La Fondation pour l’école s’est séparée du réseau Espérance Banlieues : explication qui est aussi l’occasion de s’interroger sur le rôle des écoles indépendantes (1).
Le 11 avril dernier, un communiqué de presse signé par la Fondation pour l’école (FPE) et l’Association Réseau Espérance Banlieues (AREB) prenait acte d’une séparation à l’amiable. Pour essayer de comprendre pourquoi la FPE a dissous la Fondation Espérance Banlieues et a souhaité ne plus garder ces écoles en son giron, il convient de revenir en arrière.
Anne Coffinier, normalienne et énarque, a mis son talent, son énergie et sa connaissance des rouages administratifs pour défendre la liberté scolaire. En 2004, elle fonde l’association Créer son école dans le but d’aider à la création d’écoles totalement indépendantes. Dans le contexte de grave crise de l’Éducation nationale et d’alignement de l’enseignement catholique sur le public, le succès est au rendez-vous, les petites écoles de parents se multipliant. Anne Coffinier passe alors à une échelle supérieure avec la Fondation pour l’école, reconnue d’utilité publique en 2008, qui a pour but d’améliorer l’enseignement en France par la promotion de la liberté scolaire, et en particulier par son soutien multiforme aux écoles indépendantes. Là aussi, le succès ne tarde pas et la Fondation gère aujourd’hui un budget de 7 millions d’euros. Nouvelles cordes à son arc, elle forme les enseignants du primaire depuis 2007 dans son Institut Libre de Formation des Maîtres (ILFM), et du secondaire depuis 2016 dans son Académie du Professorat. Elle a aussi créé un label de qualité qui tire les écoles vers le haut tout en respectant leur liberté de méthodes, de projet et d’organisation. Elle vient d’inaugurer en avril un salon de la liberté scolaire, LIBSCO, qui a rencontré un large succès populaire avec plus de 1300 entrées en un jour. Bref, la Fondation pour l’école est aujourd’hui reconnue par les pouvoirs publics comme un interlocuteur incontournable en matière de liberté scolaire.
En 2012, la Fondation pour l’école a créé une fondation abritée, la Fondation Espérance Banlieues, dont le président est Éric Mestrallet. Le projet était de montrer, à travers un petit nombre d’écoles pilotes très performantes et bien médiatisées, que les écoles indépendantes pouvaient apporter une contribution efficace à l’un des défis éducatifs les plus difficiles qui soit : faire aimer la France aux jeunes des banlieues sensibles, afin, notamment, de les arracher aux influences islamistes. Le principe était d’inviter largement les hommes politiques et les journalistes à juger par eux-mêmes, en venant visiter sur place. Espérance Banlieues devait, par l’urgence de la situation à laquelle elle se confrontait et la solidité de ses résultats, amener les pouvoirs publics à considérer sous un jour plus favorable les écoles indépendantes, à mieux comprendre que leur liberté d’action était l’un des ressorts de leur succès et, petit à petit, les conduire à ce que cessent les discriminations financières et légales dont elles font l’objet.
L’essor d’Espérance Banlieues
Espérance Banlieues, bien que créée par des catholiques, avait d’emblée pris le parti d’apparaître comme non confessionnelle, il n’y avait pas de perspective d’évangélisation directe. L’idée, pour percer dans un milieu hostile, était de se situer dans une perspective « laïque », c’est-à-dire neutre sur le plan religieux, tout en axant l’enseignement sur l’amour de la France et de son histoire, et donc aussi de ses racines chrétiennes. Beaucoup de catholiques généreux se sont engagés avec enthousiasme dans ce projet destiné à aider des enfants de familles particulièrement défavorisées. D’emblée, il y avait néanmoins une certaine ambiguïté sur le statut d’écoles non chrétiennes fondées et dirigées par des chrétiens.
Une première école s’est ouverte en septembre 2012 à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, avec le soutien du maire, Xavier Lemoine (le cours Alexandre Dumas). Aujourd’hui, le réseau Espérance Banlieues compte seize écoles. La croissance a donc été très rapide, mais certains de ces établissements comptent peu d’effectifs et sont dans une situation fragile (les seize écoles du réseau scolarisent moins de 700 élèves). Elles exigent, de plus, de lourds financements, car les parents ne peuvent payer que 15 % des frais de scolarité, tout le reste étant assumé par des dons et des aides extérieures.
Il y avait donc une question stratégique essentielle, qui est à l’origine du divorce entre la Fondation pour l’école et Espérance Banlieues. Le choix de répondre à la demande, tant les besoins sont pressants, et d’ouvrir beaucoup d’écoles conduit Espérance Banlieues à devoir trouver 10 millions d’euros chaque année. Et ce n’est qu’un minimum, car la poursuite de nouvelles créations jusqu’à plus d’une centaine d’écoles exigera de trouver des sommes dix fois supérieures. À ce stade, les simples dons ne suffisent plus, des financements institutionnels deviennent nécessaires. Déjà, Espérance Banlieues a trouvé un important bailleur de fonds avec la Fondation Bettencourt Schueller, mais Éric Mestrallet veut aller plus loin et négocier un contrat spécifique avec l’État.
Le risque du financement public
Lorsqu’on l’interroge sur le risque de perdre la spécificité de ses écoles, Éric Mestrallet, interrogé par téléphone, répond : « Notre but n’est nullement de faire du volume pour du volume, d’avoir le maximum d’écoles, mais de répondre à des besoins pressants en permettant aux enfants des banlieues de développer leurs talents. Et sans doute cela a-t-il été plus rapide que le tempo prévu. Nous répondons à des besoins existants dans notre pays, mais il se trouve qu’avec une vingtaine d’écoles l’impact national reste anecdotique ; une centaine d’écoles permettrait de répondre plus largement à cette nécessité. À ce niveau, il est évident qu’il nous faut des financements institutionnels, puisque les parents ne payent chez nous que 15 % de la scolarité ; mais les contacts que nous avons avec les autorités publiques me confortent dans l’idée que nous pouvons négocier avec l’État un contrat spécifique pour l’ensemble de notre réseau, sans renier ce que nous sommes depuis l’origine. »
Si l’on considère la crise budgétaire actuelle qui conduit au gel des financements de l’enseignement sous contrat (qui se voit refuser toute ouverture de nouvelle classe), on a du mal à croire qu’Espérance Banlieues pourra obtenir le financement sur fonds publics du fonctionnement de ses écoles, surtout sans remettre en cause sa liberté sur les programmes et sur le choix de ses enseignants. La divergence de stratégie à l’origine de la séparation entre la FPE et l’AREB ne porte pas sur l’essor des écoles Espérance Banlieues, mais sur le fait qu’un tel essor oblige à solliciter un large financement public dont on se demande s’il ne desservira pas la cause de la liberté scolaire tout en s’opérant au détriment des établissements catholiques sous contrat. Nous espérons nous tromper, mais le risque est bien réel.
Cette affaire est d’ailleurs intéressante car elle amène une réflexion sur ce qu’il est possible de faire pour améliorer la situation éducative à long terme.
Réflexion sur la question scolaire
Personnellement, j’ai toujours pensé que l’essor spectaculaire des écoles libres (2), non qu’il pût résoudre les lancinants problèmes de l’éducation en France, pouvait être un aiguillon pour orienter les nécessaires réformes dont notre système a besoin. Car ces écoles indépendantes ne concerneront jamais qu’une infime minorité des enfants scolarisés en France, ne l’oublions pas : si elles sont nécessaires et bienfaisantes, elles demeurent un moyen et non pas une fin en soi, à moins d’accepter de passer par pertes et profits les 99 % d’enfants scolarisés dans le public et le sous-contrat (20 %) ! Elles symbolisent la réalité de la liberté scolaire et représentent donc une garantie anti-totalitaire essentielle pour notre État de droit. Elles correspondent bien à une urgence en temps de crise, mais ne peuvent être une solution globale à un problème bien plus vaste.
Elles ne dispensent donc pas d’une réflexion ô combien complexe sur la façon de réformer un système sclérosé selon des principes en eux-mêmes assez simples dont le premier est que ce sont les parents qui sont responsables de l’éducation de leurs enfants, ce qui suppose notamment d’instaurer une véritable liberté scolaire sans discrimination financière, tout en faisant en sorte que des élèves ne soient pas laissés pour compte dans un système basé sur la seule concurrence – nécessitant le maintien d’un service public de qualité.
Ajoutons que les évêques ont une carte importante à jouer en engageant une réforme progressive des établissements catholiques sous contrat, qui représentent 20 % des élèves scolarisés : le seul fait que de telles écoles y parviennent en affirmant clairement leur dimension chrétienne est la preuve qu’une marge de manœuvre existe, encore faut-il le vouloir.
Quant au problème des banlieues et de l’islam, il me semble dépasser le seul cadre scolaire. Tant mieux si des établissements laïques, publics ou privés, parviennent à remplir leur mission en faisant aimer la France et sa culture. Je doute cependant que la seule arme de la laïcité puisse vaincre le communautarisme islamiste. Il y a là un enjeu politique plus vaste et, plus encore, un défi spirituel d’évangélisation, et ce n’est pas par l’« enfouissement » de la foi qu’on changera les choses.
Christophe Geffroy
(1) Dans cet article, la terminologie d’« écoles
libres » ou « indépendantes » désigne les écoles hors contrat.
(2) Il y a aujourd’hui près de 1400 écoles hors contrat scolarisant 74 000
élèves, et l’on observe un chiffre croissant de créations d’écoles chaque année
: 98 en 2016, 133 en 2017, 157 en 2018…
© LA NEF n°315 Juin 2019