Notre-Dame en feu le 15 avril 2019 © Godefroy-Commons.wikimedia.org

La grâce de Notre-Dame

ÉDITORIAL

Comment aurions-nous pu imaginer que l’embrasement de Notre-Dame de Paris allait susciter une telle émotion, et pas seulement chez les chrétiens, mais chez tous nos compatriotes pour une fois réunis sans fausse note, et aussi à l’étranger ! Face au malheur qui se déroulait devant nous en direct et que nous subissions prostrés dans une totale impuissance – mais que les pompiers ont su limiter – se produisait un « miracle », comme la prise de conscience que quelque chose de plus grand que nos éternelles querelles de Gaulois nous rassemblait tous, quelque chose de plus essentiel que nos disputes politiques, quelque chose de plus haut que nous serions néanmoins bien incapables de nommer.

Le plus remarquable est que ce moment-là, unique, insaisissable, s’est produit devant un monument, certes d’abord symbole de la foi, mais aussi de notre nation et de notre culture, de notre être historique profond, ce qui explique sans doute l’unanimité qui s’est manifestée. Devant ce joyau inestimable que la foi de nos ancêtres a mis des siècles à bâtir à une époque où le temps avait une autre mesure, la foule qui grossissait peu à peu s’est mise à pleurer et, pour beaucoup, à prier. Qu’il était émouvant de voir ce peuple à genoux où figurait une majorité de très jeunes chrétiens implorer Notre Dame en chantant des Ave et des cantiques ! Même les médias, habituellement si caustiques face à de telles attitudes, marquaient le respect.

De l’effondrement à la résurrection

Ces flammes qui dévoraient la charpente presque millénaire sans qu’on puisse les arrêter malgré toute notre technologie nous rappelaient violemment la fragilité des choses d’ici-bas, le peu que nous sommes face à des éléments déchaînés que nous ne maîtrisons pas. Jadis les incendies étaient fréquents mais n’étaient pas une catastrophe, car on savait reconstruire souvent plus beau encore. Aujourd’hui, en notre époque utilitariste, nous n’avons plus en nous le ressort et l’inspiration pour ériger dans la durée des chefs-d’œuvre comme Notre-Dame !

Comment ne pas voir le parallèle entre cet effondrement, en début de semaine Sainte, et l’abaissement du Christ – la kénose – du vendredi Saint, du Dieu fait homme cloué et mort sur la croix ? Cet effondrement peut aussi symboliser celui de notre Église, qui, en Occident, ne cesse de reculer sous un sécularisme envahissant, alors même que les effroyables affaires d’« abus sexuels » n’en finissent pas de la secouer ; mais il peut aussi être le signe du déclin mortel d’une civilisation du « toujours plus » ayant perdu tout sens des limites et jusqu’aux notions de bien et de mal. Dans l’Évangile, néanmoins, la kénose est suivie de la Résurrection ; aucun effondrement ne peut enlever au chrétien cette espérance de Pâques qui est promesse de vie éternelle. Mais pour notre patrie et l’Europe, pour l’Église même en nos pays jadis terre de chrétienté, la résurrection n’a rien d’assuré.

Le besoin d’enracinement

Certes, l’élan spontané de générosité pour reconstruire Notre-Dame, dès le soir même du drame, est incroyable et révèle l’attachement insoupçonné de tous à ce symbole de la foi et de la nation, montrant par là même le besoin d’enracinement et rendant vaines, d’un coup, les objections sur les « racines chrétiennes de la France ». Il montre aussi combien était mal posé le récent débat sur la « tentation identitaire » qui toucherait des chrétiens inquiets de voir le monde leur échapper et s’écrouler de toutes parts. Que des chrétiens s’égarent en ne défendant que la dimension « identitaire » du christianisme, annexant ce faisant la religion pour un combat politique partisan, est bien malheureux. En effet, c’est bien évidemment la foi qui fait vivre le christianisme, mais ce dernier n’en a pas moins une dimension sociale et culturelle qui est la seule accessible aux non-chrétiens et qui participe bien à l’identité du pays – et qui sait si cette dimension ne peut mener à un cheminement intérieur de conversion ?

Je ne crois pas que la plupart des badauds qui convergeaient vers l’Île de la Cité étaient portés par une quelconque « tentation identitaire », leur présence et leur émotion étaient cependant la preuve de leur attachement à cette incarnation de l’« identité » française qu’est Notre-Dame de Paris.

Souhaitons que sa restauration, au-delà de celle des pierres, soit le prélude de la renaissance de l’âme de notre patrie et de notre civilisation, laquelle ne pourra se redresser sans se retourner vers Dieu. Quand on a vu à Paris cette foule magnifique de retenue et de recueillement, la réaction et la ferveur de tous ces jeunes en prière, on se dit que quelque chose s’est produit ce soir-là : non, décidément, notre vieux pays de France n’est pas mort et l’espérance chère à Péguy toute prête à renaître…

Christophe Geffroy

© LA NEF n°314 Mai 2019