«Je fais partie de cette opposition qui s’appelle la vie », disait Balzac. Nous aussi, petits hommes que nous sommes. Nous aussi pouvons essayer de reprendre modestement cette phrase à notre compte, en ces temps de trouble. De trouble pour le moment victorieux, ne nous privons pas de nous en réjouir, et de le rappeler, puisque Monsieur Vincent Lambert a été, provisoirement, sauvé de la « sédation », c’est-à-dire de la mort planifiée et organisée par la société. Il fallait voir, et sentir, et entendre, ce lundi 20 mai, au bord des Champs-Élysées, le silence ému de la petite assemblée au pied levé et aux fesses posées sur la pelouse, dans l’attente, souvent priante, de la décision de la Cour d’appel pour comprendre que la nouvelle de l’arrêt de l’arrêt des soins ait suscité tel enthousiasme : c’était la vie qui persévérait et la possibilité d’une mort administrée en pleine conscience qui disparaissait.
Certes, ce n’est qu’un arrêt de Cour d’appel qui enjoint l’État français de se conformer à ses obligations et nous devrions avoir honte que ce soit des instances internationales qui nous rappellent, nous la France, à l’humanité la plus élémentaire. Mais la victoire de la vie, et non celle d’un « camp » comme cherchent à le faire croire des contempteurs acharnés, est toujours délicieuse à savourer, et il faut relire dans sa profondeur cet arrêt où il est dit qu’« en l’espèce, en se dispensant d’exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité, l’État français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu’elle porte atteinte à l’exercice d’un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu’elle a trait au droit à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme, et donc dans celle des libertés individuelles ». Ainsi est réaffirmé le droit à la vie comme valeur suprême, à rebours d’ailleurs de tout ce qui est pratiqué quotidiennement à travers l’avortement par exemple ; mais rappelé tout de même.
Un symbole pour l’euthanasie
La malheureuse guerre juridique n’est évidemment pas achevée autour du pauvre corps blessé de Vincent Lambert qui, rappelons-le, n’est pas un « symbole » pour ceux qui se battent pour la poursuite de soins élémentaires qui lui sont prodigués ; mais au contraire un symbole hideusement brandi par tous ceux qui s’agitent afin que la trompeusement nommée euthanasie soit légalisée et généralisée ; pas un symbole pour nous qui souhaitons seulement qu’une vie soit respectée et entourée, et donc luttons pour un corps en tant que tel, un corps humain que nous croyons en sus pourvu d’une âme ; mais un symbole pour les égarés qui sont persuadés être du côté de l’empathie et de l’amour quand ils coupent bêtement le fil d’une vie dont la souffrance les gêne. Mais la souffrance qui est, peut-être plus lourde, peut-être plus angoissante, mais tout de même comparable à celle de ces dizaines de milliers de handicapés, de faibles, de fragiles autour du soin de qui nous avons bâti cette civilisation non-pareille, la souffrance ne peut être la cause d’une décision qui engage notre société entière dans le délire d’une administration de la mort. C’est ainsi que la cour d’appel, telle Salomon, telle saint Louis « ordonne à l’État français de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 tendant au maintien de l’alimentation et l’hydratation entérales de M. Vincent Lambert, jusqu’à la décision à intervenir ». C’est ainsi que le fil de la vie qui n’est jamais nôtre n’a pas été coupé, c’est ainsi que parfois triomphe encore cette opposition à la fausse rationalité qui s’appelle la vie.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°315 Juin 2019