c’est une évidence aujourd’hui, apporte à l’Europe, sinon une force de travail pour patronat rusé et une bonne conscience pour gauchiste en mal de cause à défendre. On ne reproche pas à l’Africain de n’avoir rien à nous apprendre. Mais qu’on ne nous reproche pas de lui demander d’essayer de construire son pays là où il est, et de respecter les grands équilibres mondiaux. Peu nous chaut que soit résolue la question démographique européenne si l’Europe n’est plus rien de ce qu’elle fut. Et personne, pas même le pape, n’a le droit de nous demander de disparaître.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°305 Juillet-Août 2018