Père Joël Guibert

L’heure est venue

Le Père Joël Guibert prêche des retraites et est l’auteur de nombreux ouvrages de spiritualité. Son dernier livre aborde l’attitude à avoir face aux deux idéologies dominantes que sont le libéralisme et l’islamisme.

La Nef – Vous introduisez votre livre en vous référant au cardinal Sarah qui dénonçait les deux idéologies qui menacent aujourd’hui la famille : le libéralisme libertaire et l’islamisme. En quoi ces deux idéologies sont-elles les principales menaces actuelles ?
Père Joël Guibert – Ces deux idéologies totalitaires menacent la conception chrétienne de la famille et plus largement l’Église catholique. L’idéologie libertaire prône une conception totalitaire de la liberté. Au nom de la tolérance, cet ultralibéralisme se montre de plus en plus intolérant envers l’Église qui enseigne que la vérité sur Dieu et sur l’homme provient de la « Révélation », de la loi naturelle et non d’un consensus démocratique. Le cardinal Sarah dénonce par ailleurs « la pseudo-famille de l’islam idéologisé qui légitime la polygamie, l’asservissement des femmes, l’esclavage sexuel, le mariage des enfants », sans parler des intentions claires du terrorisme islamiste de se faire la peau des « croisés ».

Vous consacrez deux parties de votre livre à ces deux menaces, mais dans la première, il est plus question de marxisme que de libéralisme : pourquoi ? Et quel lien faites-vous entre les deux ?
Il est simpliste de penser qu’avec la chute du marxisme de l’URSS le monde occidental serait passé au libéralisme économique… à droite toute ! En fait, la plupart des démocraties occidentales sont un mélange d’ultralibéralisme économique et de néo-marxisme culturel. Jean-Claude Michéa, observateur issu de la gauche, a très bien montré que la logique du capitalisme est de vendre n’importe quoi, et pour cela il est indispensable d’éliminer tous les tabous religieux qui pourraient s’opposer à la marchandisation : libéralisme économique intégral (défendu traditionnellement par la droite) et libertarisme néo-marxiste (défendu traditionnellement par la gauche) s’appellent donc l’un l’autre.

Reconnaissons qu’il existe une certaine « langue de buis » des ecclésiastiques sur ces deux menaces pourtant assez patentes, surtout à l’égard de l’islam : comment l’expliquez-vous ?
Lorsqu’on ne veut surtout pas déplaire à la pensée mainstream en place, lorsqu’on cherche vainement à être aimé du monde, lorsqu’on fait tout pour être dans le vent… il est très difficile de ne pas tomber dans le piège de la « langue de buis ». On utilise alors un langage tout en retenue, si lisse et aseptisé qu’on parvient à parler sans rien dire ! Par ailleurs, le politiquement correct se charge de déterminer le « périmètre d’acceptabilité » de ce qu’il convient de dire ou ne pas dire. Pour cela il impose des concepts ambivalents, tel que le « pas d’amalgame » par exemple, afin de museler tout débat sur la question. Catholiques, nous devons œuvrer au « vivre-ensemble » au sein de notre société, mais prenons garde de manquer à la vérité pour ce qui relève du contenu des différentes religions, et de tuer l’esprit prophétique d’autant plus nécessaire en ces temps de relativisme.

La présence de l’islamisme en France et en Europe est le fruit d’une immigration massive incontrôlée. Or, le discours ecclésiastique, sur cette question, ne retient que l’accueil de l’étranger sans évoquer en même temps le bien commun, comme s’il n’existait pas de problème culturel et religieux et que tous les hommes étaient interchangeables : que vous inspire cette situation et que dites-vous aux chrétiens qui vous lisent ?
Précisons tout d’abord que l’immigration appelle compassion de notre part, mais une charité éclairée. Il faut effectivement distinguer l’accueil de l’étranger auquel nous invite la Bible et l’immigration de masse, qui elle, nécessite une réponse politique, relevant de la sagesse prudentielle. Par ailleurs, on ne peut pas méconnaître les importantes différences culturelles et religieuses qui existent entre la grande majorité des migrants et les populations qui accueillent. Certains hommes d’Église reconnaissent humblement avoir bougé sur cette question délicate : « Je dois me corriger moi-même, confiait le cardinal Schönborn en 2016. Dans plusieurs déclarations, j’ai rappelé les flux de réfugiés du passé, ceux qui venaient de Hongrie ou de l’ex-Tchécoslovaquie. Mais il y a une différence : ces réfugiés étaient tous européens, avaient à peu près la même culture, beaucoup la même religion. Maintenant, nous avons affaire à une immigration originaire du Proche-Orient, d’Afrique, et la différence culturelle et religieuse est sûrement un facteur préoccupant. »

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Père Joël Guibert, L’heure est venue, Pierre Téqui Éditeur, 2018, 176 pages, 14 €.

© LA NEF n°306 Septembre 306