Sodome et Gomorrhe de John Martin (1852) © Wikipedia

Sodoma : lecture éprouvante !

Encore un livre qui veut révéler « la face cachée de l’Église » ! Cette fois-ci c’est carrément Sodome (1) : le Vatican serait « l’une des plus grandes communautés homosexuelles au monde » (elle représenterait 80 % de la Curie pour certains témoins, 20 % pour d’autres !!) et rien, de l’histoire récente de l’Église, ne peut se comprendre sans saisir cette réalité (jusqu’à la renonciation de Benoît XVI), affirme Frédéric Martel. Rien d’étonnant pour notre auteur qui estime la chasteté demandée aux clercs impossible à tenir, d’où le nombre élevé d’homosexuels dans le clergé, lesquels sont d’autant plus homophobes qu’ils sont des homosexuels refoulés. Le remède ? Abolir le célibat ecclésiastique et légitimer l’homosexualité (3).

On peut se demander comment un livre aussi faible a pu bénéficier d’un tel lancement avec autant de moyens (publié simultanément en huit langues dans une vingtaine de pays) ? Faible, en effet, l’ouvrage l’est par un défaut flagrant de méthode. Il s’agit d’une enquête – certes impressionnante par son ampleur, sa durée et le nombre de personnes rencontrées –, mais d’une enquête qui ne cherche pas une vérité découverte a posteriori, il s’agit au contraire de démontrer une thèse (le Vatican est une colonie gay) et de ne présenter que tout ce qui la conforte (« Je savais, dès le début de mon enquête, où aller », confie l’auteur) : c’est un travail militant, cela lui enlève l’objectivité requise pour être totalement crédible, surtout quand on avance dans la lecture, l’auteur ne s’encombrant d’aucune rigueur pour rapporter des propos anonymes invérifiables, exprimer ses « ressentis » ou s’épancher longuement sur sa propre perception des choses et porter des jugements personnels d’autant plus subjectifs qu’ils émanent d’un esprit incapable d’imaginer une réalité autre que celle qu’il perçoit à travers son propre prisme d’homosexuel affirmé, lui-même n’étant pas chrétien. La sexualité en général et l’homosexualité en particulier sont ainsi les seuls éléments explicatifs de toutes ses analyses. Certes, les ignorer serait une erreur, mais consacrer plus de 600 pages sur la vie au Vatican avec cette seule clé de lecture ne peut pas ne pas être profondément réducteur et donc trompeur.

Deux exemples : les pages consacrées aux cardinaux Burke et Sarah – forcément de vilains « intégristes » – sont peu sérieuses, caricaturales ! L’auteur n’a absolument rien de concret ni sur l’un ni sur l’autre, ce qui ne l’empêche pas de s’étaler sur des pages et des pages du style : le cardinal Sarah est un « homophobe » qui affiche « une modestie qui dissimule un ego extravagant » ; « il fait littéralement peur », lui affirme un prêtre (anonyme, bien sûr)… parce qu’« il prie sans cesse » !! c’est « un théologien bas de gamme » qui « n’aurait pas le niveau requis » côté « compétence liturgique » ; il est « atteint d’une certaine schizophrénie » et devient « une figure tutélaire » de La Manif pour tous soutenue par de « purs racistes » qui « appellent à voter pour l’extrême droite de Marine Le Pen ».

Sodoma, malgré ses excès et son manque de fiabilité – il renferme aussi, hélas ! nombre de vérités –, pourrait néanmoins être utile s’il aidait à prendre conscience de la réalité d’un puissant réseau homosexuel dans l’Église.

Le livre de Claire Maximova publié au même moment, La Tyrannie du silence (2), est d’une autre veine : c’est le témoignage poignant d’une victime et, là, ça sonne infiniment plus « vrai ». L’auteur, avec une belle plume, raconte son histoire en remontant à son enfance en Ukraine, sa conversion et sa vocation… Carmélite violée, elle narre l’inertie stupéfiante des supérieurs de l’Ordre auxquels elle s’est confiée, pour qui le traumatisme subi n’était qu’une faute qu’on pouvait oublier, alors que l’agresseur est visiblement un malade susceptible de récidiver !

Christophe Geffroy

(1) Frédéric Martel, Sodoma. Enquête au cœur du Vatican, Robert Laffont, 2019, 634 pages, 23 €.
(2) Claire Maximova, La tyrannie du silence. J’étais carmélite, et un prêtre m’a violée, Cherche-Midi, 2019, 320 pages, 17 €.
(3) L’auteur semble ignorer que les églises protestantes qui ont appliqué ce programme ne vont pas bien du tout, que loin d’être un remède à la crise, il l’aggrave !

© LA NEF n°312 Mars 2019