Emmanuel Macron et Donald Trump © Commons.wikimedia.org

Diplomatie française : une logique parfaite

Parmi les nombreuses cartes diplomatiques aux mains de la France, il y a son savoir-faire, poli au fil de plusieurs siècles, pour traiter les gouvernements et les chefs d’États étrangers, soit chez eux, soit en France lors de visites officielles – ce qu’on nomme le service du protocole. Discret, impalpable, tenu pour secondaire pour qui ignore de quoi sont faites les relations entre États, il est pourtant d’une prodigieuse utilité (1). Hélas, c’est peu dire que cet atout-là, cet atout aussi, s’étiole à vive allure sous la présidence Macron. On connaît les nombreux couacs dont celui-ci s’est rendu coupable à diverses reprises, soit lors de ses voyages (sa façon de parler à ses homologues comme à des copains, de les toucher et les embrasser fait les choux gras des journaux étrangers), soit par des critiques ou mises en garde que Paris se croit autorisé à adresser aux gouvernements de la planète entière comme un tribunal jugeant tout l’univers en place publique ; en firent notamment les frais les gouvernants russe autant que chinois, polonais, hongrois, belge, italien, iranien, syrien, brésilien…
La liste n’est pas exhaustive ; c’est à présent au tour des États-Unis. Après avoir relancé l’armée européenne, voilà que M. Macron précise qu’elle pourrait servir contre la Russie, la Chine et les États-Unis. Provocation d’autant plus inutile que ce vieux serpent restera au fond des mers aussi longtemps que la majorité des États de l’Union européenne (UE) la refusent, que leurs politiques étrangères divergeront, comme on le vit lors de toutes les crises, et que croîtra la proportion d’armes qu’ils achètent aux États-Unis (comme vient de le faire l’armée belge préférant le F16 au Rafale français) plutôt qu’à un membre de l’UE, ce qui au moins permettrait « l’interopérabilité » des armées. Comme le dit Arnaud Danjean, député européen, bon connaisseur de la question : « Ce n’est même pas mettre la charrue avant les bœufs : il n’y a ni charrue ni bœuf. »

Provocations
À cette provocation, M. Macron en ajouta d‘autres, mettant sous le nez du président Trump une chanteuse qui l’avait traité de « tyran » et de « salaud », et qui participa l’an dernier aux manifestations qui perturbèrent son intronisation. On est loin du protocole minimal. Car de deux choses l’une. Soit M. Trump n’est pas tenu pour légitime, ou « en sursis » – M. Macron pense peut-être comme cette docte spécialiste des États-Unis qui prétendait « qu’il ne tiendrait pas six mois ». Or, il vient de sortir renforcé d’élections à mi-mandat et sa cote de popularité est fort supérieure à celle de M. Macron – de même celle de Poutine, qu’on publie en haut lieu pour graine de dictateur. Soit M. Trump est légitime, et l’insulter revient à insulter le peuple qu’il représente. Curieux traitement au moment où l’on célèbre ce même peuple venu au secours des alliées en 1918. Du coup, la France est dans l’œil de l’aigle, et l’on en est à compter, au Quai d’Orsay, les courbettes et concessions qu’il faudra faire pour « rattraper le coup ».
M. Macron a décidément peine à honorer les alliés de la France. On se souvient que, en août, il négligea d’interrompre ses vacances pour célébrer la grande victoire franco-britannique d’Amiens, pour laquelle Mme May et le prince Andrew firent le déplacement – nous avions alors relevé ce point (La Nef de septembre 2018). On remarqua d’ailleurs le 11 novembre, la brillante absence en retour de la famille d’Angleterre, le gouvernement britannique n’étant pour sa part représenté que par l’un de ses ministres. De même remarqua-t-on l’absence du roi des Pays-Bas et celle du roi des Belges, dont l’arrière grand-père Albert, le « roi-chevalier », avait tant frappé les cœurs tout au long de la guerre, arrachant son pays à sa neutralité initiale (voulue par les Flamands, qui penchaient pour l’Allemagne) et parvenant à empêcher l’invasion totale de son pays au prix de lourdes pertes – ce qui soulagea fort nos armées.

La Serbie humiliée
« On a merdé ! » Cet aveu peu protocolaire du service du protocole ne s’applique pas aux erreurs précédentes, mais à une autre, pire encore. Alors que le rôle de la Serbie fut décisif (ce pays perdit 1,260 million des siens, le quart de sa population) et que cette communauté d’armes laisse des traces indélébiles dans le cœur des Serbes, son président fut relégué à la tribune des ambassadeurs et personnalités du show-biz (2). Le plus stupéfiant est qu’en lieu et place du président Serbe trônait Hashim Thaçi, chef islamiste d’un pouvoir « kosovar » que tous les d’États ne reconnaissent pas, sinon pour mafieux. Peut-être fut-il imposé par M. Erdogan, à qui M. Macron ne refuse rien, et qui était omniprésent sans que l’on sache à quel titre : n’est-il pas héritier d’un État qui combattit la France aux côtés de l’Allemagne – pendant qu’était perpétré le trop fameux génocide arménien ?
Quant à Mme Merkel, il était curieux qu’elle fut hissée sur le pavois en toute occasion – ce qui, avec l’éloge que M. Macron fit peu après au Bundestag de la « bonne Allemagne » tandis que, derechef, il pointait les défauts des Français, annonce les projets de « coopération » sur lesquels nous reviendrons le mois prochain. La diplomatie française aurait donc une logique, inspirée de cette haine de soi qui nous fit célébrer Waterloo et non Austerlitz, ou comme on l’a vu, à honorer en Afrique notre pire adversaire, Paul Kagamé : déprécier la France et ses alliés, faire révérence à ses adversaires. Logique parfaite, mais affolante.

Paul-Marie Coûteaux

(1) Voir Paul Poudade, Dans l’ombre du Président, Michel Lafon, 2014.
(2) Voir le bouleversant article que Jean-Christophe Buisson consacre à ce qui est pire qu’un incident dans le FigaroVox du 13 novembre.

© LA NEF n°309 Décembre 2018