Victor Orban et Angela Merkel © European People's Party-Commons.wikimedia.org

La guerre des deux Europe

Ainsi la guerre des deux Europe a commencé, ainsi la guerre des deux mondes, symboliquement celui de l’Ouest contre celui de l’Est, a été allumée et n’est guère près de s’éteindre. Oh, guerre toute de mots, de textes, de votes et de déclarations pour le moment, heureusement, et non point guerre civile européenne armée comme ce continent en a trop connu dans sa longue existence. Mais guerre quand même que le vote du Parlement de Strasbourg, déclenchant l’article 7 contre la Hongrie, après la Pologne, a déclarée maintenant explicitement. L’Europe de l’Ouest, dont nous faisons malheureusement partie, s’est coalisée, à l’exception notable de l’Italie de Salvini, pour faire rendre gorge aux petites nations de l’ancien empire austro-hongrois qui, ayant enfin acquis une liberté que l’histoire, et particulièrement celle du XXe siècle communiste, leur avait confisquée, entendent l’exercer sans partage et sans limite. Pierre Moscovici, avec qui nous sommes rarement d’accord, avait cet été ce mot juste : « Il y a un malaise dans la construction européenne : à l’Ouest on l’a voulue pour en finir avec la nation ; à l’Est, on y est entré par amour de la nation. » Ainsi l’opposition des fins est patente.
Mais plus loin encore que la question de la souveraineté – celle-ci impliquant la défense de ses frontières et le droit à se défendre contre l’immigration incontrôlée –, ce sont des visions anthropologiques et politiques antagonistes qui s’affrontent. Viktor Orban, champion de la cause de « l’illibéralisme » l’a très clairement expliqué, notamment dans un merveilleux discours prononcé lors d’une université d’été en Roumanie : il s’agit désormais d’opposer à la démocratie libérale une démocratie chrétienne. Non point tel qu’on entend le terme par ici, où il s’est dévalué depuis Frédéric Ozanam à mesure que la médiocrité humaine le réduisait à des bons sentiments et à de mauvaises alliances politiques. Non, dit Orban, la démocratie chrétienne c’est celle qui promeut la famille (ainsi qui s’engage en Hongrie à avoir trois enfants dans les 10 ans touche l’équivalent de 30 000 euros du gouvernement) ; qui promeut la réalité des sexes et leur complémentarité (ainsi il va couper les fonds gouvernementaux aux « études de genre » dans le pays) ; qui, enfin, promeut le bien commun contre l’inflation des droits individuels. C’est cela la démocratie illibérale chrétienne qu’il appelle de ses vœux, sans d’ailleurs qu’aucune confusion entre les deux glaives, temporel et spirituel, n’advienne.

Loin des caricatures occidentales
Orban tient, pour la première fois depuis longtemps en Europe et même dans le monde, un discours de chef d’État chrétien, mesuré et juste, qui ne vise qu’au bien matériel et spirituel de son peuple. Orban mène parallèlement un combat culturel sans précédent, réhabilitant mémoire et patrimoine magyars, et se vantant en passant, et étonnamment, d’avoir multiplié par deux le nombre de spectateurs de théâtre en Hongrie en huit ans. On est loin des caricatures d’autocrate inculte et violent que peignent des médias libéraux de ce côté-ci des Alpes et du Danube.
Quand ici la culture, c’est la subvention d’un art contemporain auquel nul n’entrave rien ; quand la culture ici, c’est un patron de la Réunion des musées nationaux qui use de 400 000 euros en cinq ans de taxis, dépassant largement sa collègue Agnès Saal qui, à la tête de l’INA, n’avait dépensé que 40 000 euros en dix mois ; quand le patrimoine ici, c’est une cagnotte de la Française des jeux que le pauvre Stéphane Bern s’échine à réunir ; en Hongrie, c’est la promotion du beau, des cathédrales, de la grande littérature, des arts plastiques lumineux ; en Hongrie, c’est, dit Orban, la volonté de dégager les vieilles élites soixante-huitardes.
Dans une bonne moitié de l’Europe, les peuples se sont réveillés. Il s’agit pour nous autres Français de les accompagner. Le plus vite possible. Car notre mort n’est pas certaine.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°307 Octobre 2018