Benjamin Griveaux a beau dire, l’État vacille. Et dangereusement. Mais il ne vacille pas pour ce qu’un ministre de l’Intérieur a démissionné, il vacille pour ce qu’un ministre de l’Intérieur qui a démissionné a déclaré que « le terme de reconquête républicaine prend, dans ces quartiers, tout son sens. Parce que oui aujourd’hui, c’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, [celle] des narco-trafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République ». Quand on en est au temps où ce sont les ministres, et les forces de police qu’ils dirigent, qui se trouvent à avouer – certes au moment du départ, mais tout de même – qu’une partie de la France a commencé, non pas sa sécession, mais une proto-guerre civile, il y a lieu de dire qu’en effet l’État vacille. Les démocraties occidentales comme la France contemporaine sont de ce fait relativement mal placées pour sermonner des nations d’Europe centrale et orientale supposément coupables d’enfreindre l’État de droit, lorsqu’elles sont devenues incapables chez elles-mêmes de le faire respecter. Il y a de fait deux sortes de citoyens dans ce pays, quand bien même ce n’est pas inscrit, pas encore, dans les textes : les protégés, par les hasards de la géographie, mais particulièrement par les moyens financiers ; et les abandonnés, les oubliés, les jetés-là, dans ce chaos de l’existence suburbaine, d’où personne ne viendra les tirer.
Or le fléau qui s’abat sur eux n’est pas une catastrophe naturelle dont on n’aurait su prévoir l’origine, ni les développements, ni les conclusions. Il y a maintenant au moins quarante ans que l’on a tiré le signal d’alarme : les fameux « quartiers » – terme réservé désormais, on ne sait pourquoi, à ces affreuses banlieues, comme si le citoyen ordinaire n’habitait pas lui-même un quartier, mais peut-être est-ce au fond une manière inconsciente d’en évoquer la partition – sont des poudrières, pas seulement parce qu’ils risquent de sauter, ce qui est déjà fait, mais parce qu’on y fabrique la poudre de la prochaine guerre intérieure. Il y a maintenant quarante ans qu’on prédit et qu’on raconte ce qui s’y passe, et voilà que deux journalistes du Monde, sans foi ni loi, commettent un livre pour nous apprendre ce que nous savions dès la naissance (1). Et nous voilà sommés d’applaudir. Mais d’applaudir à quoi, puisqu’il ne semble pas que, malgré le fameux remaniement, le gouvernement ni le président de la République aient pris la mesure du danger qui se profile. Aucun moyen supplémentaire ni de police, ni de justice n’a été prévu ni engagé. Les causes nationales paraissent, une fois encore, se réduire à la relance de l’économie, à la baisse des impôts, à la réforme de la retraite et à la libéralisation de ce qui demeure de trésors économiques nationaux. Importants défis comme l’on sait quand le cœur de la France brûle, que les frontières sont des passoires, que le monde de manière générale se durcit, se réarme et que le rang des puissances est bouleversé.
Avoir élu un as du management, un roi de la comédie et de la séduction se paie cher, au moment où c’est la guerre qu’il faut faire. Au moment où c’est l’ordre qu’il faut rétablir, au moment où la France intérieure est bouleversée à la fois par un islam conquérant et par une extension de la violence générale. Violence crapuleuse, violence de trafics et de conquêtes de territoire, mais aussi et surtout violence gratuite comme on dit, gratuite pour tout le monde sauf pour les victimes, violence d’adolescents sauvages que rien ne retient, mais qu’encore au contraire une sous-culture encourage dans la cruauté, l’absence de remords et l’incapacité à comprendre ce qui fonde une société, une civilisation, une culture.
Ces enfants de personne feront payer cher à la France son laxisme, son aveuglement surtout devant ce qui advenait, savoir que des enfants éternels comme ceux de l’éternelle génération de 68 sont incapables d’éduquer d’autres enfants, à plus forte raison quand ceux-ci sont extraits d’une autre culture, d’une autre civilisation.
Jacques de Guillebon
(1) Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Inch’Allah. L’islamisation à visage découvert, Fayard, 2018.
© LA NEF n°308 Novembre 2018