Le professeur Jérôme Lejeune © Fondation Jérôme Lejeune

Jérôme Lejeune, la liberté du savant

Aude Dugast est postulatrice de la cause de canonisation de Jérôme Lejeune (1926-1994), dossier sur lequel elle travaille depuis douze ans. Elle nous parle de la biographie qu’elle vient de publier, livre magnifique pour découvrir un homme hors du commun.

Pourquoi la béatification du Pr. Lejeune serait-elle importante pour notre époque ?
Aude Dugast – En suivant sa conscience de médecin fidèle au serment d’Hippocrate et de chrétien fidèle à son baptême, Jérôme Lejeune a choisi d’être « l’avocat des sans-voix », de servir la vie et la vérité, malgré les attaques violentes dont il a fait l’objet. En lui, se mêlent harmonieusement l’excellence scientifique et le respect de la personne humaine dans sa souffrance. Sa canonisation serait donc une aide spirituelle puissante pour les scientifiques qui veulent user de leur savoir pour le vrai bien de l’homme et pour les médecins et tous les serviteurs de la vie qui œuvrent courageusement à travers le monde.

Où en est précisément ce dossier de béatification, des miracles ont-ils déjà été recensés ?
J’ai remis la Positio, c’est-à-dire le rapport de 1200 pages sur l’héroïcité de ses vertus, à la Congrégation des Causes des Saints à Rome, en avril 2017. Cette Positio se fonde sur les 15 000 documents réunis lors de l’instruction du dossier qui s’est déroulée à Paris, de 2007 à 2012. Maintenant le dossier attend patiemment (ou presque !) son tour afin d’être étudié par la commission des cardinaux et théologiens ad hoc. Cette attente dure en moyenne 5 à 10 ans, elle est longue ! Puis il faudra un miracle pour la béatification puis un autre pour la canonisation. Pour l’instant il y a beaucoup de belles grâces et quelques cas de guérisons intéressantes. Mais aucun dossier sûr. J’invite donc à prier par l’intercession de Jérôme Lejeune pour avoir bientôt l’embarras du choix des miracles !

En plongeant ainsi dans une vie aussi foisonnante que passionnante, qu’est-ce qui vous a plus particulièrement marqué chez cet homme ?
Une des choses qui m’impressionnent beaucoup c’est l’apparente simplicité avec laquelle il est resté fidèle à l’Évangile, aux promesses de son baptême. Et cette fidélité de chaque jour l’a conduit à prendre des positions courageuses, même héroïques. Mais pas à la façon d’un Don Quichotte qui décide un jour de sauver le monde. Non, avec Jérôme Lejeune, nous sommes plus proches des premiers martyrs qui disaient simplement « non possumus », « nous ne pouvons pas obéir aux injonctions du pouvoir qui vont contre notre conscience ». Jérôme Lejeune ne pouvait pas se taire face aux attaques contre la vie humaine et contre la vérité, sans se renier lui-même. Sans renier ce que son intelligence lui indiquait, et ce que son cœur lui dictait de faire. Et là nous abordons un autre motif d’émerveillement pour moi : cette unité extraordinaire entre son cœur si aimant et son intelligence si géniale, entre ses paroles et ses actes. Cette unité lui a permis de rester libre malgré les honneurs puis les attaques violentes dont il a fait l’objet. Cette liberté attire, inspire et dilate le cœur et l’intelligence.

Comment caractériseriez-vous sa sainteté, par quoi se manifestait-elle concrètement ?
Par ses vertus bien sûr… Sa foi, sa charité, son espérance, exceptionnelles. Je ne peux pas en citer une plutôt qu’une autre, toutes sont unies au plus haut degré. Comme les pans d’une pyramide qui se rapprochent vers la cime. Jérôme Lejeune avait une foi extraordinaire, solide comme un roc, il était tout abandonné à Dieu. Son intelligence était aimantée par la vérité tout entière. Mais il brillait aussi d’une charité hors du commun. Un amour pour le Christ, qu’il soignait dans ses petits patients, un amour inconditionnel, qui l’a poussé à les défendre au prix de sa carrière. Quant à l’espérance, il la vivait chaque jour en voyant la beauté de la vie de chacun de ces enfants, appelés à la vie éternelle, et en cherchant inlassablement la solution pour les guérir et les sauver. Et malgré les échecs répétés, il restait serein, paisible. Sans l’espérance c’est impossible. Mais aussi la force et la justice sont tout à fait éclatantes chez lui… On voit le déploiement harmonieux de toutes ces vertus, dans la biographie. Et cela semble si simple !

Par sa vie de savant, le professeur Lejeune a été particulièrement confronté aux difficultés des rapports entre science et foi : comment conciliait-il les deux ?
Jérôme Lejeune, qui s’est beaucoup intéressé à la Genèse, ne voyait aucune contradiction entre la foi et la science mais il les voyait comme des alliées dans la recherche de la vérité (je cite d’ailleurs dans la biographie une très belle interview qu’il avait donnée à La Nef sur « La fin du darwinisme », n°12, décembre 1991). Il disait : « La foi et la science expriment toutes deux la vérité. Mais ces deux modes de connaissance sont foncièrement différents. L’un, donné gratuitement, s’exprime en langue poétique que le cœur comprend avec joie ; l’autre, gagné laborieusement, est un discours difficile que la raison maîtrise avec peine. » Une caractéristique éclatante du portrait spirituel de Jérôme Lejeune, c’est son intelligence qui, reçue en Dieu et tournée vers Lui, fait grandir sa foi. Son intelligence est au cœur de sa vie spirituelle. Son œuvre est une œuvre de vérité.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Aude Dugast, Jérôme Lejeune. La liberté du savant, Artège, 2019, 480 pages, 22 €.

© LA NEF n°314 Mai 2019