Marine Le Pen (©Kremlin.ru-Commons.wikimedia.org) et Emmanuel Macron (©Estonian Presidency-Commons.wikimedia.org)

Petit bilan des élections européennes

Ce qui est frappant dans ces résultats est que l’ensemble de la droite, au sens large du terme, qui était jusqu’à l’avènement d’Emmanuel Macron majoritaire, est devenu fortement minoritaire avec 40 % des voix, dont plus de la moitié au RN :

– Ensemble droite = 40,16 %
– E. Macron = 22,41 %
– Ensemble gauche = 36,50 %
– Petites listes = 0,93 %

Quels enseignements peut-on en tirer ?

1/ La victoire d’E. Macron à la présidentielle de 2017 était celle de la « France d’en haut », cette partie du pays qui profite de la mondialisation et qui habite les grands centres urbains et dynamiques. Avec le faible score du candidat LR, FX Bellamy, on a la confirmation que la bourgeoisie aisée, qui avait massivement voté F. Fillon à la primaire de la droite en 2016, a très largement basculé dans le camp de LREM. Ainsi E. Macron rassemble-t-il la « France d’en haut » qui votait auparavant, selon sa sensibilité, LR ou PS, ces deux partis ne se distinguant guère sur l’essentiel et étant eux-mêmes proches de LREM, ils en sont logiquement les deux principales victimes – cette partie de leur électorat s’étant « naturellement » retrouvée dans l’homme qui les représentait le mieux.

2/ C’est notamment cette partie de la « droite » bourgeoise, adepte de la mondialisation et qui vote E. Macron, qui a manqué au candidat LR, F.-X. Bellamy. Certes, LR peut être tenté de regagner cet électorat perdu, mais il ne pourra le faire qu’en s’approchant encore plus de LREM. Donc, plus ce parti se recentrera en jugeant la campagne de F.-X. Bellamy trop droitière, plus il va s’identifier à LREM et être phagocyté par elle. Malgré l’échec de F.-X. Bellamy, le seul avenir à moyen terme pour LR, pour exister tout simplement, est d’apparaître sans ambiguïté comme un opposant déterminé à LREM, de s’en différencier d’une façon très claire en s’engageant résolument vers un parti conservateur et social qui soit une réelle alternative à LREM et ouvert à des alliances électorales avec le RN, ce qui signifie de cesser tout ostracisme et de le considérer comme un parti comme les autres – ce que souhaite d’ailleurs la base de LR depuis longtemps. Certes, cela fera partir les plus centristes de LR, mais, sur le fond, ils sont de toute façon bien plus proches de LREM, ce serait une clarification bienvenue.

3/ Le RN arrive en tête des européennes, mais cela ne doit pas masquer qu’il réalise un score très moyen (en recul par rapport à 2014), alors qu’il s’agit de l’élection qui lui est la plus favorable, aussi bien par le thème (l’Europe) que par le mode de scrutin (proportionnelle intégrale à un tour). Dans ce contexte, son score n’est pas si élevé, d’autant plus qu’il ne peut être additionné qu’avec d’autres listes aux résultats marginaux : l’ensemble des eurosceptiques à droite atteint 29,18 %, ce qui représente une faible réserve et un niveau qui empêche d’envisager toute victoire seul, sans alliance. Le fameux « plafond de verre » n’a pas disparu, le RN seul, surtout représenté par Marine Le Pen, personnalité particulièrement clivante ayant de plus montré ses limites, est incapable de gagner sur l’ensemble de la France une élection à deux tours comme les législatives et la présidentielle.

4/ Le pouvoir en France s’acquiert par des alliances : si LR et RN le refusent en continuant à jouer chacun pour soi tout en ostracisant l’autre, E. Macron est assuré de demeurer aux commandes un bon moment encore (la vieille stratégie mise en place par F. Mitterrand fonctionne toujours à merveille)…

En fin stratège qu’il est, E. Macron a réussi à briser l’image du clivage gauche/droite symbolisée par l’opposition PS/LR qu’il a réduit à rien, et à lui substituer le nouveau clivage « progressisme »/« populisme », ce qui est fort habile car cela correspond à une réalité certaine et ce vocabulaire n’est évidemment pas neutre puisqu’il renforce l’idée du combat du bien (le progressisme qui rime avec progrès) contre le mal (le populisme, synonyme de régression, obscurantisme, extrémisme).

Ce clivage correspond en effet à la réalité si bien décrite par Christophe Guilluy entre la « France d’en haut » et la « France périphérique », et aussi plus récemment dans l’intéressante étude de Jérôme Fourquet, L’archipel français (Seuil, 2019), qui confirme, statistiques à l’appui, les analyses de C. Guilluy.

5/ Les partis de « droite » devraient prendre acte de cette réalité, car si E. Macron est à l’évidence le candidat idéal de la « France d’en haut », celle-ci demeure minoritaire (environ 40 %), la « France périphérique » ayant encore le pouvoir de faire basculer une élection.

C’est donc à la fois au sein de LR et du RN qu’une « révolution des esprits » est nécessaire en vue de constituer un pôle conservateur, national et social, seul capable de battre le « progressisme » affiché d’E. Macron, alors même que l’idée de progrès a pas mal de plomb dans l’aile ! Il est à noter que la notion de Progrès est à l’origine même de la gauche historique (cf. Condorcet et la Révolution), de même que le libéralisme est né à gauche… ce qui revient à dire que le camp d’E. Macron est symboliquement bien celui de la gauche, même si, de fait, toute la droite bourgeoise et fortunée s’est ralliée à lui sans hésiter. Face à lui, il y a une complémentarité certaine entre les électorats de LR (bourgeoisie) – en imaginant que cet électorat puisse se reconstituer, car à 8 %, LR ne représente même plus l’appoint nécessaire à une victoire lors d’un scrutin à deux tours ! – et du RN (populaire), une élection ne pouvant se gagner en faisant l’impasse sur l’un de ces deux électorats. Le problème est que l’on voit mal les leaders actuels de LR et du RN désireux de s’engager dans cette stratégie, je n’en vois pourtant pas beaucoup d’autres pour espérer l’emporter contre E. Macron et son « progressisme » libéral.

Christophe Geffroy

© LA NEF 28 mai 2019, exclusivité internet