Emmanuel Macron © Gouvernement français-Commons.wikimedia.org

Un quinquennat qui se consume lui-même

Il est courant sinon banal que les électeurs en temps de démocratie, surtout au suffrage universel direct, choisissent parmi eux un aigrefin pour les diriger. Car c’est une malheureuse constante de la nature humaine que l’on préfère l’efficacité à la vertu – et combien plus en politique qu’en tout autre matière cette manière sévit-elle. Mais là où le règne de Macron, et son élection, ne sont pas banals, c’est que les Français qui l’ont porté sur le trône ont cru sincèrement que sa « bienveillance » valait la leur. Macron est en effet le fruit de l’état de boboïtude parvenu à maturité.
Si nous avions tous été quelque peu lucides, nous eussions pu prédire son arrivée au pouvoir, la sienne ou celle de l’un de ses clones : car le bobo, cet être paranormal né à la fin des années 90 et qui se développe hors-sol mieux qu’ailleurs, dans le cocon des grandes métropoles, est aujourd’hui majeur et presque majoritaire, c’est-à-dire qu’il a entre 40 et 55 ans, et c’est à cet âge que l’on préside habituellement aux destinées de son pays.
Le bobo, on le sait, que ses capitaux économique et culturel protègent des avanies de l’existence, prétend améliorer le monde par sa seule présence : son vélo vaut mieux que vos voitures, ses nuits mieux que vos jours, son vin bio mieux que vos piquettes, sa musique mieux que vos fanfares, ses amis métissés mieux que votre voisin immobile. Il aime l’univers, il chante la vie, il croit à sa révolution tranquille, celle de la gentrification, et pense que tout migrant frais fera demain un fier citoyen du monde.
Aussi quand il a élu le Macron de l’absence de culture française, le Macron de l’En Marche vers des cieux nouveaux, le Macron banquier rassurant pour les affaires, il a cru que la démocratie était définitivement devenue un espace de coworking où chacun s’entraiderait dans une ambiance de solidarité sans chef. Hélas pour lui, il avait élu une fois encore un chef, un politique, et pas n’importe lequel, un machiavélien qui ne le cède en rien à un François Mitterrand pour la rouerie et l’amour du pouvoir secret.

L’affaire Benalla
Et il a fallu un insipide Benalla pour que ces choses cachées fussent dévoilées, et que bobo tombe de haut : Emmanuel Macron n’est pas un sympathique animateur de colonie de vacances, ni un manager dévoué à la bonne ambiance dans la start-up France. C’est un ambitieux qui, ayant tout réussi jusque-là, a cru que tout continuerait ainsi à jamais, et que tout lui serait permis. Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre, et, en l’espèce, c’est lui-même. Macron se révèle par cette histoire pour ce qu’il est, un chef de gang, un capo dei capi, un parrain à qui des hommes entièrement soumis permettent de mettre en coupe réglée l’État. Il n’y a pas lieu de croire que le président souffre de vices médiocres comme l’amour de l’argent ou l’amour des femmes. Il est atteint du mal le plus sévère, dont on ne guérit jamais sauf la grâce, l’amour du pouvoir pour lui-même. Il aime à dominer tout et tout le monde, et cette fièvre le dévore au plus profond, comme l’anneau dévore le Gollum. C’est du moins ce que toutes ses réactions récentes prouvent : la dignité de la fonction présidentielle n’est pas restaurée, mais la statue d’Emmanuel Macron est bâtie.
Les naïfs, ces bobos en l’occurrence, oublient toujours quelle part maudite représente la politique. Ils ont voulu un sauveur et ils ont libéré Barabbas. Ils ont voulu de l’amitié, ils ont eu la foudre. La bonne nouvelle, c’est que ce quinquennat se consumera lui-même, comme la flamme dévore son origine.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°306 Septembre 2018